vendredi 23 décembre 2011

Après avoir déposé Pam.. (141)

   Après avoir déposé Pam, je rentre chez Michaël, m’endors difficilement. Vers deux heures du mat, je suis réveillée par un brouhaha venant de la cuisine. A moitié éveillée, j’enfile mon yukata. Michaël est là, il n’est pas seul. Une grande fille blonde est debout devant l’évier, quelques poils de sa toison légère dépassent de son t-shirt. Chaque fois qu’elle porte la bouteille de bière à ses lèvres, son t-shirt remonte. La radio allumée -Thelma Houston s’époumone -don’t leave me this way... La fille me voit et dit:
   -Hé, Michaël, on a de la visite! Bonjour! Ah, tu dois être la locataire de Michaël, n’est-ce pas?
   Michaël se retourne, me lance un regard entre ses paupières à moitié fermées, il est pété,  d’ailleurs, il a un boulon entre les doigts. Il me fait signe de m'asseoir et dit:
    -Je te présente Julia, ma nouvelle copine. Tiens, tu veux tirer une taf?
  -Bonjour Julia, moi c’est Eliette, Eli si tu préfères, lui dis-je en inspirant profondément la fumée.
   Je suis immédiatement conquise par Julia, elle me sourit et me parle comme à une amie qu’elle aurait quittée la veille. Elle ne me pose aucune question, on discute du goût de l’herbe et de l’effet qu’elle procure. Michaël ne dit rien, mais il sourit béatement, ce qui dans son cas est une performance. Cette rencontre me fait du bien. En revenant de Malibu, j’étais angoissée. Je pensais qu’il n’y aurait personne ou tout au plus un Michaël de mauvais poil, me foutant à la porte, invoquant un prétexte quelconque! Je me voyais déjà installée sur un des bancs du Ocean front walk avec les clochards du coin. Vers quatre heures, je les quitte et m’endors sereine. 
   Je me réveille, il est déjà midi. Je retrouve Julia dans le salon, toujours en petite tenue, assise en tailleur sur le divan en train de jouer une partie d’échec avec Michaël. Je prépare du café pour tout le monde et m’assois dans un fauteuil en face d’eux. Julia me fascine, elle a une façon tellement personnelle de bouger, de regarder, de parler, enfin, je pense surtout qu’elle est totalement libre, c’est ça qui lui donne ce charme indéfinissable qui me botte tant. 

vendredi 16 décembre 2011

La tour a deux étages.. (140)

   La tour a deux étages. Au niveau du jardin, il y a un sauna avec une grande baie vitrée donnant sur la vallée; nous montons l’escalier en colimaçon qui mène à la bibliothèque. Les livres tapissent l'entièreté de la pièce circulaire. Au milieu, face à la grande fenêtre, se trouve un fauteuil en cuir noir et une table où s’entassent livres et magazines. Sans hésitation, Mike trouve le livre en question. Il me le passe et dit:
   -Dès que je t’ai vu, j’ai pensé aux sculptures de Gaston Lachaise, tu connais?
   -Non, jamais entendu parler!
  Je feuillette le livre, une vieille édition avec des photographies en noir et blanc d’oeuvres représentant en grande partie des sculptures de nus féminins aux formes excessives, des seins et des fesses immenses, des corps fantasmés. Je relève la tête et dit :
    -J’ai bien-sûr des rondeurs là où il faut, mais pas à ce point! 
    - J’espère ne pas t’avoir vexée? C’était un compliment!
   -Non, pas vexée, un peu surprise! Ceci dit, j’aime beaucoup ces sculptures, une vraie découverte!
   Je regarde autour de moi, et dis:
   -Quel endroit superbe, et quelle vue! Tiens, on voit même l’océan d’ici!
   -Oui, c’est ma tour d’ivoire, me dit-il en français.
   Je me dirige vers la fenêtre, regarde pendant un long moment le paysage. Je pourrais rester là pendant des jours à observer le moindre mouvement dans ce paysage qui pourtant semble immuable; Mike me tire de ma rêverie et suggère un sauna. 
  Je m’installe sur la banquette face à la baie vitrée. Ici, l’océan est moins visible, mais la vue tout aussi imprenable. Je poursuis mes songes.
  L’odeur entêtante de l’eucalyptus emplit l’air chaud, nous transpirons abondamment; Mike s’est rapproché de moi et essuie mon front avec délicatesse. Bien-sûr, c’était cousu de fil blanc, dès le premier regard, j’ai su qu’il me désirait. Je me dis que c’est Pam qui a tout manigancé et cela expliquerait aussi la disparition de la girlfriend soulagée de laisser le champ libre à son amant peut-être trop assidu. Mais peu importe! Je me laisse aller aux caresses de l’homme mûr. La chaleur est devenu suffocante. Je me lève, je ne tiens plus, il faut que je sorte. Mike me dit de le suivre. Nous montons jusque tout en haut sur le toit de la tour. Des éclats de rire entrecoupés de clapotis nous parviennent, on aperçoit les autres entre les cimes des résineux embaumant l’atmosphère. Nous nous allongeons sur les nattes disposées au sol, un parapet nous abrite des regards. Nous nous frottons l’un contre l’autre mêlant nos sueurs, je glisse, descends le long de ce grand corps, m’empare de son membre raide et luisant au grand jour, le dirige entre mes seins, sur mes joues, le suce, puis remonte pour le faire pénétrer lentement. Nous avons un orgasme fulgurant, quelques cris nous échappent, font fuir deux écureuils. Nous restons là inerte, savourons ce moment d’amnésie. C’est Mike qui brise le silence en disant:
   -Dommage, vraiment, je serais bien resté encore ici avec toi, mais il faut bien que je m’occupe un peu de mes invités! Nous descendons et prenons une douche rapide. Nous rejoignons les autres qui font semblant de rien, j’aperçois juste le sourire en coin de Ron... 

dimanche 11 décembre 2011

Le soleil est au zénith.. (139)

  Le soleil est au zénith, nous nous réfugions à l’intérieur, dans la cuisine. Mike dispose sur la table quelques plats avec des choses à grignoter et des boissons fraîches. L’autre invité s’appelle Ron, je le connais de vue, il vient parfois au resto de Dan, c’est un photographe. La fille assise en face de moi, Jane, sa compagne, n’a pas encore laissé entendre le son de sa voix, elle semble ailleurs, je crois qu’elle s’ennuie. Il n’y a que Mike et Ron qui parlent de leur travail réciproque. Mike propose de voir son dernier court métrage. Il fait descendre un écran installé au plafond d’une pièce jouxtant le séjour. Le projecteur est prêt à l’autre bout de la pièce, nous prenons place, la séance peut commencer! On voit une prairie baignant dans une douce lumière printanière, des chiens de chasse à longs poils roux courent dans les hautes herbes, surgit une jeune femme vêtue d’une robe légère, les chiens la suivent parmi les fleurs des champs. La caméra suit la meute guidée par la femme. Il n’y a pas de musique, seulement les chants d’oiseaux, les aboiements et les appels de rassemblement de la femme. La scène dure une bonne dizaine de minutes. Mike nous explique que certaines séquences ont été choisies pour une publicité; il attend nos appréciations. Je ne suis pas emballée, je ne veux pas faire de boniments. Les autres s’accordent à dire tout le bien qu’ils en pensent, je continue de me taire. Intrigué, Mike me regarde et dit:
   -Et qu’en penses-tu Eliette?
   Il m’intimide, je bafouille et finis par improviser:
  -Je trouve que c’est joyeux, frais, ça conviendrait parfaitement pour une pub de boisson gazeuse! 
   -Tu as tapé dans le mille, ça veut dire que mon message passe!
  -Evidemment, si tu n’avais rien précisé, je n’y aurais peut-être pas pensé!
  Mike me pose un de tas de questions, sur moi, ce que je fais et tout; il semble très intéressé et dit soudain:
  -Il faut absolument que je te montre un livre que j’ai dans ma bibliothèque au fond du jardin, viens!
   -Ah, c’est donc ça, la tour que j’ai aperçue?
   -Ce n’est pas seulement ça, tu vas voir!
Pendant qu’on se dirige vers la tour, Ron, Jane et Pam retournent au bord de la piscine.

vendredi 9 décembre 2011

En sortant de Venice.. (138)

