mercredi 20 mars 2013

En fin de journée.. (179)


  En fin de journée, une gardienne vient me chercher, elle m’annonce que l’on a déjà procédé à un examen préliminaire de mon cas. Je peux sortir en payant une caution de deux mille dollars à condition de quitter le territoire dans les cinq jours! En attendant, elle me remet quelques jetons pour le téléphone. L’appareil mural se trouve dans le grand couloir. On me surveille depuis une cage de verre en surplomb. Je tourne le dos aux regards des matonnes. Avec fébrilité, je forme le numéro de Norton. J’ai peur qu’il n’y ait personne. Après une dizaine de secondes, je m’apprête à raccrocher quand enfin sa voix résonne. Je n’arrive pas à prononcer un mot. De l’autre côté Norton s’impatiente:
   -Oui, j’écoute, il y a quelqu’un? Eli c’est toi?
   -Oui, c’est moi! Comment t’as su que c’était moi?
   -Allons, ça fait trois jours que j’attends, tu te rends compte, je suis fou d’inquiétude, que s’est-il passé?
  Je lui raconte tout, le supplie de me sortir d’ici, de trouver deux mille dollars. Il n’a qu’à se mettre en rapport avec mon cousin ou peut-être avec cet homme pour qui on a trimé sur le bateau, lui pourrait avancer l’argent puisqu’il s’agit d’un emprunt momentané. Norton viendra mercredi pour la visite, ça lui laisse quelques jours pour manoeuvrer. Je lui demande également de m’apporter quelques bricoles indispensables. Il dit que je ne dois pas m’en faire, qu’il ne me laissera pas tomber. Tous les jetons ont été avalés, la ligne coupée nette, je reste plantée le cornet sur mon coeur. Un torrent de larme jaillit, je lance des coups de pied contre le mur, une gardienne arrive, me dit de me calmer et m’entraîne de force refermant les barreaux derrière moi. Je rejoins ma cellule en somnambule, me jette sur mon grabat. Je suis accueillie par des remarques persifleuses du genre: - Elle pleure car sa maman n’est pas là, que son papa n’est pas là non plus, qu’elle se sent seule au monde la pov‘ p’tite - J’enfouis ma tête sous mon oreiller, ne plus entendre leurs conneries; je veux dormir, encore et encore, la seule façon de surmonter cette épreuve, mais rien n’y fait, je ne parviens pas à faire abstraction de tout le vacarme qui m’entoure. Je sais que tout cela, j’aurais pu l’éviter, mais on a beau savoir des choses, on les fait malgré tout. Je suppose que c’est ainsi que l’on grandit. J’ai toujours trouvé que la vie devait commencer par la fin, on naîtrait avec une certaine connaissance et on finirait sans cette connaissance! Mais en attendant, il faut que je puisse sortir d’ici sans trop de mal. Je me sens honteuse par moment, ce qui est évidemment ridicule! J’ai toujours été une inadaptée, c’est là mon problème, ce sentiment d’être exclue du monde dans lequel je me trouve par le plus pur des hasards, et surtout ici même, c’est l’absurdité au carré! Entre-temps, la nuit est tombée, c’est l’extinction des lumières, et de la musique tonitruante, suivi du bouclage des cellules. Mes compagnes s’allongent sur leur pieu et tendent entre les barreaux le bras gauche, celui garni du bracelet. Je fais de même, et attends de voir ce qui va se passer. La position est inconfortable, je demande à la voisine du dessous combien de temps il faut rester ainsi, elle me répond de la boucler si je ne veux pas rester le bras hors de la cage la nuit durant. Après un moment, une des surveillantes arrive à notre hauteur. A l’aide d’une lampe torche, elle examine chaque bracelet avec minutie, ce qui me semble du zèle mal placé! Comme si on pouvait s’enfuir d’ici! Dès que la matone est hors de vue, je retire mon bras. Mais aussitôt, elle revient et m’engueule et dit que tant que le contrôle n’est pas terminé, tout le monde doit laisser son bras à l’extérieur. Pour cette fois, elle ne m’en tiendra pas rigueur parce que je suis nouvelle. Me voilà avertie...