Sylviane vient presque tous les dimanches soir. C’est l’amie idéale, intelligente, drôle, mais c’est elle qui décide de tout, un vrai petit dictateur! Personne n’est parfait...
Elle m’invite à passer deux jours à Eilat, on dormira sur la plage. Le lendemain, de bon matin, elle vient me chercher avec sa petite Fiat blanche, un vieux machin tape cul, à toit ouvrant!
Tout au long du voyage, elle me confie qu’elle n’est pas satisfaite, qu’il lui faut un changement radical; elle remet en cause sa vie avec Jean-François; le rôle d’épouse modèle ne lui convient pas. Je n’en saurai pas plus, elle ne sait pas elle-même de quoi elle a envie; j’ai l’impression qu’elle me cache quelque chose...
Ces deux jours se sont passés trop vite. Je retrouve Gilberte qui ne semble pas perturbée par cette amitié soudaine; elle trouve que Sylviane est une bourge. Elle ne me fait aucun reproche sur mon absence. Les jours suivants, le travail nous fait oublier nos préoccupations affectives. Pendant une semaine on ne prononce plus le nom de Sylviane. Dans la torpeur d’une après-midi, en pleine sieste, soeur Flo vient me prévenir que j’ai un appel; je descends. C’est Sylviane. En fait, elle téléphone pour m’annoncer qu’elle divorce et retourne à Paris pour continuer ses études de psychologie. Son départ est prévu pour après-demain. Je l’écoute sans prononcer un mot, je suis abasourdie et profondément blessée. Je ne comprends pas; elle devait déjà avoir pris sa décision depuis longtemps, bien avant notre petite escapade à Eilat. Pourquoi me met-elle de façon si abrupte devant le fait accompli. Je lui raccroche au nez. Je retourne dans ma piaule et m’enferme à double tour pour pleurer en toute impudence.
Le lendemain, Sylviane m’appelle et me donne rendez-vous dans le petit square en bas de son immeuble. Elle m’attend sur un banc, se lève et vient vers moi; on s’enlace, je ne peux réprimer mes larmes, elle m’embrasse doucement et dit:
-Ma petite Eli, ne sois pas triste, je ne t’ai rien dit pour ne pas te faire de la peine! Tu essayes de croire que tout a été réel, moi je te dis que tout est vrai et que ça recommencera; de toute façon, la vie n’est pas linéaire, il ne s’agit pas d’un train avec des wagons bien classés. C’est plutôt un jeu de prisme dans lequel se réfléchissent mille lumières en même temps et nous, nous essayons de neutraliser les jeux de l’Un au multiple, c’est le principal de notre activité! Cela fait du bien de tailler une bavette avec toi, mon chou! Tu sais bien que je t’aime vraiment, allons, ne fais pas la gamine et promets-moi de m’écrire, de me raconter des histoires, tu sais, les histoires parlent plus que les impressions subjectives. Il faut croire en la force du récit!