 En sortant de Venice, nous empruntons le Pacific Coast Highway, ensuite, après une bonne demi-heure, Pam m’indique une sortie à droite, vers une route qui monte en zigzaguant; des effluves de maquis me montent au nez - pendant une seconde, je suis à Ein-Kerem. Tout en haut de la route, Pam me fait tourner à droite dans un sentier qui mène vers la propriété. Il y a ni barrière, ni clôture, juste une boîte aux lettres en fer blanc avec des initiales, M.M. Je me gare. Alentour, que des collines à perte de vue aux contours mal définis. Eparpillées dans le paysage, des villas émergent ci et là de la végétation. En contre-bas, j’aperçois un toit de verre sur lequel se promènent des paons. La maison, constituée de plusieurs grands volumes cubiques en bois et verre, est située à flanc de colline. Un peu plus loin, j’aperçois une piscine de forme longue et sinueuse. Au bout du terrain, en bordure du ravin, une tour en pierre surplombe une vaste vallée.  Entrant dans la maison, pas de hall, on arrive aussitôt dans une pièce qui semble être le séjour-cuisine avec le toit-verrière. Les paons sont maintenant au-dessus de nous, ils marchent tranquillement en bougeant leur tête par saccades. Il n’y a personne, tout le monde est dehors autour de la piscine. Ils sont quatre, deux hommes et deux femmes entièrement nus. Pam les embrasse, et fait les présentations. Aussitôt notre hôte, Mike, la cinquantaine, grand, bronzé, les cheveux blancs, longs, en bataille, style baroudeur, nous somme avec le sourire d’ôter nos fringues. Une des deux femmes se lève et nous conduit dans un vestiaire près de la piscine et dit:
   -Je suis désolée, mais je dois vous quitter, amusez-vous bien!
   Je questionne Pam:
   -Qui est-elle?
   -C’est la girlfriend de Mike!
   -Ah, bon, elle a au moins trente ans de moins que lui!
  -En effet! Je ne la connais pas très bien. A chaque fois que je viens chez eux, elle s’esquive... 
   Je n’ai qu’une envie, c’est de plonger dans l’eau azurée, rien de tel que de nager nue. Un peu intimidée par les regards de Mike et ses invités, je me jette à l’eau, suivie de Pam. Je barbote presque joyeuse dans ce bonheur qui n’est pas le mien.

vendredi 2 décembre 2011

Comme prévu.. (137)

Comme prévu, je retrouve Pam devant le resto, elle est assise sur un banc face à la terrasse; elle a laissé Darling à la maison, il a faim. Il lui faut des souris vivantes. Pour cela, Pam doit se rendre en ville, assez loin sur Hollywood boulevard, et compte sur moi pour l’y conduire. Je lui explique que je n’ai plus un sou, ni pour manger, encore moins pour l’essence. Pam m’interroge:
   -Pourquoi tu ne m’as rien dit?  
   -Mais on ne se connaît que depuis hier!
   -Bon, moi tu vois, je n’ai pas de soucis d’argent, je reçois une rente de mon père. Viens, on va faire le plein, acheter les souris et après on ira au Safeway pour remplir ton frigo.
    -Tu es sûre que cela ne te pose aucun problème? Je suis gênée!
   -Tu arrêtes d’être gênée, je t’assure que je suis contente de pouvoir t’aider! Allez, viens, on y va!
  Pendant le trajet, Pam me raconte que son père, homme d’affaire riche, d’origine iranienne, vit à Londres. Ses parents ont divorcé quand elle avait quatre ans, ce qui a fait d’elle une enfant unique, gâtée, ballottée de tout côté; elle n’a jamais connu la chaleur d’un foyer; de sa mère, elle ne parle pas. Nous arrivons au petshop. J’attends dans la voiture, je ne me fais pas à l’idée que l’on puisse acheter un animal. D’ailleurs, qu’est-ce que je fous là à attendre cette inconnue qui achète des souris pour son python. Pourquoi suis-je restée dans ce pays de merde, merci Zer! Je me dis que peut-être, c’est un peu trop facile de mettre toujours tout sur le dos des autres, personne ne m’oblige de rester, mais là n’est pas la question, je n’ai aucun but, je n’ai aucune ambition, il faut vraiment que je me prenne en main, sinon...Voilà Pam qui revient avec une boîte remplie de souris blanches, j’entends leurs petits cris de détresse, je ne dis rien. Pam est contente, Darling va pouvoir manger à sa faim, moi aussi!
    Pam me demande de l’accompagner demain à une party, chez une connaissance qui habite sur les hauteurs de Malibu:
   -Tu verras, c’est vraiment un lieu magnifique, il y a une belle piscine, d’ailleurs, tu n’as même pas besoin de prendre un maillot. Dès que l’on met les pieds chez Mike, tout le monde se déshabille, c’est la condition pour être reçu!
   -Ah bon, qu’à cela ne tienne! D’accord!
 -Je viendrai chez toi vers onze heures, sois prête! Maintenant je file, Darling doit s’impatienter...

dimanche 27 novembre 2011

Depuis environ une semaine.. (136)

 Depuis environ une semaine, je n’ai plus vu Michaël une seule fois, j’ai l’impression qu’il m’évite pour quelques obscures raisons, à vrai dire, je ne sais pas ce qui se passe; je décide d’aller faire un tour au resto, peut-être que Dan a du boulot pour moi. Je suis de nouveau à sec, mais Dan vient d’embaucher deux nouvelles serveuses, ça marche du tonnerre, la terrasse ne désemplit pas. En quête d’une place, je vois une fille portant un énorme serpent autour du cou, on se dirige en même temps vers la seule table inoccupée, elle me demande si elle peut s'asseoir avec moi. Son nom est Pamela, et son compagnon s’appelle Darling, un python royal de deux ans; il se déplace lentement sur les épaules de sa maîtresse qui lui susurre des mots doux. Je demande la permission de le toucher, Pam me dit qu’il adore les caresses! Je passe ma main doucement sur l’animal. A mon avis, il s’en fout complètement; moi, il ne m’émeut guère. Pourtant c’est la première fois que je touche un serpent. Par contre, Pam m’intrigue, ni belle ni laide, elle a un regard d’une tristesse infinie. Nous bavardons, on se raconte. On branche. Nous nous reverrons demain, on se donne rendez-vous face au resto, même heure. Il est encore tôt, je marche droit devant moi, sans but dans la fixité morne du beau temps. Je me demande comment je vais trouver ma pitance. Depuis un certain temps, j’ai l’impression d’être suivie. Prise de curiosité, je me retourne, face à moi, un homme jeune, torse nu, noir ébène, taillé comme un athlète. Il me dit:
   -Je veux te baiser.
    Sans réfléchir, je m’entends répondre:
   -D’accord, mais ça te coûtera trente dollars.
   -Ok, je connais un endroit, viens.
  Je me laisse guider par l’inconnu à la dégaine légère et dansante. Pendant une fraction de seconde, je me dis que c’est insensé, mais déjà, je me retrouve dans une chambre d’un motel miteux. Je me déshabille, cache les trente dollars sous mes vêtements. Je m’allonge sur le lit, l’homme me rejoint aussitôt et sans perdre de temps, se met en besogne, dégoulinant de sueur. Sa queue est dure comme une batte de baseball; il me dit que je suis aussi bonne qu’une fille noire; je me laisse faire, j’ai même un orgasme. Lorsqu’il semble apaisé, je saute hors du lit et me dirige vers la douche. Lui, continue à se tripoter la verge encore raide tout en me parlant, mais le bruit de l’eau couvre ses paroles et m’éloigne de la réalité. Enfin requinquée, je sors de la cabine les cheveux ruisselants. La piaule est vide, il a disparu, envolé avec mon fric!
 J’explose de rage. Mais quelle conne! Désespérée, je marche pendant des heures. De retour à l’appart, j’appelle Michaël. Pas de réponse, il est encore absent. Je crève de faim, le frigo est vide, tout ce que je trouve au fond d’un tiroir, c’est un quélude, de quoi tromper la faim pendant un moment.

mercredi 23 novembre 2011

Surgissant de nulle part.. (135)

