vendredi 28 janvier 2011

Sylviane.. (27)

 Sylviane vient presque tous les dimanches soir. C’est l’amie idéale, intelligente, drôle, mais c’est elle qui décide de tout, un vrai petit dictateur! Personne n’est parfait...
  Elle m’invite à passer deux jours à Eilat, on dormira sur la plage. Le lendemain, de bon matin, elle vient me chercher avec sa petite Fiat blanche, un vieux machin tape cul, à toit ouvrant!
  Tout au long du voyage, elle me confie qu’elle n’est pas satisfaite, qu’il lui faut un changement radical; elle remet en cause sa vie avec Jean-François; le rôle d’épouse modèle ne lui convient pas. Je n’en saurai pas plus, elle ne sait pas elle-même de quoi elle a envie; j’ai l’impression qu’elle me cache quelque chose...
  Ces deux jours se sont passés trop vite. Je retrouve Gilberte qui ne semble pas perturbée par cette amitié soudaine; elle trouve que Sylviane est une bourge. Elle ne me fait aucun reproche sur mon absence. Les jours suivants, le travail nous fait oublier nos préoccupations affectives. Pendant une semaine on ne prononce plus le nom de Sylviane. Dans la torpeur d’une après-midi, en pleine sieste, soeur Flo vient me prévenir que j’ai un appel; je descends. C’est Sylviane. En fait, elle téléphone pour m’annoncer qu’elle divorce et retourne à Paris pour continuer ses études de psychologie. Son départ est prévu pour après-demain. Je l’écoute sans prononcer un mot, je suis abasourdie et profondément blessée. Je ne comprends pas; elle devait déjà avoir pris sa décision depuis longtemps, bien avant notre petite escapade à Eilat. Pourquoi me met-elle de façon si abrupte devant le fait accompli. Je lui raccroche au nez. Je retourne dans ma piaule et m’enferme à double tour pour pleurer en toute impudence.
  Le lendemain, Sylviane m’appelle et me donne rendez-vous dans le petit square en bas de son immeuble. Elle m’attend sur un banc, se lève et vient vers moi; on s’enlace, je ne peux réprimer mes larmes, elle m’embrasse doucement et dit:
   -Ma petite Eli, ne sois pas triste, je ne t’ai rien dit pour ne pas te faire de la peine! Tu essayes de croire que tout a été réel, moi je te dis que tout est vrai et que ça recommencera; de toute façon, la vie n’est pas linéaire, il ne s’agit pas d’un train avec des wagons bien classés. C’est plutôt un jeu de prisme dans lequel se réfléchissent mille lumières en même temps et nous, nous essayons de neutraliser les jeux de l’Un au multiple, c’est le principal de notre activité! Cela fait du bien de tailler une bavette avec toi, mon chou! Tu sais bien que je t’aime vraiment, allons, ne fais pas la gamine et promets-moi de m’écrire, de me raconter des histoires, tu sais, les histoires parlent plus que les impressions subjectives. Il faut croire en la force du récit!
  
  

Cela fait une semaine.. (26)

    Cela fait une semaine que Lisa est arrivée et avec elle, sa mythique légèreté.
  Soeur Florenzina l’appelle mon petit papillon. Lisa est une de ces femmes qui s’arrange pour être le centre du monde et cela fonctionne presque toujours, elle possède évidemment quelques atouts, un corps de danseuse, fin et musclé, d’étonnants yeux bleus dans un visage de brune au teint mat. Elle agace très vite les femmes, les hommes se laissent appâter et sautent à pieds joints dans le collet de la séduction. J’ai souvent eu pitié de ses proies sans défense, qui tel des insectes, tombent dans une plante carnivore! Bien sûr, on me taxera de jalouse, mais il n’en est rien, elle me fascine et grâce à ses nombreuses relations, je fais parfois de belles rencontres.
  Lisa décide de me sortir de ma tour d’ivoire. Nous irons en fin d’après-midi rendre visite à Sylviane, la femme que je dois absolument rencontrer...
  Nous sommes assises dans un appartement tout ce qui a de plus banal. Sylviane nous sert à boire, elle s’affale dans un fauteuil face à nous. L’impression de vouloir masquer une grande féminité sous ses manières de garçon manqué m’apparaît évidente. Elle a un beau visage, une grande bouche sensuelle, et un regard qui me trouble. Le nez dans mon whisky, je suis intimidée. Pourtant, la conversation va bon train; de toute évidence Sylviane s’amuse et pose beaucoup de questions. Me sentant crispée, elle me taquine et finit par me mettre quelque peu à l’aise. Je la sens intriguée par mes récits sur ma vie au couvent, elle promet de venir faire une visite un de ces jours.
  En rentrant, je presse Lisa de questions, je veux tout savoir de cette femme.
  -Comment l'as-tu connue? 
 -Par son mari, Jean-François, un type sympa, mais je trouve leur couple mal assorti! Dis-moi Eliette, pourquoi toutes ces questions? 
  -Oh, simple curiosité!
  En fait, je n’arrête pas de penser à elle. 
 Quelques jours plus tard, Sylviane s’amène de son air nonchalant, abritée derrière d’énormes lunettes de soleil noires, malgré l’heure tardive.
   -Salut Eliette! Alors, c’est ici que tu crèches? Putain! Quel endroit génial!
  -Viens, faisons le tour du jardin, avant que la nuit tombe et après je te présenterai Gilberte.
   -Et Lisa, elle est où?
  -Oh, elle a rencontré un mec qui l’a emmenée dans le Sinaï, elle a encore fait une victime! Je suis très contente que tu sois venue si vite.
  -Le dimanche soir, vers dix-huit heures j’ai mon ulpan*, après je pourrais venir ici comme aujourd’hui.
  -Cela tombe bien, on ne travaille pas le dimanche. 
   Je suis étonnée et ravie que je l’intéresse un tant soit peu!


*cours intensif d'hébreu