lundi 17 janvier 2011

Petit à petit.. (17)

   Petit à petit, je m’adapte à ma nouvelle vie, et me lève à l’heure où je me couchais. A présent mon corps est meurtri à force de bêcher, biner, sarcler, semer... Gilberte semble  satisfaite de mon travail, mais se montre exigeante, et m’encourage en disant: C’est bien bonhomme, tu souffres, c’est le métier qui rentre! 
  Cela fait deux semaines que je bosse au jardin, et n’ai plus franchi les murs depuis; je fais partie de la communauté en quelque sorte, d’ailleurs, les soeurs m’ont donné leur bénédiction, et je suis logée, nourrie, blanchie en compensation de mon travail. Les derniers temps, il y a plus de monde au couvent, c’est la saison d’été qui commence. L’endroit attire pas mal de marginaux, de doux dingues, d’ailleurs, il paraît que c’est l’apanage de la Ville Sainte, on parle même du syndrome de Jérusalem. 
  Aujourd’hui, Gilberte prend les choses à bras le corps, nous allons repiquer du gazon sur une grande parcelle du jardin d’agrément. Cela fait des heures qu’on est là le dos courbé,  c’est un travail éreintant, soudain en nous redressant, nous sommes témoins d’une apparition. A quelques mètres, une sylphide avance, ses pieds effleurent à peine le sol, elle est habillée d’une longue robe blanche, un voile transparent entourent ses épaules nues, elle tient une ombrelle protégeant son visage d’une blancheur nacrée, un sourire béat entrouvre ses lèvres vermeilles. Gilberte me flanque un coup de coude et dit en chuchotant:
  -Tu vois ce que je vois?
  -Je crois  bien Gil.
  -Non mais sérieusement, tu as vu ça?
  -Oui, c’est une fille, c’est tout! (j’essaye de minimiser sa fascination qui m’agace un peu, mais je suis tout autant émerveillée qu’elle par cette grâce céleste..)
  Nous la suivons du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse. Nous n’avons plus le coeur à l’ouvrage. Gilberte me propose de venir la rejoindre plus tard dans la soirée pour boire un verre et discuter de l’apparition.