   Surgissant de nulle part, d'innombrables piétons convergent vers le point névralgique. Encombrés de bagages, de boîtes en carton, d’enfants à la traîne, ils vont et viennent par les étroits passages grillagés longeant les files de voitures. Nous avançons lentement. Un douanier nous fait signe - vérification sommaire, puis, d’un geste théâtral,  pointe un doigt vers la barrière qui se soulève. D’un instant à l’autre, tout est différent, scabreux et chaotique. Traversant des nuages de poussière, Michaël peste en évitant nids de poule, chiens errants, carcasses de voiture abandonnées. Nous arrivons au centre; excédé, le visage rouge, transpirant à grosses gouttes, Michaël s’arrête. Les rues ressemblent à des torrents asséchés, les maisons en construction ou plutôt inachevées hérissent leurs fers à béton comme autant de suppliques vers le ciel - petite ressemblance avec quelques villages de Cisjordanie - flash back. Des enfants en guenille courent, jouent dans la crasse et la poussière. De très jeunes prostituées assises devant les cantinas font de l’oeil à Michaël qui passe sans les voir. Je ne m’attendais pas à un tel contraste, tant de dénuement à deux pas de l’opulence américaine. Michaël semble bien connaître la ville et m'emmène, toujours sans un mot, vers une espèce de fast-food mexicain. Ca tombe bien, je crève la dalle. Nous mangeons quelques burritos et buvons nos bières en silence. Le patron augmente le volume de son transistor crachotant une complainte mariachi, tandis qu’au fond de la salle, des hommes aux regards sombres se querellent. Michaël se tait obstinément, il me pousse à bout, je ne supporte plus son tirage de gueule, et lui dis:
  -Je te remercie pour tout, mais pour l’amour du ciel arrête de faire cette tête, n’oublie pas que je ne t’ai rien demandé, c’est toi qui m’as proposé ce voyage.
  -Mais de quoi tu parles, je vais très bien, c’est simplement le speed, tu n’y es pour rien, d’ailleurs pourquoi te sens-tu responsable de mon humeur, je ne te comprends pas!
  -Moi non plus je ne te comprends pas, t’es vraiment un drôle de gars!
Michaël regarde sa montre et dit:
  -Si tu veux, on a encore le temps de se promener avant le retour, il y a un tas de magasins de souvenirs,  je t’offre une babiole pour me faire pardonner!
   Deux rues plus loin, nous entrons dans une espèce d’entrepôt. Des sculptures y sont rangées par ordre de grandeur, de la miniature au monumental, toutes en terre cuite, copies de statues précolombiennes. Mon choix se porte sur une réplique représentant une femme accouchant, en position assise. En sortant, j’émets le désir de marcher encore un peu, d’aller au-delà de cette ville improvisée, mais Michaël dit que ce ne serait pas prudent et que de toute façon, il n’y a rien à voir, à part la misère. Et puis, il faut penser à rentrer, la route est longue... Peu avant la frontière, Michaël me demande de lui passer mon passeport, de le laisser faire, et de ne surtout pas intervenir, je suis supposée ignorer l’anglais. Je ne demande pas mieux, je n’aime pas toutes ces formalités. Michaël remet nos papiers au douanier qui lui pose quelques questions de routine, l’homme nous fait signe de se garer sur le bas côté en attendant les vérifications d’usage. Je questionne Michaël du regard, il me dit que tout est normal, qu’il n’y aura aucun problème, que je stresse pour rien. Après une demi-heure, l’homme revient, nous remet les documents en me souhaitant un bon séjour. Michaël sourit enfin et redémarre. Il y a un beau tampon dans mon passeport, sursis de trois mois pour de nouvelles aventures!

mercredi 12 octobre 2011

Mon entente avec Michaël.. (134)

   Mon entente avec Michaël est cordiale quoi qu’il se montre parfois jaloux de mes conquêtes, pourtant, j’essaye d’être discrète bien que je n’aie pas de compte à lui rendre, mais je sens qu’il est amoureux. Il est du genre paresseux, espérant que je fasse le premier pas; le malheur, c’est que je n’en éprouve pas l’envie. Comme il a l’air de s’accommoder de cette situation, pour le moment, et d’apprécier malgré tout ma présence, je peux encore rester un temps chez lui, sachant que tôt ou tard, il me faudra bouger. Ce qui m’inquiète un peu, c’est de ne plus avoir de visa, j’en parle à Michaël qui me propose d’aller au Mexique, à Tijuana, là il suffit de sortir du territoire américain et d’y revenir pour obtenir un nouveau visa de trois mois, mais ce petit jeu ne peut se faire qu’une seule fois, après, il faut la carte de résident, le fameux Green card, et ça c’est une autre affaire. Un copain juriste de Michaël va m’aider à entreprendre les démarches nécessaires.
    Nous décidons de partir dès l’aube. Avec la vieille Karmann ghia de Michaël, iI faut compter environ trois heures de route pour arriver à la ville frontalière. Michaël me réveille à cinq heures du matin, il est très nerveux, et semble s’être levé du mauvais pied, mais très vite je comprends ce qui le met dans un tel état. En fait, il n’a pas dormi de la nuit, il a pris du speed et m’en propose:
  -Ce sont des Black beauties, ça donne un coup de fouet, moi j’en prends pour rester éveillé!
   -J’en veux bien une, tant qu’à faire, j’aime autant être dans le même état que toi, tu n’es pas à prendre avec des pincettes!
   -Qu’est-ce que tu entends par là? me dit-il  d’un ton furieux.
   -Je t’en prie, calme-toi, on ne va pas déjà se disputer!
   A mon tour, j’avale une pilule. Michaël est très tendu, il grince des dents, fixe la route les yeux écarquillés sans prononcer un mot. Dans quelle galère me suis-je encore fourrée! Je commence à ressentir l’effet du speed, plutôt euphorisant pour l’instant. Je regarde le paysage qui défile sans vraiment voir quoi que ce soit, je suis dans une bulle de béatitude. Après un mutisme total tout au long du voyage, Michaël m’annonce soudain d’une voix enrouée que nous arriverons bientôt au poste frontière de Tijuana.

samedi 24 septembre 2011

Je me rends.. (133)

   Je me rends à Beverly Hills, là où aura lieu la séance de photos. C’est une villa entourée de verdure, luxe kitsch, beaucoup de marbre et de dorure. Je suis reçue par le photographe, la cinquantaine, les cheveux longs grisonnants attachés dans la nuque, il est entouré d’une petite équipe, trois hommes en tout, dont le maquilleur accessoiriste et l’éclairagiste. Les présentations faites, John m’explique ce qu’il attend de moi:
   -D’abord, nous allons te maquiller un peu, on débutera à la piscine, après nous irons à l’intérieur et si il nous reste du temps, on pourra encore faire quelques photos dans la salle de bain. Déshabille-toi vite pour ne pas avoir de marques sur la peau!  
   Je reviens à poil, ils me regardent sans l’ombre d’une émotion. Je ne ressens aucune gêne. Nous commençons par des attitudes langoureuses sur une chaise longue au bord de la piscine turquoise. Le plus dur c’est de devoir sourire, j’ai horreur de sourire sur une photo, mais John insiste, il dit que c’est essentiel, je n’ai qu’à penser à quelque de chose drôle! Je souris en imaginant le résultat de toute cette mise en scène à vrai dire totalement cucul! Nous passons à la chambre à coucher, là il faut que je m’assoie sur le lit. L'accessoiriste me donne un carré de soie avec lequel je dois jouer, le laisser glisser le long de mon corps, le faire passer entre les jambes, en caresser le bout de mes seins. John mitraille à mort, à chaque prise il dit: 
   -Great darling, don’t forget to smile, great!  
   John regarde sa montre, tout est chronométré. On a encore une demi-heure, on passe au pas de course à la salle de bain en marbre blanc, et robinetterie dorée... Là, même topo avec un drap de bain rose; moi qui imaginais déjà une scène hot sous la douche ou dans la baignoire, mais pas question d’improviser, eux savent ce qui plaît, ce qui est vendeur. Je ne sais pas à quel magazine ces clichés sont destinés, de toute façon, je n’en verrai probablement jamais aucun, d’ailleurs peu m’importe, du moment que je touche les biftons, c’est tout ce qui compte. Je suis soulagée quand enfin John annonce que c’est terminé, que je peux aller me rhabiller. Il me demande si je serais d’accord de faire des photos avec un partenaire, je lui réponds que je lui ferai signe, que je n’en sais rien, il ajoute que c’est payé, le double, voir le triple. Il n’insiste pas mais me dit qu’il est très satisfait du travail et qu’il espère vraiment me revoir pour d’autres séances. Je lui dis que j’y penserai, mais au fond de moi je sais déjà que je ne le ferai pas, c’est tout simplement pas mon truc, j’imagine l’engrenage, c’est sans doute ainsi que l’on finit par faire des films pornos, ça ne me dit rien, non pas que je sois bégueule, mais ensuite qu’adviendrait-il des fantasmes, de l’envie de baiser. Et puis, je n’aime pas l’esprit, l’ambiance de ce milieu, à juger les instants que je viens de vivre, ce n’est pas pour moi. Je rentre dare-dare, passe par un take away chinois et achète de quoi faire un bon gueuleton avec Michaël.

