vendredi 14 janvier 2011

L'hôtel se trouve un peu en dehors (14)

  L’hôtel se trouve un peu en dehors, à dix minutes de route; j’aperçois des lumières qui scintillent dans l’obscurité la plus totale, Mansour se gare devant l’entrée de marbre, un chasseur s’approche et ouvre les portières, faisant des salamalecs. Le vieux a l’air d’être en terrain connu, et murmure quelques mots au réceptionniste qui sourit d’un air entendu et dit: «Voici la clef de la suite princière, le groom vous apportera le champagne dans un instant, si vous désirez autre chose, n’hésitez pas!». La suite est d’un kitsch sans pareil, quel goût de chiotte! me dis-je. Il y a un nombre incalculable de miroirs, guéridons, de fauteuils dégoulinants de dorures, des tentures aux drapés savants. Je me sens mal à l’aise plantée au milieu de tout ce fatras, me demandant ce que je fous là. Devenir la maîtresse de cet homme me paraît une idée abjecte, mais alors pourquoi avoir accepté de le suivre! Il y a une heure encore, pareille chose me semblait possible... La voix de Mansour me fait sursauter: «Ma chère, viens près de moi et buvons à notre rencontre!», il me tend une coupe de champagne, j’avance vers lui pour porter le toast et trébuche, éclaboussant ses vêtements du précieux liquide.
  -Je suis vraiment désolée, je ne sais pas ce qui m’arrive, je suis d’une maladresse!
  -Ce n’est rien, détends-toi. Moi, je vais en profiter pour me mettre à l’aise et passer un négligé.
  Dès qu’il a le dos tourné, je me lève comme une somnambule et me dirige vers le corridor, ouvre la porte avec précaution, la referme sans faire de bruit, et dévale quatre à quatre l’escalier, fonce au travers du hall, pousse la porte à tambour et m’élance au dehors. Là, je poursuis ma course au milieu de la route, mue par une force indicible.
  C’est une nuit sans lune, des loupiotes brillent ici et là comme des vers luisants. L’air est doux. Je cours droit devant moi. A part le son rythmé de mes pas sur l’asphalte et le hululement d’une chouette, rien ne vient perturber le silence, quel bonheur! Je me sens pousser des ailes, et redeviens un instant cette enfant sur une plage essayant de prendre son envol dans le vent. Soudain le bruit d’un moteur, le charme est rompu. Un pick-up me dépasse, ralenti, puis, fait marche arrière, le chauffeur me propose de monter.