mardi 8 mai 2012

Je n'ai même plus.. (155)


   Je n’ai même plus besoin d’aller à la fenêtre pour voir qui arrive sur le parking, je reconnais la Barracuda au bruit du moteur. Yaël s’affale sur mon lit et dans un murmure dit:
   -Je suis amoureuse! J’ai rencontré l’homme de ma vie! Figure-toi que hier, en allant au Safeway, un visage m’est apparu dans une trouée entre les boîtes de conserve. Il m’a tant plu que je me suis aussitôt rendue dans l’allée voisine pour le suivre. Je ne l’ai pas quitté d’une semelle de peur de le perdre de vue, j’ai fait la file à la caisse voisine pour pouvoir sortir en même temps que lui. Puis, je l’ai suivi jusqu’à sa voiture, c’était une caisse blanche. Je me suis précipitée vers la mienne et attendu qu’il démarre. J’ai roulé à une certaine distance pour ne pas me faire repérer, heureusement, il n’allait pas très vite, j’ai pu le pister jusque devant sa maison. J’ai attendu un long moment espérant le voir ressortir, mais il n’a plus bougé de chez lui et je me suis endormie. En me réveillant, sa voiture n’était plus là. Je suis allée jusqu’à sa porte pour lire son nom, mais il n’y en avait pas, ni sur la boîte aux lettres, alors je suis repartie.
   -Pourquoi tu n’as pas laissé un mot?
   -Je n’avais pas de quoi écrire! Mais, j’y retournerai ce soir.
   -Et il est comment?
  -Il est beau comme un ange! Mais toi, qu’est-ce qui t’arrives, je ne t’ai jamais vu aussi rayonnante, aurais-tu rencontré le prince charmant?
  -Tu vas pas me croire, je suis également tombée amoureuse d’un ange, mais moi j’ai passé deux jours avec lui!
   -Pas besoin de passer la nuit avec un ange, ils n’ont pas de sexe!
  -C’est vrai! D’ailleurs, je dois avouer qu’il n’est pas ce qu’on pourrait appeler un tringleur,  et puis, on était passablement ivre, mais de toute façon, cette fois, ce n’est pas une histoire de baise. Quand tu le verras, tu comprendras!
   -Oh, raconte, je veux tout savoir!
  -Mais je ne sais pas grand chose! Il est très discret, et parle doucement, un peu plus fort que toi tout de même! Il s’appelle Norton, il apprend la danse classique, ça lui a pris sur le tard, il y a un an, à vingt-sept ans. Il gagne sa croûte en faisant des petits boulots ici et là, enfin, d’après ce que j’ai cru comprendre, c’est lui qui habite le camion qui se trouve sur le parking. C’est l’aîné d’une famille de trois, une soeur et un frère; sa mère s’est remariée avec un prêcheur qu’il ne semble pas porter dans son coeur, il en a bavé, je crois. Il les a quitté et depuis a bourlingué dans tout le pays. Depuis peu, il a décidé de rester ici pendant un temps. Sinon, je sais qu’il pratique la macrobiotique, un ascète en quelque sorte! Voilà, je ne sais pas plus de mon son of a preacher man!
   -Ah, oui, cool! Comme la chanson! me dit Yaël, qui en fredonne quelques notes. 
  -T’as pas envie de sortir, marcher au bord de l’eau, j’en marre d’être dans cette piaule, allez viens Yaël!