vendredi 16 septembre 2011

Cela fait une dizaine de jours.. (132)

   Cela fait une dizaine de jours que je suis installée chez Michaël. J’ai une petite chambre avec vue sur le parking. En attendant de trouver un nouveau boulot, je prépare à manger pour moi, Michaël, et les amis de passage. Il y a un va-et-vient continuel, Michaël connaît pas mal de monde. Jusqu’à peu, il était instituteur, il a pris une année sabbatique et ne fout pas grand chose à part son footing matinal sur la plage et fumer des joints à longueur de journée en regardant des matchs de base-ball à la télé avec des copains. J’ai une paix royale, Michaël n'exige rien, il n’a même pas essayé de me toucher, je me demande pourquoi il m’héberge. L’autre jour, j’étais à poil sur mon pieu, il est entré sans frapper, il est devenu tout rouge et s’est fâché en me reprochant de laisser ma porte ouverte, je lui ai rétorqué que je ne supportais pas de m’enfermer à clef! Il est parfois très nerveux, je l’ai déjà entendu crier et jurer comme un charretier, en général il semble plutôt doux et posé. Il faut absolument que je trouve des tunes, j’en ai parlé à Michaël qui m’a conseillé de faire une série de photos de moi, nue, et de les envoyer à Playboy magazine! Il est cinglé je n’ai rien d’une playmate, je n’ai pas les jambes assez longues et ne connais aucun photographe, je trouve son idée saugrenue, mais il persiste et dit qu’il faut essayer, on ne sait jamais. Soudain, je me souviens qu’il y a un photographe qui vient parfois chez Dan au resto, je l’ai servi souvent, un type sympa. Il a un studio un peu plus loin dans une rue donnant sur le front walk. Je décide de passer chez lui dans l’après-midi. J’ai du bol, il est là, je le préviens que je ne pourrai pas le payer, mais il s’en fout, et veut bien faire quelques photos à l’instant car il part en reportage à Hawaii dans trois jours. Aussitôt, nous nous attaquons à la tâche. Il dit que je prends bien la pose, que l’on pourrait penser que j’ai fait sa toute ma vie! A peine une heure plus tard, nous avons terminé. Il développera les clichés et fera quelques tirages d’ici demain, je pourrai venir les chercher en fin de journée. Au moment de partir, Rob me dit:
   -Si tu veux te faire un peu de fric, voici l’adresse d’un free-lance qui fait des photos de charme, je le connais, c’est un mec réglo, tu dis que tu viens de ma part, il est toujours à la recherche de modèles, je suis certain qu’il te prendra et c’est très bien payé!
   -Génial, merci! Je te payerai dès que j’aurais gagné des sous!
  -Oublie! C’est ma façon de te remercier, tu as toujours été ma serveuse préférée! A demain!
   J’annonce la bonne nouvelle à Michaël. Je téléphone de chez lui au photographe pour prendre rendez-vous, une femme me répond que les inscriptions se font sur Sunset boulevard, et me donne le numéro du building. Inquiète, je questionne Michaël:
   -Elle dit que c’est au 8332, c’est loin?
   -T’en fais pas je te conduirai, ça doit se trouver au centre, à West Hollywood. 
  Je raccroche, fixant Michaël droit dans les yeux, je lui demande:
   -Pourquoi tu es si gentil avec moi, pourquoi tu fais tout ça?
   -Parce que je t’aime bien, c’est tout, dit-il en fuyant mon regard.
  Je retourne dans ma chambre et m’enferme à clef. J’ai du mal à comprendre qu’un homme soit si attentionné sans contrepartie. Je me dis qu’il est peut-être amoureux, mais pourquoi n’est-il pas plus franc dans ce cas, il suffit qu’il me le dise, et puis, non, je n’ai pas envie de ça, de lui, je ne suis pas amoureuse, c’est toujours pareil, ce n’est jamais réciproque, enfin si, parfois, mais là, non. J’essaye de comprendre ce qui me gêne chez lui, pourtant ce type n’est ni moche, ni con, un peu grassouillet mais pas vraiment déplaisant avec sa tête d’ado juste sorti de l’enfance. Il y a un côté lymphatique chez lui, je crois que c’est ça, j’ai mis le doigt dessus, il faut dire que Zer était tout le contraire, tiens, je n’avais plus pensé à lui depuis longtemps, complètement oublié, comme si c’était dans une autre vie, d’ailleurs, comment en serait-il autrement. Tout me revient en vrac, où est Gilberte, où est passé ce temps auquel je repense déjà avec nostalgie, à ces années pourtant pas si heureuses mais qui avec le recul me semblent magnifiques, plus belles qu’elles ne l’étaient! Tout à coup, je me sens terriblement seule.

mercredi 14 septembre 2011

Leslie retourne à.. (131)

   Leslie retourne à New-York dans quelques heures. Il est resté plus de temps que prévu, il faut qu’il parte. Ces quelques jours ensemble ont passé si vite. Leslie me promet de revenir très bientôt, on s’écrira, on gardera le contact. Avant de le conduire à l’aéroport, il prend quelques photos de moi sur la plage, puis on s’attarde encore un peu sur Ocean Front walk. Je dépose Leslie au terminal, et repars aussitôt. Le vague à l’âme, je m’en retourne vers Venice et mon avenir incertain. Il faut que je me remette à l’ouvrage, j’ai tout dépensé, je n’ai plus un rond. J’ai laissé tomber le travail de modèle chez Jerry qui devenait vraiment trop pénible, et à l’académie, je ne me suis fait remballer pour absence. Je passe chez Dan, voir si il a besoin de moi. Il vient d’engager une nouvelle, il me fera signe en cas de pépin. En sortant du resto, je croise Michaël, le type qui vient prendre ses petits déj chaque matin, il s’approche et dit:
   -Salut, comment vas-tu, cela fait un bail? Tu ne travailles plus ici?
  -Plus vraiment, je fais des remplacements de temps à autre, à propos, toi qui habites le coin, tu ne connaîtrais pas un studio à louer? 
   Je le vois hésiter un instant, puis, timidement dit:
  -Tu peux venir chez moi, j’ai une chambre inoccupée, si cela peut te dépanner, tu es la bienvenue!
   Je n’en crois pas mes oreilles, la Providence est encore au rendez-vous! Je n’hésite pas et lui réponds que si ça va pour lui, je m’amène demain, n’ayant pas grand chose à déménager. Michaël semble ravi, et me propose de venir m’aider dans la matinée pour transporter mes affaires. Son appartement est situé dans une ruelle parallèle à Ozone street, à côté du parking lot où je gare ma Chevi, à une centaine de mètres de ma piaule. Je le remercie, on se fait la bise. Je rentre aussitôt pour empaqueter mon barda, ce qui ne me laisse pas le temps d’avoir le mouron! Je trie et jette le plus possible pour ne pas m’encombrer de choses inutiles. Je téléphone de la cabine en bas de la rue à mon proprio pour lui dire que je me taille. Il passera demain matin à la première heure pour reprendre les clefs et vérifier si je n’ai pas fait trop de dégâts. Vers une heure du mat je m’endors d’un sommeil profond après avoir tout rangé et nettoyé pendant toute la soirée.

lundi 12 septembre 2011

Dès le retour de... (130)

