jeudi 26 mai 2011

Depuis un certain temps..(104)

   Depuis un certain temps, Zer est très absorbé par je ne sais quoi. Ce soir, n’y tenant plus, je l’interroge avec prudence:
 -Tout va bien Zer, ou as-tu quelques raisons de ne pas me faire part de tes préoccupations?
 -Non, pas du tout! J’allais t’en parler. Alors voilà: j’ai envie d’aller aux Etats-Unis avec toi bien-sûr, voir comment c’est là-bas et peut-être y rester un moment. Je louerai la maison, nous partirons dès que j’aurai trouvé des personnes de confiance.
  -Ah! Je ne m’attendais pas à ça! Et les personnes de confiance, comme celles que tu avais dénichées la dernière fois!
  -C’est bon, si tu commences tes sarcasmes, je m’en vais seul. Tu n’as qu’à garder la maison!
  -Excuse-moi Zer, calme-toi, je disais ça pour rire! Je suis d’accord, de toute façon, tu n’irais pas très loin avec tes quelques mots d’anglais!
  -C’est vrai, j’apprendrai sur place. En attendant, tu pourrais peut-être écrire à ton cousin qui habite L.A., et voir avec lui s’il peut nous héberger dans un premier temps?
  -Mais je n’ai plus eu de contact avec eux depuis qu’ils son partis, cela fait très longtemps!
Je ne sais pas s’il serait prêt à faire un tel geste.
   -Débrouille-toi et ne perds pas de temps, j’ai envie de partir très vite. 
  -Je tâcherai de faire de mon mieux, j'appellerai mon père, il a régulièrement des nouvelles de son frère. 
   -Ah, j’allais oublier, j’ai un petit cadeau pour toi.
  Zer sort de sa poche un flacon contenant deux pilules.
   -C’est ça mon cadeau?
  -Oui, c’est du LSD, je propose qu’on les avale maintenant, histoire de fêter notre prochain départ!
   -D’accord, bonne idée, j’en ai jamais pris et toi?
   -Moi non plus. Ce sont les copains de Tel-Aviv qui me les ont refilées l’autre jour; ils ont l’habitude, c’est du garanti, je leur fais confiance.
  Nous ingurgitons les pilules et attendons qu’elles fassent leur effet. Zer propose d’aller se balader. Nous sortons bras dessus, bras dessous question de se rassurer dans notre aventure inédite.

mardi 24 mai 2011

L'échec.. (103)

  L’échec de ma démarche fut l’occasion d’une introspection. J’ai retrouvé un peu de paix avec moi-même, me suis remise à la peinture; deux petites toiles avec des groupes de personnages dans les tons rouges; l’incendie a marqué mon esprit. Dès que l’on passe la porte, l’odeur entêtante de la térébenthine assaille les narines, une vraie drogue, je ne m’étais pas rendu compte à quel point j’étais en manque. Zer est fier de montrer mon travail aux amis qui passent. Je suis hésitante par rapport au résultat, je n’avais plus touché un pinceau depuis bien longtemps; les croquis, je n’ai jamais cessé d’en faire. Gilberte est passée l’autre jour, elle m’a dit que c’était écoeurant de voir à quel point je suis douée, je ne l’ai pas crue bien-sûr, j’ai mis cela sur le compte de la bouteille de raki vidée ensemble! Laissant sous-entendre que je la délaissais ces derniers temps, Gil me fait promettre de venir lui rendre une visite à la fin de la semaine. 
  Ce matin, Zer est parti chez des amis à Tel-Aviv, je n’avais pas envie de l’accompagner. Je me sens patraque, chopé une cystite. Je décide d’aller voir Gilberte. J’entends une voix de femme par la porte entrouverte, j’appelle Gil qui vient vers moi, m’embrasse et dit:
   -Entre! ne fais pas la timide, c’est Ruth, tu sais, une amie de Paris.
  Elle m’avait parlé vaguement de cette femme plus très jeune, directrice d’une maison d’édition; parfois, je soupçonne Gilberte qui vient d’un milieu modeste d’être un peu snob dans le choix de ses relations; elle a l’art de s’entourer d’une certaine élite, en tout cas à mes yeux. Tout ça m’est bien égal, les gens me plaisent ou pas, peu m’importe leur rôle. En aparté, j'explique mon petit ennui urinaire à Gil qui aussitôt claironne:
   -Ruth, je te présente Eliette, la grande amoureuse accablée d’une cystite! Excuse-moi Eli, mais ça me fait marrer!
   Je la fusille du regard, elle se fout de ma gueule devant la bourge qui dit:
 -C'est une rencontre pour le moins étonnante, je dirais même insolite, comment des filles d’horizons aussi différents se retrouvent ensemble!
   Pour qui elle se prend cette pétasse! Je regrette d’être venue. Après une demi-heure, je m’en vais. C’est la première fois que Gil me déçoit, comment peut-elle être amie avec une femme pareille, quelque chose m’échappe...

