mardi 10 avril 2012

Toute la semaine.. (152)

  Toute la semaine fut un calvaire, je ne supporte plus ce travail débile, n’y retournerai plus, c’est décidé. J’ai amassé un petit pactole, suffisamment pour voir venir pendant quelques temps.. Demain c’est Noël. J’en n’ai rien à cirer de Noël, ni d’aucune autre fête. Je n’ai jamais supporté l’effervescence, la fausse joie de ces jours-là, même la messe de minuit au couvent. Pareil pour les fêtes juives, quoique, le seul moment que j’aimais vraiment, c’était le silence de Kippour à Jérusalem. Dans mon enfance, ni Noël, ni Kippour. Mes parents fêtaient uniquement le réveillon du nouvel an entre adultes et la Saint Nicolas pour ma soeur et moi. A cette occasion, un membre de la famille se déguisait sommairement, frappait à la porte avec un manche à balais transformé en crosse, ce qui nous foutait une de ces trouilles! Puis un beau jour j’ai reconnu ma grand-mère, qui en père fouettard n’était pas très crédible, je reconnus également mon frère, trop jeune pour le rôle du saint. Et s’en était définitivement fini des fêtes. Je n’ai jamais compris pourquoi je n’avais jamais eu droit à un sapin, je trouvais cela profondément injuste. Je m’étais juré qu’une fois grande, j’aurais chaque année un grand sapin avec plein de décorations. Ce soir pas de sapin ni ripaille, je suis seule. Vers onze heures, on frappe à la porte, je me lève, ouvre. Je reconnais aussitôt la silhouette de l’habitant du camion. Il me tend un panier rempli de raisins rouges et verts et dit:
   -Pour toi! C’est comme ça que l’on fête Noël en Espagne...
  L’homme, un peu éméché balance d’un pied sur l’autre devant la porte. Surprise, ne sachant quoi lui dire, je l’invite à boire un verre. Il accepte, avance en titubant avec grâce. Il continue de sourire et soudain me parle:
  -Il y a maintenant un moment que je suis installé sur le parking, je t’ai vue à plusieurs reprises, j’attendais simplement l’instant propice pour venir te dire bonjour, voilà qui est fait! me dit-il en rougissant et baissant la tête comme un petit garçon pris en tort.
  -Moi aussi, je t’ai vu quelques fois, je dois dire que j’étais très curieuse de savoir qui habitait ce camion!
   -Eh bien, c’est moi, Norton. Et toi, ton nom?
   -Eliette, ou Eli si tu préfères!
   -Bien Eliette, Eli contente de te connaître! 
  -Norton, assieds-toi, je vais ouvrir la bouteille de vin que je gardais pour une occasion exceptionnelle.
  Tout en tirant le bouchon, je me demande pourquoi je viens de prononcer cette phrase. Un charme fou, c'est certain, quoique son physique élancé et musclé d’ado un rien maigrichon n’est pas tout à fait à mon goût, ni la tête, disons un peu trop américaine, respirant la santé, un Henri Fonda jeune, cheveux châtain clair légèrement bouclés, yeux bleus, nez retroussé et un large sourire aux dents impeccables. Je verse le vin dans les deux uniques verres à pied en ma possession. Nous trinquons à notre rencontre.