    Dès le retour de Leslie, nous partons, cette fois avec ma vieille caisse aux environs de Topanga Canyon; la route serpente dans une végétation drue, on dirait un paysage méditerranéen, les mêmes essences, les mêmes effluves dans la chaleur encore douce. Après un tournant en épingle à cheveux, on découvre une maison et des panneaux invitant à venir admirer de l’artisanat. J’arrête la voiture sur le parking. Nous entrons dans le petit magasin. Une femme est assise dans l’arrière boutique, elle nous souhaite la bienvenue de loin. Je trifouille parmi les vêtements, écharpes, et sacs suspendus à une tringle; du fait main dans un style qui se veut hippie, des fleurs partout, des couleurs criardes. L’ambiance m’est familière, je n’arrive pas à savoir à quoi cela tient jusqu’au moment ou la femme surgit et commence à me parler avec un accent que je reconnais tout de suite. Je lui dis les quelques mots d’arabe que je connais, elle sursaute de joie. Nous évoquons évidemment Jérusalem dont elle est originaire, intarissable elle me raconte sa vie dans un flot arabo-anglais, elle est tellement heureuse qu’elle m’offre un foulard en souvenir de notre rencontre. Pendant ce temps, Leslie patiente, il est à l’écoute de tout ce que l’on se dit. Après une bonne heure passée dans la boutique, nous retournons à la voiture. Leslie est bouche-bée devant cet événement mineur, je lui dis que cela n’a rien d’extraordinaire, qu’il a dû connaître ce genre d'effervescence en Inde, je trouve son étonnement excessif! Mais il répète:
   -Ta façon d’être avec les gens me bluffe, j’ai remarqué ça dès l’instant où je t’ai vue au travail, il se passe quelque chose dont tu ne dois pas avoir conscience. 
   Nous nous attardons encore un peu sur les petites routes. Mais il faut rentrer à temps, le carrosse nous attend! Pour l’occasion j’enfile ma seule tenue neuve, un ensemble chemise et pantalon en coton noir, coupé près du corps. Leslie me trouve un petit air terroriste chic! Je passe chez Dan prendre les clefs et nous voilà sur la route en limousine. C’est la première fois que je conduis une aussi grande voiture, elle ne roule pas, elle vogue, on n’entend que son ronronnement puissant et stylé. Arrivés devant le restaurant, les choses se déroulent comme prévu, un homme en uniforme ouvre ma portière et m’aide à sortir, je le remercie et lui remets les clefs. Je n’ai pas l’habitude de ce genre de cérémonial, je suis mal à l'aise. Nous entrons dans le riad par de hautes portes en bois sculpté, ensuite dans une cour intérieure avec fontaine et bassin entouré d’une profusion de palmiers, plantes et fleurs multicolores. Nous sommes accueillis par une jeune femme en djellaba richement ornée, elle nous mène dans une des nombreuses salles entourant la cour. Leslie a réservé une table basse entourée de coussins dans lesquels je me laisse glisser avec un vif plaisir. La jeune femme nous verse de l’eau de rose sur les mains au-dessus d’un grand bol en cuivre tout en nous expliquant les menus; nous optons pour la traditionnelle Bastilla au pigeon avec salades diverses, sans oublier le vin. Tout est enchantement, les fragrances de jasmin mélangées au cumin, clou de girofle et autres épices m’étourdissent. Le vaste espace est divisé en alcôves faites de paravents façon moucharabieh qui donne l’illusion d’être seul. Nous nous laissons aller à de folles étreintes entre chaque bouchée. La soirée sybaritique prend malheureusement fin, il est grand temps de partir, minuit va bientôt sonner!

dimanche 11 septembre 2011

Je rejoins l'homme.. (129)

   Je rejoins l’homme, à la terrasse. Il s’appelle Leslie, il est New-Yorkais et vient de débarquer à L.A. après un long séjour en Inde. J’ai toujours cru que Leslie était un nom de fille, mais lui c’est un mâle, sans conteste. Nous discutons avec animation d’un tas de choses tout en vidant un litron de rouge. Dan ferme la boutique. Je propose de continuer la discussion et d’aller fumer un pétard chez moi. Nous parlons encore, il est très bavard, d’après lui c’est mon herbe qui rend logorrhéique. On finit par se toucher, d’abord avec un rien de timidité, puis très vite mus par un désir fulgurant. N’ayant plus rien avalé depuis le matin, mon estomac crie famine. Je me souviens des deux belles mangues achetées la veille et propose de les manger. La première mangue est ferme et succulente, la deuxième est trop mûre, plus difficile à découper, m’emparant d’une moitié sans le noyau, j’enduis du pulpe juteux le corps de Leslie que je m'applique de lécher avec soin, ce qui tout en le laissant perplexe l’excite beaucoup. Nous nous endormons au bout de la nuit, soudés par tous les nectars. 
  Un peu avant midi, on se réveille enlacés, souriant aux souvenirs de nos voluptueuses joutes nocturnes. Leslie décide de prolonger son séjour, dans l’après-midi on ira faire une balade dans les collines et ce soir il m’invite dans un très beau restaurant marocain du côté de Hollywood. Pendant qu’il déjeune avec un ami, je vais chez Dan pour lui emprunter sa Cadillac, je ne peux pas aller dans un endroit huppé et laisser les clefs d’une bagnole pourrie au chasseur! Dan est d’accord, mais à la condition de venir la prendre juste avant d’aller au restaurant et de la ramener à minuit pile. Je lui dis de ne pas s’en faire, que je serai ponctuelle en espérant ne pas perdre ma babouche en chemin!

jeudi 8 septembre 2011

Aujourd'hui, c'est l'anniversaire d'Alex.. (128)

   Aujourd’hui, c’est l’anniversaire d’Alex. J’ai encore du temps devant moi, je vais à la plage faire quelques brasses parmi les pélicans. Comme presque tous les jours, ils sont là à se laisser balancer par les flots, immergeant leur bec de temps en temps. J’ai dû être pélican dans une autre vie, je fais comme eux, j’aime me laisser dériver en regardant la ville auréolée de son épais nuage brunâtre, décor fascinant d’une autre dérive...
   L’anniversaire fut une réussite, le cadeau, vite déballé, consommé avec délicatesse tout au long de la soirée entrecoupée de petites pauses pour sniffer une ligne et fumer quelques joints sans oublier le champagne, enfin pas du vrai, une espèce de crémant local. Je me doutais bien que Cathy serait de la partie, c’est elle qui entama la cérémonie en m’embrassant et défaisant mes cheveux que j’avais relevés en chignon, m’aida à enlever ma robe, pendant ce temps Alex nous regardait, n’y tenant plus, il s’approcha et commença à me caresser. Nous étions complètement désinhibés, l'exaltation nous faisait passer de l’un à l’autre, se séparant, puis, à nouveau réunis dans une parfaite harmonie. Ce n’était pas ma première expérience à trois, j’avais eu une brève liaison avec un couple d’anglais au début de mon séjour en Israël. La femme n’était pas vraiment dans le coup, disons qu’elle m’avait acceptée plus par intérêt que par goût. Par contre avec Cathy et Alex, tout était clair dès le départ, j’étais juste un petit cadeau sans suite! Cathy savait ne courir aucun risque, je lui avais fait assez de confidences sur mes aventures. Au petit matin, je suis partie d’un pas léger dans la douceur de l’aube californienne. 
   La veille, j’avais promis de donner un coup de main à Dan, une des serveuse étant malade. Ce soir, je me sens des ailes, je vole de table en table, avec un grand sourire. Même Dan s’étonne et me demande à quoi je carbure! Il dit ne jamais m’avoir vue ainsi. Il se fait tard, quelques clients sont encore à la terrasse. Il faut que je leur annonce que la cuisine va fermer, que l’on ne sert plus que des plats froids. Un homme m’appelle et dit:
   -J’aimerais avoir une salade mélangée et comme dessert, toi!
   Je lui souris et réponds:
  -J’ai dit que l’on ne servait plus de plats chauds! J’apporte la salade dans quelques minutes.
  Je l’observe du coin de l’oeil, il n’est pas mal, il ressemble à un moine tibétain, ll a la boule à zéro bronzée par le soleil, il porte une longue chemise indienne et une sacoche en bandoulière remplie de bouquins. Je reviens, dépose la salade et lui souhaite bon appétit. Au moment de tourner les talons, l’homme me retient et demande à quelle heure je termine le boulot, je lui réponds:
   -Dans un quart d’heure.
   -Je t’attendrai, nous boirons un verre ensemble, tu veux bien?
   -D’accord!
  J’ai répondu sans hésitation. Il faut que je me ressaisisse, je suis en train de perdre les pédales, mais une petite voix intérieure me susurre de foncer, de ne surtout pas me poser de questions.