Contrairement.. (102)

  Contrairement à l’idée que je m’étais faite, ces enfants sont comme tous les enfants du monde, il y en a qui sont plus doués que d’autres, ou ont plus de facilités à s’exprimer, leur handicap pourtant très lourd, n’y change rien. Ma préférence va au petit Hussein qui malgré la paralysie de ses deux membres inférieurs est très turbulent, très éveillé. Pour cette première après-midi, je leur demande de faire un portrait au choix, Hussein vient de terminer le mien, au bic. Absolument sans merci! Il a su mettre en évidence mes défauts façon caricature, un vrai génie cet enfant. Les autres sont encore au stade du rond pour la tête, traits pour le corps, peu importe, ils sont très concentrés. De temps en temps Warda passe voir si tout va bien, tout va, même Shoshi pour qui c’est très difficile à cause de ce foutu pouce; assise à une petite table, son crayon lui échappe constamment, je l’aide en pressant légèrement sa main dans la mienne, elle me jette des regards angoissés, je lui souris et dis que c’est bien, qu’elle y arrivera, aussitôt, elle revient à son dessin avec un peu plus d’assurance. J’essaye de donner de l’attention à chacun, ils ont l’air de m’accepter. Sans que je m’en aperçoive, le temps a filé. Warda revient et me dit:
   -Pour moi tu peux rester, mais il est l’heure! L’équipe de nuit va bientôt arriver.
  Nous bavardons encore un moment, elle dit que je m’investis trop, qu’il faut prendre plus de recul, mais que c’est normal pour un premier jour. Je la remercie pour son accueil, et ses bons conseils. Je prends congé des enfants, leur dis à demain. Je rentre à pied pour décompresser. Warda a raison, je sens une terrible tension dans tout mon corps, il faut que je prenne les choses avec plus de légèreté. Arrivée à la maison, je m’allonge sur la terrasse, Zer est déjà là, il me demande comment cela s’est passé sans vraiment attendre de réponse, il a l’air soucieux... 
 J'en suis à ma dixième après-midi avec les enfants, tout ce passe plutôt bien, mais ce soir, je suis épuisée -surtout moralement. En fait, j’ai su assez vite que je ne tiendrais pas le coup longtemps, je comprends mieux ce que Warda a voulu dire le premier jour: «Ou tu tiens ou tu tournes les talons après deux jours». J’ai cru que je serais assez forte pour affronter la souffrance de ces mômes, il n’en est rien. J’ai accumulé, puis absorbé leur peine, je ne peux pas continuer. Demain, j’annoncerai ma décision à Warda, je me sens lâche.

mercredi 18 mai 2011

Je retrouve.. (101)

