samedi 20 août 2011

Je suis enfin devenue.. (121)

   Je suis enfin devenue un être humain normal, je travaille tous les jours, je rentre harassée et m’endors aussitôt. Zer, vient de terminer la salle de bain de Jo. Il s’est vraiment surpassé, tout le monde est content! Depuis il traîne désoeuvré devant le restaurant, me regardant parcourir sans cesse la très longue terrasse, les mains et les bras toujours chargés. Je n’aime pas cette situation, c’est aussi inconfortable que d’être lorgné par quelqu’un qui attend que vous ayez fini de manger pour prendre votre place au resto. Je me sens de plus en plus à l’aise parmi mes collègues, surtout avec Cathy. Elle est drôle et ressemble à une souris avec ses petits yeux brillants et son nez pointu, elle a des cheveux frisés bruns qu’elle porte en chignon désordonné, et autour du cou, toujours un petit foulard. Cathy aime provoquer Dan. Parfois, quand il est de dos, elle lui glisse subrepticement la main entre les jambes pour palper ses couilles, ce qui le met hors de lui, bien que je trouve qu’il proteste mollement en lui disant que cela ne se fait pas, qu’elle est vulgaire. Cathy a un petit ami qui vient la chercher à la fermeture. C’est un grand type aux cheveux longs décolorés, ils semblent être amoureux, enfin surtout elle, je trouve qu’ils vont bien ensemble, il a l’air aussi concupiscent qu’elle! Il y a aussi les clients, les habitués, entre autre un personnage se faisant appeler Happy. C’est un homme d’une cinquantaine d’années, les cheveux blancs pendants sur les épaules, il s’habille en femme bien que portant une barbe et moustache à la d’Artagnan. Il est maigre, ses ongles sont très longs au bout de ses doigts jaunis. Il fume clope sur clope en croisant toujours ses jambes nues parsemées de poils clairs. Juché sur ses talons hauts, en équilibre instable, il a le pas hésitant dès qu’il se met debout. Au début, il me snobait. Happy vient tous les jours boire son café que je renouvelle régulièrement (c’est la coutume ici), petit à petit je gagne sa confiance. Les originaux ne manquent pas dans le coin, surtout parmi la clientèle du resto. Il y a aussi cette grande femme, Selma, une mécanicienne. Dans son bleu de travail, les mains toujours noires de cambouis, elle vient pour le break de midi, souvent accompagnée d’un type très viril avec une moustache de gaulois qui me reluque sans cesse. Il y a aussi de temps à autre quelques acteurs qui passent incognito. En général c’est Dan qui tout fier, me les fait remarquer. Pas plus tard qu’il y a une heure, il m’a dit -T’as vu à qui tu as servi une crêpe strogonoff? Quoi, tu n’as même pas reconnu Tony Franciosa! Je lui ai répondu qu'il portait des lunettes de soleil noires, et que je ne me souviens pas l'avoir vu dans un film... Puis, il y a des gens d’une banalité totale, des solitaires, des familles avec des mômes, les gentils et les emmerdeurs, ceux pour qui j’existe et ceux pour qui je ne suis qu’une serveuse de plus, sans intérêt. Pour tenir le coup, je me dis que je suis une mère nourricière. En quelque sorte, ils ont tous besoin de moi pour recevoir ce qu’ils désirent...