dimanche 4 septembre 2011

Maintenant que je suis.. (127)

   Maintenant que je suis modèle pour peintres du dimanche, je partage mon temps entre la petite académie qui se trouve deux rues plus loin, et l’atelier de Jerry située à l’autre bout de Venice. Les élèves sont en majorité des hommes; lors des séances de pose, Jerry ne peut cacher son attirance, non pas qu’il m’ait fait des avances, mais il ne peut contrôler ses érections pendant qu’il me dessine, les autres font semblant de ne pas remarquer les boursouflures au niveau de sa braguette, moi, ça m’ennuie, mais je dois tenir encore un bout de temps, il faut bien que je mange. Il m’arrive aussi de faire des remplacements au resto, pour dépanner Dan, c’est l’occasion de revoir des têtes familières. L’autre jour, le type avec la grande moustache est revenu. Il tenait à me raccompagner après le boulot, arguant l’insécurité des rues le soir. J’ai craqué, nous avons passé une nuit de baise mémorable. Moi qui avais décidé d’être sage, c’est raté, il m’a mis le feu au cul. Cathy, la finaude m’a interpellée avant-hier pendant que je buvais un café à la terrasse, me proposant la chose suivante:
  -J’ai un truc à te demander, je cherche un cadeau d’anniversaire pour Alex, mon boyfriend, j’ai pensé à toi!
   -Et en quoi cela me concerne-t-il?
  -Eh bien, Alex te trouve à son goût, j’aimerais que tu sois son cadeau, évidemment si tu es d’accord, cela va sans dire!
  -Je dois avouer que c’est la première fois que l’on me demande une telle chose, je suis un peu interloquée, mais l’idée m’amuse assez je dois dire!
  -Si tu ne veux pas te décider maintenant, tu as jusqu’à demain soir pour y réfléchir, son anniversaire c’est samedi, sinon, il faut que je trouve autre chose!
  -Attend, ce ne sont pas les filles disponibles qui manquent, tu en trouveras plus qu’Alex ne pourrait jamais en désirer!
   -Ah, non, c’est toi que je veux, pas une autre!
   -Bon, dans ce cas j’accepte, après tout, je vous aime bien tous les deux! Et puis, cela m'ôterait peut-être l’envie si je réfléchis trop!
  -Waouh! Super, c’est vraiment génial! Bon, alors comme on a dit, tu viens vers neuf heures samedi soir, et si tu rencontres Alex entre temps, tu fais semblant de rien, il faut que cela reste une surprise!
   -Tu peux y compter! Allez, maintenant je dois filer au boulot. 

vendredi 2 septembre 2011

Les jours qui suivent.. (126)

    Les jours qui suivent, je rentre fatiguée, me couche de bonne heure sans pour autant trouver le sommeil. Ce soir, je me sens perdue, je m’allonge sur mon pieu en fumant un joint, me vient alors une idée. Freinée toutes ces années par un blocage dont je n’ai jamais su la cause, je ne m’étais jamais donné la peine d’apprendre à lire ni à écrire l’hébreu de façon approfondie, je décide d'enregistrer une cassette pour Zer. J’y passe des heures en recommençant mille fois, cherchant les mots justes pour lui dire que notre histoire est terminée. Après ma nuit blanche, je suis déboussolée, consciente qu’une page importante de ma vie vient de se tourner, mais aussi bouleversée d’avoir remué tous ces sentiments gardés en moi depuis trop longtemps. Je ne suis pas vraiment triste, il faut juste que je me réhabitue à être seule. Depuis quelques jours, je me suis remise à faire des petits crobards pour occuper mes nuits sans sommeil, je n’ai pas perdu la main, c’est l’inspiration qui manque. Le boulot me vide l’esprit, j’en ai marre de courir toute la journée pour un salaire de misère quoique les pourboires soient souvent généreux. De toute façon, n’ayant qu’un visa de touriste qui expire bientôt, je risque à tout moment l’expulsion en tant que travailleuse clandestine. Depuis un certain temps, un homme vient prendre son petit dèj à la première heure, j’ai pris l’habitude de le servir, il a un beau sourire, à peine la trentaine, grand, un peu grassouillet, de long cheveux bouclés qu’il écarte d’un geste un peu féminin. Il parle peu, mais il m’a dit s'appeler Michael. Il y a quelques jours, j’ai provoqué un petit scandale à la terrasse. Michael était là, il observait la scène de loin. Un client fort désagréable m’avait parlé sur un ton qui ne m’avait pas plu, je me suis vengée en renversant du café sur son pantalon blanc, le type s’est fâché et m’a dit que j’étais une empotée. Michael avait l’air d’apprécier et souriait dans son coin. Dan appréciait moins, et a aussitôt proposé au client le remboursement du nettoyage à sec qu’il retiendrait sur ma paie et m’avertit que je devais être plus discrète, sinon il serait dans l’obligation de me virer. Il va falloir que j’envisage sérieusement de trouver un nouveau job et surtout un logement moins cher. Quelqu’un m’a parlé d’une académie qui cherche un modèle pour les cours du soir de dessin. Arrivée au resto, je retombe par hasard sur la personne qui m’avait parlé de ce travail. Jerry est peintre, il donne des cours particuliers à de petits groupes dans son atelier, et aurait lui aussi besoin de mes services en tant que modèle. Sans être certaine de rien, je parle à Dan et lui dis avoir trouvé un nouveau job, il semble soulagé et me souhaite bonne chance. Je le remercie pour tout ce qu’il a fait pour moi, nous nous quittons en bon terme. Je suis à nouveau libre comme l’air...

mercredi 31 août 2011

Je suis en plein.. (125)

   Je suis en plein rush quand je vois Zer en face du resto, le  sourire aux lèvres. Je lui fais signe de loin, j’aurai terminé dans une heure. Il est minuit quand enfin j’enlève mon tablier. Je questionne Zer sur le déroulement de la mission. Il dit que tout s’est bien passé, qu’il n’y a pas eu mort d’homme! Le type a payé sans broncher! J’ai du mal à le croire. Juste avant de s’endormir Zer me raconte comment cela s’est déroulé: 
   -Comme promis, Vince est arrivé avec ses deux acolytes tout de cuir vêtu, les bras nus couverts de tatouages. L’un d’eux frappa la grille d’entrée d’une grosse chaîne, puis la fit tournoyer en l’air tel un dresseur de lion jouant de son fouet; le bonhomme sortit en criant qu’ils devaient dégager sinon il appellerait la police, mais quand il a vu la compagnie de plus près, il a chié dans son froc et a aussitôt ouvert la grille. II avait l’argent en poche et a payé illico! C’était comme au cinéma! Ce sont vraiment des types formidables, j’ai voulu les récompenser, mais ils n’ont rien voulu entendre, ils m’ont dit que c’était tout à fait normal d’aider un ami! Je ne les oublierai pas de sitôt!
   -Ah, bon! Tu es donc bien décidé à partir, sinon tu ne dirais pas ça...
  -Bien-sûr, demain, dès la première heure, j’irai acheter mon billet, ce serait génial si tu pouvais m’accompagner?
   -Je commence à midi, j’aurai le temps, d’accord! 
   Nous nous endormons enlacés. Je me réveille en sursaut, j’ai fait un mauvais rêve. Zer est encore plongé dans le sommeil, je l’observe pendant un long moment. Dans quelques heures il sera loin. Que je ne le reverrai plus, j’en suis convaincue. Je n’ai pas cru un seul instant à son histoire de vente de maison, et tout le reste, pourtant il était sincère sur le moment, il est toujours sincère puisqu’il croit à ses affabulations. 
   Zer se tire avec élégance, je ne sais pas dans quelle mesure tout cela a été prémédité, de toute façon peu importe, je lui en sais gré. Comme convenu, je le dépose à l’aéroport, je n’attends pas, je ne supporte pas les adieux. Sur le chemin du retour, j’éclate en sanglots, je ne sais pas au juste pourquoi je pleure, pour l’instant je me laisse aller, je suis une source, fontaine de larmes, c’est tout.