  Je retrouve un Zerah harassé, les traits tirés, amaigri, il a bossé comme un dingue d’après ses dires. Pendant mon séjour, je me suis souvent demandé pourquoi il avait insisté pour que je parte en vacances, lui qui d’habitude est si jaloux. J’avais vite évincé mes soupçons, décidant de ne pas me rendre malade avec ses éventuelles incartades somme toute sans importance, n’étant pas moi-même un parangon de vertu, enfin, je ne sais pas comment appeler ces histoires de cul, disons des petits arrangements avec ma conscience. Je ne peux pas en parler à Zer qui trouve qu’un homme peut culbuter toutes les femmes qu’il croise, tandis que moi, je n’ai pas ce droit, il ne veut rien savoir de mes aventures passées. Je me souviendrai toujours du regard qu’il m’a jeté quand il a compris pour Shaï, je me dis qu’il serait capable du pire. 
  J’ai décidé de chercher un travail, j’ai envie de me mêler au monde. Par l’intermédiaire d’un copain, j’ai une entrevue ce matin pour un boulot avec des enfants handicapés, leur faire faire du dessin, du modelage, deux à trois après-midi par semaine. La clinique est située à quelques kilomètres hors du village. J’arrive à l’heure au rendez-vous; j’ai peur de ne pas être à la hauteur. Je m’annonce à l’accueil, un infirmier me dit de suivre la ligne jaune et tout au bout, la porte verte, c’est là que se trouve l’atelier. Le bâtiment est récent, le bruit de mes pas sont absorbés par un revêtement spécial, tout est calme, je n’entends rien, j’arrive devant la porte verte et frappe, ne voyant venir personne, j’entre dans la pièce éclairée par une grande baie vitrée avec vue sur les collines; au centre, six lits placés en rond occupés par des enfants de cinq à dix ans, paraplégiques, culs de jatte, corsetés, hydrocéphales. Ils sont silencieux, ils m’épient; arrive une soignante, qui d’un ton enjoué me salue, demande mon nom et fait les présentations, elle leur explique que je suis la nouvelle assistante. Dès qu’elle prononce leur nom, les mômes commencent à s’exciter, à faire du chahut. Je suis assez déconcertée. Hormis la personne avec qui j’ai eu une conversation sommaire au téléphone, je n’ai eu aucun contact. Et me voilà promue assistante, comme ça, sans référence. J’en fais part à Warda (la soignante), elle me dit:
  -Tu verras, ou tu tiens le coup, ou tu tourneras les talons dans deux jours!
  -Mais je n’ai jamais fait ce genre de travail!
  -Peu importe, ne t’en fais pas, tu ne seras pas seule, je suis là.
  Warda m’explique, montre l’armoire où est rangé le matériel de dessin et autre, elle me dit également qu’il y encore des enfants qui viennent de l’extérieur pour passer l’après-midi avec les internes. Aujourd’hui, elle attend une petite fille, qui ne devrait tarder. Quelques minutes plus tard, on frappe à la porte, c’est la gamine accompagnée de sa mère, la petite a environ cinq ans, l’enfant semble parfaitement constituée, puis c’est la consternation, à sa petite menotte droite, un pouce énorme, je n’ai jamais vu telle chose. Je suis effondrée, le silence se fait dans la petite assemblée. La mère doit partir, l’enfant pleure, s’accroche à elle, la scène est terrible, j’ai du mal à réprimer mes larmes. Warda fait ce qu’elle peut pour calmer la fillette. Munie d’une patience d’ange, elle parvient à la raisonner. La mort dans l’âme la mère s’en va, c’est la première fois qu’elle laisse l’enfant ici. Warda me dit que nous sommes au complet, c’est à moi de jouer... 

lundi 16 mai 2011

Je commence.. (100)

  Je commence à ressentir une certaine lassitude, non pas due à l’inaction mais par le vide que m’inspire tous ces allumés qui m’entourent; finalement, je ne suis nulle part à ma place, ni auprès de Zer, mais je crois qu’il est temps de rentrer. J’ai fait ma petite cure de santé, et me sens assez en forme pour affronter de nouvelles aventures avec mon majnoun..
  J’ai trouvé un stop vers Jérusalem. Il s’appelle David, je l’ai aperçu quelquefois sur la plage, sans faire très attention à lui. Je prends place dans sa vieille cage en croisant les doigts pour qu’elle ne tombe pas en panne au milieu de nulle part. On ne se dit pas grand-chose pendant la première demi-heure de route. Il fait très chaud; heureusement j’ai pris des boissons pour le trajet, je les partage avec David qui transpire à grosses gouttes. Son odeur de mâle me monte aux narines et réveille mon désir endormi depuis quelques temps. David fait une halte sous prétexte de se dégourdir les jambes. Aussitôt sortis de la bagnole, nous nous jetons l’un vers l’autre. Il me prend, appuyée sur le capot brûlant de la vieille peugeot, au bord de la route déserte. Après, on se baigne un moment avant de filer droit devant. Chemin faisant, il caresse mon genou, glisse sa main entre mes cuisses moites. Nous faisons le plein d’essence à Eilat, d’un commun accord nous ne nous y attardons pas. David me pose la question à laquelle je m’attends depuis un moment: si j’aurais envie de le revoir. Je réponds que je n’en sais rien, que oui, peut-être, enfin on verra, je lui dis qu’il n’a qu’à me laisser son numéro de téléphone. David tient à m’inviter à manger, je suggère que l’on s’arrête à Jéricho, j’aime beaucoup cet endroit. Il y a deux bouis-bouis sur la petite place où l’on sert des grillades, mais il y a trop de mouches sur les carcasses de mouton suspendues en plein soleil. Je préfère que l’on aille un peu plus loin, dans l’oasis. Par hasard, je découvre, nichées dans la verdure, quelques tables sous une tonnelle de bougainvillier. De leur vol ramé, des colibris vont d’une fleur à l’autre. Quelle aubaine, un vrai petit paradis. On s’installe à l’une des tables, un homme vient aussitôt pour nous accueillir, dépose deux verres et une grande carafe d’eau devant nous, il propose de l’agneau grillé accompagné d’une salade de tomates. L’homme s’éloigne pour raviver les braises. David m’embrasse goulûment, me dit qu’il se sent si bien avec moi qu’il n’a pas envie de me quitter, je ne dis rien, il sait que l’on ne se reverra pas.. 

