mercredi 2 mars 2011

En passant la porte.. (60)

  En passant la porte, je remarque le sol en terre battue recouvert de sciure de bois. Au milieu, un grand comptoir; un jeune homme y est accoudé, habillé d’une veste de smoking à queue de pie, une serviette immaculée pendue à son bras gauche; un petit groupe, probablement les pêcheurs, sont assis plus loin; ils cassent la croûte et mangent du poisson. J’ai l’impression d’être entrée par mégarde dans un film de Buñuel! Le garçon parle quelques mots de français, je lui demande si on peut également avoir du poisson, il me dit qu’il n’en a pas, que ces personnes mangent ce qu’ils viennent de pêcher; ayant deviné ce que nous désirons, un homme se lève et revient avec deux truites, nous protestons par politesse; il nous fait comprendre qu’il serait heureux de partager ce peu de chose avec nous. Aussitôt, Zer fait signe au garçon de servir une tournée générale. On trinque avec les pêcheurs en les remerciants de leur générosité. Les truites sont succulentes. Les hommes nous expliquent qu’il y a un rio un peu plus loin derrière la colline, qu’il y a encore de l’eau, mais plus pour longtemps... Nous apprenons que notre distingué serveur a travaillé dans un resto à Paris. Je m’interroge sur le fait que nous ayons tourné en rond en venant ici; je déploie ma carte routière. Je demande le nom de l’endroit; les hommes répondent en coeur Trujillo, avec un sourire narquois. L’un d’eux finit par nous raconter qu’un petit malin a placé une indication en sens inverse du vrai Trujillo; ainsi certains touristes s’égarent et arrivent dans ce lieu-dit du nom de Cañada à peine lisible sur la carte. Nous quittons à regret ce petit monde accueillant.
  J’ai tracé un itinéraire pour la suite du voyage et le propose à Zer:
  -D’abord on ira à Séville. De là nous irons jusqu’au bout de la péninsule voir Gibraltar, puis nous remonterons vers Grenade.
  -Et après? me demande Zer.
 -Après on verra bien, on est libre comme l’air! Si ça nous plaît pas, on peut toujours aller ailleurs...
  -Oui, mais j’en ai un peu marre de l’Espagne, j’ai envie d’aller en Angleterre.
  -De toute façon, on n'a pas le choix, il faut se refarcir toute l’Espagne! 
  Zer est comme un môme, il s’ennuie très vite. Ce qu’il aime, c’est le changement. Et puis, il se sent trop dépendant de moi, c’est là le hic. Afin d’éviter toute dispute, je lui laisse la décision.
  -Bon d’accord à condition que l’on ne traîne pas dans tous ces endroits que tu veux visiter!
  Evidemment, je savais que ce périple ne serait pas de tout repos, que tôt ou tard des problèmes surgiraient. Depuis notre départ cela se passe plutôt bien, mais je sens qu’à la moindre contrariété ce pourrait devenir l’enfer...