dimanche 28 août 2011

Vince nous ouvre.. (124)

   Vince nous ouvre, c’est un balèze de deux mètres de haut, il nous souhaite la bienvenue et nous invite à nous asseoir à une table où des cendriers remplis à ras bord traînent entre des bouteilles vides; il se roule un pétard géant qu’il me passe après y avoir tiré une longue taf. Vince est impressionnant, bien que l’on s’aperçoive vite que c’est un brave type, le coeur sur la main, un peu trop... Dans le fond de la pièce, un garçon et une fille sont affalés sur un vieux sofa effondré, ils sont tellement stoned qu’ils ne se rendent même pas compte de notre arrivée. Zer raconte sa mésaventure, aussitôt Vince le rassure et lui dit de ne pas se faire de mouron. Il propose d’aller dès demain faire une petite virée chez le cave, il emmènera deux autres de la bande. On reste un moment à papoter, à boire quelques bières. Je n’ose pas demander en quoi consiste la «virée», de toute façon cela n’y changerait rien. En sortant de chez Vince, nous flânons sur la plage, quand soudain, Zer se met à parler de notre avenir. Il me dit qu’il y a beaucoup pensé et que si on veut rester ici, il faut s’y prendre autrement. Je lui demande ce qu’il entend par là, il me répond:
  -Voilà, je vais rentrer et vendre la maison, je reviendrai avec une belle somme pour redémarrer une nouvelle vie. Ce n’est pas avec les quelques sous que je vais toucher demain que l’on pourra faire des miracles, ceux-là me serviront à payer mon voyage. J’ai eu le temps de réfléchir à tout, crois-moi c’est ce que j’ai de mieux à faire.
  -Premièrement comment peux-tu être si sûr que Vince arrivera à convaincre l’autre de cracher, puis, négocier une maison, cela ne se fait pas en un claquement de doigts! Et de toute façon, je ne te crois pas, je sais très bien que tu en as marre, et de moi et d’être ici, tu ne rêves que d’une chose, c’est de te retrouver chez toi, au pays. Allons sois honnête!
   -Mais non, tu te trompes, je n’ai absolument pas l’intention de te laisser tomber, quant à l’Amérique, j’aime beaucoup. J’ai juste envie de réussir, et pour ça il faut du fric!
   -Je n’ai rien à ajouter, tu feras évidemment comme bon te semble, pour ma part, je me débrouillerai avec ou sans toi!
   Nous discutons encore pendant la moitié de la nuit, on s'engueule, on s’aime, peut-être pour une dernière fois. On ne sait jamais quand ce sera la dernière fois que l’on touche ce corps que l’on connaît si bien, mieux que son propre corps, cette peau dont on sait chaque parcelle, les moindres creux et plis...

mercredi 24 août 2011

Dès le départ.. (123)


   Dès le départ, j’ai eu un pressentiment concernant le nouveau travail de Zer. Il a terminé dans les délais, mais le client trouve le travail bâclé. Zer ne voit ce que l’on lui reproche, il prétend que le type cherche à l’entuber, qu’il ne veut pas payer. Je propose à Zer de l’accompagner pour me faire une idée et essayer de trouver un terrain d’entente. J’ai congé aujourd’hui, nous décidons d’y aller sans tarder. La maison est à Beverly Hills, dans une de ces avenues verdoyantes longées de palmiers. A peine devant la grille d’entrée, celle-ci s’ouvre, nous sommes attendus! Nous nous garons à l’ombre. Je préviens Zer qu’il doit me faire confiance, me laisser parler sans intervenir, ne pas me demander à tout bout de champ de traduire. Un petit bonhomme chauve et replet vient aussitôt vers nous et, s’adressant à Zer, dit:
   -Je vois que tu viens avec du renfort!
   -Bonjour monsieur, je suis la femme de Zerah.
   -Enchanté! me répond-il avec un sourire sournois.
   -Zerah m’a tout raconté, puis-je savoir pourquoi vous ne voulez pas le payer?
   -C’est très simple ma petite dame, il a tout mal foutu, venez voir vous-même!
   Arrivée à l’intérieur, le type me dit d’aller droit devant en me poussant dans le dos, à l’entrée de la salle de bain, il me bouscule carrément et dit d'un ton furieux:
   -Tiens, voilà la merde que ton mari a laissé, tu vois, tu comprends maintenant?
  Je dois dire que ce n’est pas vraiment un travail de pro. Le carrelage est mal découpé dans les coins, il y a des traces de ciment ci et là, mais vu la somme demandée, il ne devait pas s’attendre à un travail léché, ce que j’explique au gars et ajoute que quoi qu’il en soit, il doit payer. Zer trépigne, je traduis et lui dis de faire un rabais de cent dollars et qu’on en parle plus, mais il ne veut rien entendre et profère des menaces en hébreu qu’heureusement le type ne comprend pas! Zer me prend par le bras et m’entraîne dehors en disant qu’il va s’y prendre autrement, qu’il ne se laissera pas faire. Zer se retourne une dernière fois vers le bonhomme et gueule avec rage: «Wait and see!». Je me dis au moins il aura appris quelques mots d’anglais! Pendant le trajet du retour, j’encaisse quelques reproches, évidemment! Zer me fait part de son projet de vengeance. L’autre jour, en traînant à Venice, il a fait la connaissance d’un nommé Vince, un californien d’origine israélienne avec qui il a sympathisé. Vince fait partie d’une bande de motards, justiciers à leurs heures. Zer est certain que Vince et ses copains viendront à bout de ce salopard... Avant d’avoir eu le temps de protester, Zer m’emmène chez eux, ils habitent un vieil immeuble au bout de Ocean front walk où ils vivent en communauté. Zer m’avait caché qu’il leur rendait régulièrement visite. C’est donc là qu’il va pendant que je bosse et là qu’il trouve la marijuana qu’il m’a ramenée l’autre jour, il confirme. Il ne changera donc jamais, il faut toujours qu’il fasse des mystères à propos de tout et de rien!

lundi 22 août 2011

Maintenant que.. (122)


     Maintenant que l’argent rentre, on a enfin déménagé. J’ai trouvé un flat pas loin du resto, dans une vieille villa en bois qui fait le coin avec Pacific Boulevard et Ozone -petite ruelle perpendiculaire à l’Ocean Front Walk. Il y a des tas d’autres locataires dans la maison. Le meublé est situé au rez-de-chaussée, il est composé d’une pièce, d’une minuscule cuisine équipée, et une petite salle de bain. Il y a pour tout meuble qu’un grand lit, il ne reste pas beaucoup d’espace, juste assez pour une table devant la fenêtre. J’ai pris deux jours de congé pour l’installation. Zer a fabriqué une étagère sur un modèle qu’on avait vu chez Lena, il s’agit de trois planches superposées à distance égale, trouées aux extrémités, traversées de quatre épais cordages noués par dessus et dessous pour les retenir, le tout suspendu au plafond, créant une séparation entre le lit et le reste de la chambre. J’y ai posé une plante et une petite télé d’occase face au lit. Pour la table, une vieille porte soutenue par deux tréteaux. Ne nous manque plus que deux chaises et quelques objets de première nécessité; du coup j’ai retrouvé mes vieux réflexes de fouineuse de poubelles, elles sont d’une telle opulence ici! Je m’y adonne avec délectationIl suffit d’aller faire un tour dans les back-alleys pour y trouver tout ce dont on a besoin. Zer a obtenu un nouveau chantier, encore une salle de bain à refaire de A à Z, chez un ami de Jo. Il faudra qu’il se débrouille seul, je n’ai pas le temps de jouer la traductrice, mais il est confiant, il dit avoir acquis suffisamment de connaissance pour mener à bien cette tâche. Je suis soulagée de le savoir occupé: entre nous, la tension était devenue palpable. Les jours se suivent au rythme du travail, j’ai peu de loisirs, j’essaye d’aller nager dès que j’ai un moment, le dessin et encore moins la peinture ne sont au programme, je suis trop crevée de mes va-et-vient continuels à la terrasse; je suis sûre que si je devais compter la distance parcourue en une journée, cela devrait faire au moins une dizaine de kilomètres. Je ne sais pas combien de temps je vais tenir, ça me vide l’esprit, j’ai l’impression de ne plus vivre, je me sens dépossédée, je déteste ça!