mercredi 11 mai 2011

Je me remets.. (99)

  Je me remets assez vite, les brûlures se cicatrisent, j’ai reçu de la pommade et dois éviter le soleil pendant un moment. Je reste dans la palmeraie, paresse, dessine, et fume avec mes voisins. Ce matin, je me sens beaucoup mieux, plus d’étourdissements, les plaies ont disparu. Affublée d’un chapeau de paille, (cadeau de Linda), vêtue de la djellabié de Gilberte, je marche le long de l’eau quand une jeep s’arrête sur la plage. C’est un policier, il vient vers moi et me dit bonjour. Il me fait le baratin habituel, d’où je viens, depuis quand je suis là, comment je m’appelle. Lui, fait sa tournée, c’est à dire, il parcourt la côte en jeep plusieurs fois par mois et descend jusqu’au campement d’un couple d’aquaculteurs à une soixantaine de kilomètres au sud d’ici. Gershon est un petit bonhomme rondelet, moustachu, la quarantaine, plutôt sympa, il m’inspire confiance. Il me demande si j’ai envie de venir avec lui, ajoute que cela lui ferait plaisir et aussi au couple de français qui reçoit très peu de visiteurs, à part lui. Je n’hésite pas, c’est une opportunité de voir la région. Me voilà partie avec mon chauffeur grassouillet dans la jeep ouverte à tout vent, secouée par les tressautements du véhicule filant hors piste à bonne allure. Devant nous, le paysage ne change pas vraiment, toujours la mer d’huile et les montagnes à l’infini; de temps en temps, des percées donnent à voir furtivement les beautés du désert... Après une heure et demie de route, nous arrivons au campement. Une femme vient à notre rencontre, elle connaît Gershon, lui demande des nouvelles du monde civilisé, et me souhaite la bienvenue. La femme nous prépare du thé sous la tente, à la bédouine; l’installation est sommaire, mais à y mieux regarder, cela ne manque pas de confort; une génératrice ronronne à l’écart. La femme m’intimide; la quarantaine ou même plus, on devine qu’elle a dû être d’une grande beauté, elle l’est d’ailleurs toujours. En t-shirt et paréo, grande et extrêmement mince, elle se déplace avec grâce, elle parle d’une voix douce à l’accent parisien. Elle me raconte qu’elle était mannequin chez Dior. Elle a tout laissé tomber pour suivre l’homme de sa vie, justement, celui-ci arrive. Il est très jeune, doit avoir la moitié de son âge à elle; lui aussi est parfait dans son slip de bain, les cheveux décolorés par le soleil et les embruns, le corps d’athlète recouvert d’une fine pellicule de sel. Parti inspecter les filets depuis l’aurore, il vient se reposer un moment, il avance vers elle pour l’embrasser comme s’ils ne s’étaient plus vus depuis très longtemps. Ils s’aiment... 
  Gershon repartira dans deux heures, il doit régler quelques affaires, il est l’intermédiaire entre le couple et l’armée qui effectue par avion leur approvisionnement en essence et autres produits de première nécessité. Pendant ce temps, je pars me promener dans les environs. Je me retrouve sur une plage jonchée de débris de coquillages, à chacun de mes pas l’entrechoquement cristallin résonne tel un écho suspendu, amplifié par les parois des collines, remplissant le silence immémorial du désert. J’aimerais rester là, c’est exactement ce que j’aime.

dimanche 8 mai 2011

Comme chaque jour (98)

