jeudi 6 janvier 2011

Devant nous (6)

 Devant nous, le chemin se termine en cul de sac, au bout se dresse le mur d’enceinte  interrompu par un grand portail de pierre, fermé par une porte métallique troué d’un judas. Jacob fait tinter la cloche. Nous attendons. Il est midi, l’air tremble; pas un endroit pour se mettre à l’ombre, quelques minutes passent, enfin des pas résonnent sur le gravier, quelqu’un nous épie, c’est une petite vieille qui ouvre avec peine le lourd battant.
  -Je vais prévenir la mère supérieure de votre arrivée, entrez et attendez sur le banc, là-bas sous l’arbre..
  Je suis émerveillée, un grand jardin luxuriant s’offre à nous. Au milieu, une allée bordée de pins d’Alep mène à un bâtiment ancien en pierres du pays aux teintes beiges rosées, à droite, un autre chemin débouche sur le couvent longé d’un passage voûté soutenu par des colonnes formant l’entrée.
  Une grande femme maigre arrive vers nous, la soixantaine, tout de gris vêtue, une petite coiffe discrète dissimulée dans ses cheveux blancs.
 -Soyez les bienvenus, je suis Soeur Margaret, et vous vous devez être Jacob, je présume.
  -Je vous présente Eliette, elle restera avec moi pendant mon séjour.
  C’est la première fois que je rencontre une religieuse! Elle m’intimide avec son petit air pincé d’Anglaise, j’ai l’impression qu’elle lit mes pensées et me juge.

Nous prenons le bus (5)


  Nous prenons le bus à la gare routière centrale. On est la veille de shabbat, les gens reviennent du marché, c’est la cohue, tout le monde se bouscule et gueule à qui mieux mieux. On s’installe enfin, entouré de femmes caquetantes comme les poules affolées qu’elles tiennent par les pattes. De grands paniers débordants de légumes encombrent l’allée de l’autobus antédiluvien.
 Après une demi-heure d’attente, on démarre enfin dans le chahut des klaxons. Le couvent se trouve dans le village d’Ein-Karem, à une vingtaine de kilomètres. Jacob m’explique que jadis c’était un orphelinat, les religieuses se sont converties en une sorte de pension de famille. En fait, il faut savoir que depuis la création de l’état d’Israël, cette partie du territoire a été annexée et vidée de ses habitants, ainsi les bonnes soeurs se sont retrouvées sans orphelins, sans ressources. 
 Nous traversons des banlieues de peu d’intérêt, la route monte, le moteur s’époumone, poussé à bout par une espèce de brute portant d’énormes bacchantes rousses, le bus s’arrête pour laisser descendre deux touristes au Mont Hertzel, là se trouve le Mémorial de la Shoah. Les collines de Judée s’étendent à perte de vue. La route étroite qui descend vers le village serpente dangereusement, le chauffeur fonce allègrement et fait crisser ses pneus dans les virages. Apparemment, je suis la seule à être morte de trouille; il règne une bonne humeur, une joie de vivre parmi les passagers que l’on qualifierait d’émeute dans nos pays tristes et gris. Je vois apparaître quelques maisons sur les hauteurs, et tout en bas,  églises et clochers, le chauffeur moustachu arrête le moteur et crie: «Terminus, tout le monde descend»
  -Passe-moi ton sac, je le porterai, le couvent est au bout de ce chemin, cinq bonnes minutes à pied, ça ira?
   -T’en fais pas pour moi Jacob, je suis impatiente de voir où tu m’emmènes!