mardi 22 mars 2011

C'est une belle journée.. (80)

  C’est une belle journée de Kippour, j’adore cette parenthèse silencieuse où tout est calme et serein, pas le moindre bruit de moteur, ni de radio, rien. J’aperçois quelques hommes qui montent au village, le châle de prière sous le bras. Soudain, au beau milieu du recueillement, les sirènes se mettent à hurler pendant un long moment, je ne comprends pas ce qui se passe. A peine quelques secondes plus tard, j’entends des voitures qui démarrent, des gens qui crient. J’allume la radio, une voix grave fait un appel à la mobilisation, Israël vient d’être attaquée... Je ne sais que faire, je suis très impressionnée par ce branle-bas et décide d’aller retrouver Gilberte. Au village, c’est la pagaille, les gens courent en tous sens, les hommes sortent des maisons, habillés pour le combat, font leurs adieux à la famille et sautent dans leur voiture en toute hâte. Arrivée au couvent, je trouve tout le monde réuni dans la salle à manger autour du poste.
   Gilberte vient vers moi, m’embrasse et me dit:
  -Ma pauvre petite, c’est la guerre! 
 -Oui, j’étais à la maison quand ces foutues sirènes ont commencé leur plainte infernale, j’en suis toute bouleversée.
  -T’en fais pas, je suis là. Mais où est Zerah?
  -Je n’en sais rien, il est parti hier matin pour terminer un chantier et ne l’ai plus revu!
  -Il réapparaîtra bien, tôt ou tard, tu le connais!
  -Oui, je suppose...
 -Pour l’instant, reste ici, on écoutera les nouvelles, peut-être que tout rentrera dans l’ordre d’ici un jour ou deux. 
  Je me mets à chialer pour des raisons confuses; le fait d’être abandonnée par Zer dans  un pareil moment; une atmosphère étrange où les autres prennent une importance toute nouvelle, et puis cette vague étrange qui envahit les êtres, mélange d’euphorie, de peur, et d’incertitude qui rompt le quotidien. J’explique à Gil que je me sens en dehors des événements, un peu comme un personnage en quête du rôle qui n’a jamais été écrit pour lui; Gilberte me répond que c’est naturel, qu’au fond si on gratte un peu, tout le monde éprouve des sentiments similaires. Nous discutons encore jusque tard dans l’après-midi; bientôt la nuit va tomber, il faut que je rentre. Gilberte me promet de passer demain pour m’aider à descendre les meubles.

Le lendemain (79)

   Le lendemain, Zer revient en chantonnant et fait comme si de rien n’était, je fais de même. Je commence par mettre un peu d’ordre, à effacer les traces du passage des deux greluches. Je demande l’aide de Zer pour descendre le matelas rangé à l’étage; contrarié, il s’exécute avec rage, il dit être pressé car il doit se rendre en ville pour terminer un petit chantier avant les fêtes; j’en profite pour me faire déposer au marché car demain soir commence Kippour. C’est la foule des grands jours à Mahané Yehouda. La foule se presse devant les échoppes comme si le jeûne devait durer indéfiniment...
  De retour à la maison, je continue rangement et nettoyage. Je travaille jusque tard dans la soirée. Il reste encore pas mal de choses à descendre et surtout quelques gros meubles, je me dis que cela pourra attendre demain. C’est la seconde soirée que je passe seule, Zer n’est toujours pas rentré, pourtant je lui avais dit que je préparerais quelques plats yéménites pour fêter nos retrouvailles, il m’avait promis d’être là pour déguster le potage avec du zhoug, halba et lahouh dont il raffole. Je l’attends toute la nuit...
  Au matin, pas de Zer à l’horizon. Je continue le transbahutage pendant une grande partie de la journée. Dans quelques heures il fera nuit, tout s’arrêtera, tout le monde mangera plus que d’habitude. Je n’ai pas d’appétit quand je suis seule. Je passe la soirée à lire distraitement, je relis dix fois la même phrase, mes pensées vagabondent à chaque mot, je m’acharne mais ne parviens pas à me concentrer. J’irais bien me promener, mais sans les chiens le coeur n’y est pas; Zer a donné les chiens ou plutôt il s’en est débarrassé,  quand il n’aime plus, il abandonne. Je me dis que bientôt ce sera mon tour, à moins que ce ne soit déjà le cas, pourtant, par moment j’ai le sentiment qu’il tient à moi, (ne parlons pas d’amour). Je ne sais pas ce que j’éprouve ni pourquoi je m’acharne à vouloir continuer cette étrange relation.