  Comme chaque jour, je fais mes brasses avant l’aube. L’atmosphère est lourde, la mer tranquille. En général, je nage une demi-heure, jusqu’à ce que le soleil se lève derrière les montagnes, ensuite je me repose, le temps de me sécher aux rayons bienfaisants. Mais ce matin le hamsin se met à souffler rendant l’air suffocant. Une grande fatigue me fait sortir de l’eau, je me couche sur le sable encore frais et m’endors.
  Je rêve que je suis debout, face à la mer, quand soudain une vague immense s'avance, se muant en un cercle parfait tournant sur lui-même, projetant de l’écume alentour; en son milieu, une clarté m’attire irrésistiblement, je fais quelques pas, happée par la source de lumière, je flotte dans un tunnel baigné de lueurs iridescentes. Je me sens fétu de paille bercé par une brise légère. Je n’ai jamais connu tel bien-être, cela ressemble à la vacuité apaisante après l’orgasme. Pendant une fraction de seconde j’ai le souvenir de mon corps, je me tâte, mais me rends compte que je ne suis plus un être de chair, je ne suis plus qu’un brin de rien, qu’un esprit dans un ailleurs. Enfin, je lâche prise pour savourer ce goût d’éternité. De plus en plus, l’idée de ma mort me gagne, telle une évidence. A un moment donné, la lumière céleste s’éteint brusquement, j’entends d’abord bruits et murmures confus, puis les voix des gens s'affairant autour de moi, je suis allongée sur un lit inconfortable du petit dispensaire. On m’explique que j’ai été victime d’une insolation, que j’aurais pu mourir si quelqu’un ne m’avait pas trouvée sur le rivage, plongée dans un profond coma.

mardi 3 mai 2011

Je suis réveillée par.. (97)

  Je suis réveillée par un grand chien noir qui me renifle, me lèche les doigts de pied, son maître l’appelle de la cabane voisine, l’hirsute me voit et s’approche, me dit bonjour, me souhaite la bienvenue dans l’oasis. Il s’appelle Alan, il vit là depuis six mois avec sa copine Linda et le chien. Il m’invite à venir prendre un thé. Je lui dis que j’arrive dans dix minutes, le temps de piquer une tête. La baignade est bonne tout comme l’accueil et le thé. Ce couple d’américains a vécu en Inde comme il se doit, et comme il se doit sont devenus bouddhistes, ils ont trouvé leur gourou à Goa, font régulièrement la navette entre ici et là-bas. Des gosses de riches apparemment. Ils sont sympas, je peux laisser mes affaires dans leur gourbi très joliment arrangé avec de la récup et bois flotté. Ils me donnent des tuyaux pour les choses d’ordre pratique, tel que le puits se trouvant au centre de l’oasis où on peut se laver; des wc secs, installés à quelques mètres plus loin sur la plage; un marchand passe le jeudi pour ravitailler ce petit monde, ils sont une quinzaine à vivre dans la palmeraie. Quelques autochtones viennent se mêler à la vie de ces nomades occidentaux, parmi eux un vieux bédouin qui a des bouts d’allumettes devant les yeux pour garder les paupières ouvertes, il vit sur la plage parmi les hippies dont il est devenu la mascotte. Je demande à mes voisins s’ils connaissent la région. Ils n’ont jamais quitté leur plage. J’ai envie de bouger. A part la route qui va jusqu’à Sharm-el-sheikh, il n’y a rien; sortir des sentiers battus est peut-être risqué à cause de mines éventuelles, je n’en sais rien, après tout on est en territoire occupé... Pour le moment, je me contente de nager, de flemmer, de regarder autour de moi. Tout le monde fume des pétards par ici et partagent sans hésiter. J’ai emmené de quoi dessiner. Chaque jour, je fais quelques croquis en tirant sur un bout de joint, que demander de plus! Je n’ai pris aucune lecture, c’eût été trop lourd et puis, ce n’est pas un endroit pour lire. Pour ce qui est du sexe, je n’ai trouvé personne, ils sont tous en couple, finalement assez conformistes sous leurs airs de baroudeurs! Je me rends compte que vivre avec Zer, d’avoir un second sexe à portée de main c'est un côté pratique de la vie à deux, dès que je me retrouve seule, le manque se fait pressant. Me revient en mémoire le Robinson qui baisait la terre dans «Vendredi ou les limbes du Pacifique» de Michel Tournier, livre que j’avais acheté lors de mon dernier voyage à Bruxelles. J’ai perdu toute notion de temps, je me sens parfaitement bien, je pense très peu à Zer, par moment je me dis que je n’ai plus envie de retourner auprès de lui, je resterais bien ici, ce n’est évidemment pas possible, il faudra bien que je revienne à l’autre réalité. J’ai enfin trouvé une certaine paix intérieure que je perdrai aussitôt de retour.