lundi 29 octobre 2012

L'autre jour...(166)


  L’autre jour, à une petite brocante de quartier, j’ai acheté de la soie indienne, une espèce de mousseline imprimée de motifs dans les tons jaunes et blancs. J’en ai confectionné une tunique pour Norton. Il pourra la porter au mariage d’un ami israélien de Tami et Alan. Ofer, c’est le nom de l’ami, épouse une avocate qui aide occasionnellement les amis sans-le-sou. Norton les a rencontrés et se doit de faire acte de présence, du moins à la fête qui aura lieu ce soir. Il m’a demandé de l’accompagner, j’ai accepté, mais maintenant, je regrette, n’ai aucune envie d’y aller, je ne connais pas ces gens et puis, je déteste les mariages. Mais il est trop tard pour mes états d’âme, il faut que je rejoigne Norton chez lui et de là nous irons tous ensemble au fin fond de Hollywood. Norton hésite entre une chemise blanche et la tunique de soie, il dit que c’est très joli, mais qu’il n’a pas l’habitude de mettre ce genre de vêtement, c’est pas son style... Bon gré, mal gré, il met quand même la tunique jaune qui, je trouve, lui va très bien. La fête a déjà commencé. Nous saluons les mariés. Elle, américaine, plutôt grosse et très laide. Lui, me semble trop beau pour être honnête, il m’a tout l’air de ne pas l’avoir épousée pour ses beaux yeux! Nous prenons place à une des deux longues tables parmi les invités déjà en train de se goinfrer.  Malgré la piste de danse, la salle ressemble plus à une cantine. D’ailleurs, il faut se servir soi-même. Il ne reste pas grand-chose à se mettre sous la dent, ce n’est pas plus mal, les assiettes en carton n’étant pas des plus rigides. Je me sers surtout un grand gobelet de piquette californienne pour me donner du courage. Je m’ennuie ferme. Norton bavarde tranquillement avec ses voisins de table. Des couples s’avancent sur la piste de danse, la musique se fait de plus en plus tonitruante, et passe du slow à l’incontournable Hora. Norton se lève à son tour pour rejoindre le cercle des danseurs. Après un certain temps, il se tourne vers moi, me fait signe de venir. Je déteste ça, et fais non de la tête, il insiste et vient me tirer de force sur la piste. Je suis entraînée par la horde hilare. Les gens s’amusent, et moi, une fois de plus, me demande ce que je fous là; me retire dès la première occasion, retourne me servir de cet infâme picrate et observe Norton qui se donne à coeur joie dans l’apprentissage de la danse folklorique. Il est beau avec sa tunique de soie, je ne vois que lui, et pourtant, je le déteste quand il est en représentation comme en ce moment. Il se fait tard, Tami et Alan s’en vont, je pars avec eux. En sueur, Norton, nous rattrape, il aurait bien dansé jusqu’au bout de la nuit. Dans la voiture, je m’endors dans ses bras, j’aime son odeur. Demain, c’est samedi, nous passerons le week-end ensemble. Norton est déjà levé depuis une heure quand j'émerge avec une solide gueule de bois. Il est morose et sans tarder me fait un reproche.
  -Je me suis senti ridicule avec cette foutue tunique, tout le monde me regardait, je l’avais mise pour te faire plaisir, mais je ne la remettrai jamais, tu entends?
  -Par pitié, tu ne vois pas dans quel état je suis?
 -Ah! oui, il n’y a que toi pour te soûler ainsi, faut pas venir pleurer, tu n’as que ce tu mérites!
  -Tu es un monstre, je te ferais remarquer que je suis venue pour toi, je ne connais pas cette bande d’abrutis! Et la tunique, elle te va très bien! Je vais te dire ce qui ne tourne pas rond, tu as honte de moi, tu as honte de ton ombre. Tu voudrais être conforme, riche, tu es complexé, voilà ce que je pense!
  Je retourne dans mon pieu et pleure. Après un certain temps, Norton vient me rejoindre, et demande timidement pardon.   

mercredi 3 octobre 2012

Les jours se suivent... (165)


   Les jours se suivent et se ressemblent, les nuits sont différentes, plus imprévisibles. Comme l’autre soir où j’étais en train de ranger les chaises sur les tables quand un type est entré deux minutes avant la fermeture. Je l’ai gentiment envoyé promener, il m’a regardée avec insistance et a tourné les talons. Je ne l’avais jamais vu au paravent; cheveux longs, plutôt avenant, je regrettais déjà ne pas l’avoir retenu ne fut-ce que pour lui servir le dernier pour la route. Il devait être minuit en quittant le resto, à ma grande surprise, le gars aux cheveux longs était assis sur le banc d’en face. Il m’a fait signe d’approcher et m’a dit:
   -J’aurais bien envie de papoter avec toi, ça te dit?
   J’ai dit oui et lui ai proposé qu’on aille chez moi, que j’avais de quoi boire et fumer, que j’habitais à deux pas, il m’a suivi. Nous nous sommes installés en tailleur par terre, lui adossé au lit, moi lui faisant face à un mètre de distance, calée contre le mur. Une lumière venant des réverbères du parking éclairait juste ce qui fallait nos visages. Nous sommes restés ainsi  sans bouger jusqu’à l’aube. Nous avons parlé, beaucoup parlé, nous sommes partis dans des digressions labyrinthiques sans jamais perdre le fil, nous avons fait l’amour avec nos mots, nos pensées, c’était d’une intensité extrême. A plusieurs reprises j’ai été tentée de m’approcher de lui, mais n’ai pas osé par peur de casser l’enchantement. Même quand il m’a quittée, on ne s’est pas embrassé, c’était inutile, il m’a simplement dit:
   -Je pense qu’il est temps de dormir,  je te remercie pour tout.
  Il était cinq heures, les réverbères éteints. Je n’ai pas su son nom, ne le reverrai sans doute jamais.