samedi 20 août 2011

Je suis enfin devenue.. (121)

   Je suis enfin devenue un être humain normal, je travaille tous les jours, je rentre harassée et m’endors aussitôt. Zer, vient de terminer la salle de bain de Jo. Il s’est vraiment surpassé, tout le monde est content! Depuis il traîne désoeuvré devant le restaurant, me regardant parcourir sans cesse la très longue terrasse, les mains et les bras toujours chargés. Je n’aime pas cette situation, c’est aussi inconfortable que d’être lorgné par quelqu’un qui attend que vous ayez fini de manger pour prendre votre place au resto. Je me sens de plus en plus à l’aise parmi mes collègues, surtout avec Cathy. Elle est drôle et ressemble à une souris avec ses petits yeux brillants et son nez pointu, elle a des cheveux frisés bruns qu’elle porte en chignon désordonné, et autour du cou, toujours un petit foulard. Cathy aime provoquer Dan. Parfois, quand il est de dos, elle lui glisse subrepticement la main entre les jambes pour palper ses couilles, ce qui le met hors de lui, bien que je trouve qu’il proteste mollement en lui disant que cela ne se fait pas, qu’elle est vulgaire. Cathy a un petit ami qui vient la chercher à la fermeture. C’est un grand type aux cheveux longs décolorés, ils semblent être amoureux, enfin surtout elle, je trouve qu’ils vont bien ensemble, il a l’air aussi concupiscent qu’elle! Il y a aussi les clients, les habitués, entre autre un personnage se faisant appeler Happy. C’est un homme d’une cinquantaine d’années, les cheveux blancs pendants sur les épaules, il s’habille en femme bien que portant une barbe et moustache à la d’Artagnan. Il est maigre, ses ongles sont très longs au bout de ses doigts jaunis. Il fume clope sur clope en croisant toujours ses jambes nues parsemées de poils clairs. Juché sur ses talons hauts, en équilibre instable, il a le pas hésitant dès qu’il se met debout. Au début, il me snobait. Happy vient tous les jours boire son café que je renouvelle régulièrement (c’est la coutume ici), petit à petit je gagne sa confiance. Les originaux ne manquent pas dans le coin, surtout parmi la clientèle du resto. Il y a aussi cette grande femme, Selma, une mécanicienne. Dans son bleu de travail, les mains toujours noires de cambouis, elle vient pour le break de midi, souvent accompagnée d’un type très viril avec une moustache de gaulois qui me reluque sans cesse. Il y a aussi de temps à autre quelques acteurs qui passent incognito. En général c’est Dan qui tout fier, me les fait remarquer. Pas plus tard qu’il y a une heure, il m’a dit -T’as vu à qui tu as servi une crêpe strogonoff? Quoi, tu n’as même pas reconnu Tony Franciosa! Je lui ai répondu qu'il portait des lunettes de soleil noires, et que je ne me souviens pas l'avoir vu dans un film... Puis, il y a des gens d’une banalité totale, des solitaires, des familles avec des mômes, les gentils et les emmerdeurs, ceux pour qui j’existe et ceux pour qui je ne suis qu’une serveuse de plus, sans intérêt. Pour tenir le coup, je me dis que je suis une mère nourricière. En quelque sorte, ils ont tous besoin de moi pour recevoir ce qu’ils désirent... 

dimanche 14 août 2011

De retour à l'hôtel.. (120)

     De retour à l’hôtel, je fais le bilan de la soirée:
  -Finalement, c’est toi le plus joueur de nous deux, j’en étais sûre! Je suis trop raisonnable, et puis, vaut mieux que l’un de nous le soit! J’ai gardé de quoi faire le plein demain matin, on a encore quelques miles à parcourir.
   -Je crois que les jeux étaient trafiqués!
   -Qu’est-ce qui te fait dire ça?
   -Il y avait un type à côté de moi qui gagnait tout le temps!
   -Et alors, ça ne veut rien dire!
   -Bon, d’accord, tu ne me crois pas, hein, c’est ça?
  -Avoue que c’est un peu gros, ce n’est pas parce que ce type a gagné que t’as perdu, sois logique! Et puis, arrête de râler, si tu ne supportes pas de perdre, pourquoi avoir voulu t’y frotter et puis, n’en fais pas tout un plat, c’est la règle du jeu! De toute façon, les vacances, c’est fini! Demain on retourne à L.A. Il faudra trouver un boulot, et un logement.
   Nous quittons Vegas, la route est droite au milieu de nouvelles immensités, paysages à couper le souffle. A mis chemin, on s’arrête à Barstow. On se cale quelques crasses, vite fait et on s’engage sur le dernier tronçon de la légendaire Route 66 jusqu’à L.A. Nous arrivons en début de soirée, retrouvons Denise; les enfants nous accueillent à grands cris de joie! Nous leur racontons nos petites péripéties. Je touche quelques mots à Denise à propos de notre situation financière, elle me rassure et dit: -Dan a sûrement une solution, on en reparlera à tête reposée, allez dormir tranquille, on ne vous met pas encore à la porte! Dès le lendemain, Dan propose à Zer de prendre contact avec son frère. Il vient de parler avec lui, il cherche quelqu’un pour faire des travaux dans sa villa. Sans perdre de temps, je téléphone à mon cousin Jo. C’est d’accord, on peut s’amener dans la matinée, il me donne l’adresse, il habite Bel Air, un des quartiers les plus huppés de la ville. On arrive une heure plus tard. Ce n’est pas la toute grosse villa, mais c’est tout de même assez cossu avec un petit côté m’as-tu vu en carton pâte comme certaines maisons de Beverly Hills, tout proche. Mon cousin vient à notre rencontre, petit grassouillet comme je me l’étais imaginé. On s’embrasse, je lui présente Zer, lui explique qu’il est entrepreneur, qu’il sait tout faire. Jo se montre jovial, lui donne une tape dans le dos et dit: -T’es l’homme qu’il me faut, je vais te montrer. Je traduis au fur et à mesure. Jo nous emmène à l’intérieur du bungalow style hacienda. Nous traversons un long couloir, au bout dans une autre aile, sa chambre à coucher avec salle de bain attenante. Jo aimerait refaire la salle d’eau. Il veut remplacer la baignoire existante par une ronde et recouvrir les murs de mosaïque dans les tons bleus, quant aux deux éviers, ils peuvent rester. J’explique à Zer ce qu’on attend de lui, il me dit que c’est tout à fait faisable, ça lui prendra même pas une semaine de travail. Après de longues discussions, ils arrivent à un accord, ils iront ensemble acheter tout le matériel, Zer sera payé au forfait. Il commencera à démolir dès demain. Jo lui dit que si le travail est bien fait, il le fera savoir autour de lui, il en connaît du monde! En sortant de la maison, nous croisons sa femme revenant de son shopping accompagnée du cadet, un petit gars de trois ans environ avec des boucles blondes, ce qui m’étonne car la mère est plutôt de type méditerranéen, petite brune aux yeux noirs, on ne s’est jamais vu, encore des embrassades et présentations. Elle s’excuse de ne pas pouvoir s’attarder, elle doit repartir, un rendez-vous chez son coupe-tif qui ne peut attendre! Je sens que Zer est satisfait, il me dit: -Ils vont voir de quoi je suis capable, je vais leur en mettre plein la vue! Maintenant que Zer a du boulot, il faudra que je m’en trouve. Je ne me vois pas traînant toute seule à Venice ou ailleurs. Une fois de plus Denise et Dan me viennent en aide. Ils sont d’accord pour que je travaille au resto comme serveuse. Vu leur succès croissant, ils manquent de personnel. Ils me préviennent que ce n’est pas de tout repos. Je serai payée et traitée comme les deux autres filles et l’aide cuisinier. Je n’aurai pas à faire la plonge,  c’est le boulot de Ramon, le busboy mexicain. Mon travail consistera à prendre les commandes, servir, desservir et encaisser. Je commence à l’essai demain matin à dix heures.