mercredi 3 juillet 2013

Aujourd’hui, mercredi... (180)


  Ne parvenant pas à fermer l’oeil, j’écoute. Ronflements, cris, chuchotements, soupirs, grincements emplissent l’obscurité. Dans ma cellule, les filles dorment à poings fermés, comment font-elles? J’ai toujours eu le sommeil léger, le moindre bruit me fait l’effet d’un choc électrique. J’attends avec impatience le jour, me repassant sans cesse le film de mes déboires. J’imagine la tête de Zer s’il venait à apprendre ma détention, lui qui a passé temps de mois en prison. Et Gilberte, elle serait capable d’en rire, enfin, je ne sais pas. Sans parler de mes parents qui bientôt seront au courant. Je finis par m’assoupir quand retentit la sonnerie, puis le bruit des pas et la matraque frappant les barreaux. La musique ne tarde pas. Quelques minutes plus tard, tout le monde se retrouve en rang pour aller au réfectoire. A peine eu le temps de faire un brin de toilette. Je crève de fatigue et de faim. Heureusement, je retrouve Kate. Elle non plus n’est pas en forme olympienne. Résignée, elle attend son sort. Les quelques tranches de pain rassis et le café - eau brunâtre sans saveur - me remettent quelque peu d’aplomb, Kate m’ayant donné sa ration de sucre. Elle dit avoir grossi de plusieurs kilos depuis son arrivée. Les jours passent dans une monotonie sans nom, ponctuée par les repas et les nuits blanches. Je ne parle à personne à part Kate. Les autres filles m’ignorent et c’est tant mieux; elles me foutent la trouille. Elle sont d’une violence extrême, se battent, s’arrachent les cheveux pour un rien.
  Aujourd’hui, mercredi, c’est le jour des visites. J’attends depuis des heures qu’on m’appelle pour aller au parloir. En revenant du déjeuner, une gardienne me fait signe de sortir du rang et me dit:
   -Tu as de la visite, suis-moi!
  La femme m’introduit dans un sas et boucle la porte derrière moi. La porte d’en face s’ouvre à son tour. Un gardien m’indique le premier compartiment dans le long parloir. Je m’assois devant la tablette sur laquelle sont disposés des téléphones de part et d’autre d’une vitre blindée. Je ne m’attendais pas à ça, je suis consternée. Deux minutes plus tard, Norton arrive et s’assoit face à moi. Il feint un sourire. Je commence à parler, mais aussitôt me rends compte qu’il faut que j’utilise le téléphone. Je soulève le cornet, Norton fait de même, on reste muets un moment, mais le temps est précieux, il le sait et commence à me raconter ce qu’il a tenté pour  me venir en aide. Toutes ses démarches ont été vaines, personne ne veut prêter le moindre sou! Norton est mal à l’aise, j’ai l’impression qu’il m’en veut quelque part d’être entraîné dans cette histoire. Je ne peux retenir mes larmes, je le supplie de me sortir de cet enfer. Je ne trouve pas d’autres mots, lui non plus, il baisse la tête. Cette foutue vitre, j’ai envie de la fracasser,  je tape avec mon poing. Norton se redresse et pose sa main sur la vitre, j’ouvre ma main et la colle sur la sienne. Comme tout cela est pathétique! Je reprends le téléphone et dis:
  -Je suis désolée, je comprends que tu ne puisses rien faire, tu n’y es pour rien, ne t’en fais pas pour moi, je m’en sortirai sans l’aide de qui que ce soit. Ne viens plus me voir, c’est trop pénible, je t'appellerai dès qu’il y aura du nouveau. 
   J’ai à peine terminé mon petit laïus quand le gardien gueule que la visite est terminée. Je ne peux rester une seconde de plus. Néanmoins, je suis Norton du regard jusqu’à ce qu’il ait disparu.