jeudi 13 janvier 2011

L'ambiance est différente ce soir (13)

  L’ambiance est différente ce soir; un homme s’installe au bar, la soixantaine, costume trois pièces un peu démodé, moustache et cheveux teints, il porte des lunettes à monture en or, et une chevalière avec un diamant, au petit doigt. Il me commande un whisky sec, en anglais avec un accent arabe. Il m’offre une cigarette, m’observe avec beaucoup d'insistance  et me dit enfin: 
 -Puis-je me permettre de vous dire que je vous trouve très belle, il y a longtemps que pareille beauté ne m’est apparue!
  La flatte, ça fonctionne toujours un peu, malgré que ces mots sont prononcés par un personnage un rien grotesque. Il s’appelle Mansour. C’est le plus important négociant en tabac de la région, d’après ses dires, un nabab en somme! Il m’offre des verres à tire-larigot. Je me dis que c’est une aubaine, qu’il faut le ménager. Dommage que je ne puisse m’enivrer, mon rôle serait moins ardu, mais il me saoule de ses flagorneries...
  Les jours suivants, Mansour se pointe dès l’ouverture, et à chacune de ses visites, me refile un petit cadeau. L’autre fois, il avait glissé un gros billet de banque dans un paquet de clopes, et avant-hier, il m’a remis discrètement une petite boîte contenant une affreuse broche en or que je me suis empressée d’aller revendre dès le lendemain.     Ce soir, il m’avoue être tombé amoureux, qu’il ne peut plus se passer de moi, et que si je voulais devenir sa maîtresse, il me couvrirait d’or, et m’offrirait une maison avec tout le confort imaginable; il termine en me disant: «Voilà ce que je te propose, tu trouves un prétexte pour quitter le bar de bonne heure, ensuite, tu viens me retrouver, je t’attendrai deux rues plus loin dans ma voiture, une Mercedes grise»; après m’avoir chuchoté ces paroles, il file à l’anglaise. Je mets Karen au parfum, elle me dit que jamais aucun client ne lui a proposé pareille chose, que j’ai une de ces veines et qu’à ma place, elle n’hésiterait pas un instant, car il est notoire que Mansour est très riche, mais elle me prévient d’éviter à Moussa d’avoir le moindre soupçon, c’est un conseil d’amie.
  J’appelle le patron, lui dis que ce soir je me sens patraque, mal au ventre...   
 Quelques minutes plus tard, je suis assise dans la bagnole du vieux qui aussitôt commence à me peloter. Je lui fais remarquer qu’il n’est pas très discret, qu’il manque de tenue; il se confond en excuses et me propose d’aller boire un verre à l’Hilton.  J'accepte.