samedi 19 février 2011

Chaï habite.. (49)

  Chaï habite dans de la vieille cité. Nous passons par un labyrinthe de venelles. On s’arrête devant une énorme porte en bois, Chaï frappe quatre coups. Un vieil homme coiffé d’un keffieh ouvre la porte en nous souhaitant la bienvenue en arabe, Chaï me présente Mahmoud, l’homme à tout faire. Nous laissons Guil aux soins de Mahmoud qui l’emmène dans un coin de la cour intérieure aménagée en écurie. J’emboîte le pas à mon guide qui s’engouffre dans un long couloir pavé de dalles en pierre, et aux murs chaulés. Tout au bout, Chaï déverrouille une porte et me laisse passer.
  -Soyez la bienvenue chez moi, princesse! Mets-toi à l’aise, je vais chercher de l’eau.
  Je regarde autour de moi, il y a plein de bouquins partout et quelques très vieux kilims, c’est assez agréable malgré le bordel; maintenant, ce qu’il me faudrait pour être tout à fait bien, c’est un bon petit joint, me dis-je. Le maître de céans revient avec une carafe d’eau fraîche, me sert un grand verre et dit:
  -Je suis sûr qu’un peu de hash ne sera pas de refus?
 -C’est justement ce à quoi je pensais. Ne serais-tu pas un peu sorcier à tes temps perdus?
  -Non madame, je suis le grand devin de Jérusalem, pour vous servir!
  Chaï prépare avec cérémonie un narghilé et me passe le tuyau d’un geste élégant. J’aspire la fumée doucement pour ne pas m’étouffer; aussitôt je ressens un délicieux  bien-être.
  -Je vois que j’ai à faire à une initiée, en général les femmes n’aiment pas le narghilé.
  Chaï s’approche de moi, me prend par la main et dit:
  -Viens, je voudrais te montrer quelque chose.
  -Ah, des estampes japonaises, je suppose! lui dis-je en riant, mais ma feinte tombe à plat, cela ne doit pas faire partie des formules de dragues locales. Je lui explique que c’est une façon éculée dans la vieille Europe pour faire comprendre à une fille qu’on a envie de la baiser.
  -C’est à peu près ce que je voulais dire, mais avant, j’aimerais que tu viennes sur le toit pour admirer la ville de là-haut, tu verras, c’est grandiose!
  En effet, c’est un point de vue tout à fait particulier. Les toits en dômes s’étalent jusqu’aux confins des remparts, mer chimérique dont surgit le rutilant Dôme du Rocher. Il y a une vie parallèle sur les toits; des gens y dorment dans des cabanes de fortune, d’autres y font à manger, ou y pendent leurs linges; il est possible de circuler d’un toit à l’autre, mais l’heure n’est pas à la promenade. 
  En me laissant tomber sur la couche de Chaï, de petits clapotis retentissent dans le silence de la chambre, le matelas d’eau me berce au moindre mouvement. Chaï me rejoint et c’est la forte houle; il me serre dans ses bras. A moi la tempête, les rafales, les trombes et déluges!

L'envie de peindre.. (48)

   L’envie de peindre m’est revenue aujourd’hui. N’ayant pas le matériel nécessaire, je me remets au dessin. J’ai installé mon barda sur la grande table près de la fenêtre où je peux observer sans être vue. De temps en temps, je lève la tête; alentour rien ne bouge, tout est engourdi comme si la vallée avait subi un sort funeste jeté par un djinn malfaisant. Je suis tellement concentrée, que je n’ai pas vu le temps passer; déjà le soleil disparaît derrière les collines. Je me lève et m’étire devant la porte ouverte. Une légère brise s’est levée, rafraîchissant l’atmosphère. Soudain, j’entends un hennissement, un cavalier passe  et me salue, il se dirige vers la maison, il descend de sa monture. L’homme est impressionnant, il porte une longue barbe noire taillée droit.
  -Excuse-moi de te déranger, me dit-il, mais mon cheval a soif, aurais-tu de l’eau?
  -Bien-sûr, je vais chercher une bassine, tu n’as qu’à plonger le seau dans la citerne.
  -Merci! On se promène depuis longtemps, on vient de la vieille ville!
  -Ca fait une fameuse trotte! Comment fais-tu pour éviter les grandes artères?
  -J’ai mon itinéraire, qui, ma foi, n’est pas direct, mais tranquille et agréable.
  -Alors là, tu m’épates, je serais bien curieuse de le connaître!
  -Rien de plus simple, si tu veux, je t’emmène, mais d’abord, j’aimerais me reposer un peu, qu’en penses-tu?
  -Oh oui! D’accord, en attendant, je te fais un café.
  Tout à ma besogne, je l’observe du coin de l’oeil, il a l’air vachement sympa...
  -Voilà le café. Entre parenthèse, moi c’est Eliette et toi?
  -Entre parenthèse, c’est Chaï, dit-il en riant.
  -Pourquoi ris-tu?
  -Pour la parenthèse!
  -Et ton cheval, il a un nom?
  -Lui, c’est Guil, maintenant que les présentations sont faites, on peut se mettre en route? As-tu déjà monté?
 -Oui, j’ai fait un an ou deux d’équitation, mais un jour j’ai dû monter à cru, je suis tombée et j’ai failli me casser une jambe, cela m’a découragé.
  Nous cheminons par les méandres des collines en direction de la ville. Les bras autour de la taille de mon cavalier, je me sens bien. Au loin, j’aperçois déjà les remparts baignant dans les derniers rayons dorés du couchant.