mercredi 29 février 2012

C'est ma deuxième semaine.. (148)

  C’est ma deuxième semaine au turbin, je suis encore dans une bonne moyenne, cependant j’entrevois que le vent peut tourner à tout moment, c’est comme au jeu. Pour l’instant, Ethan, l’homme au regard diabolique, occupe mon esprit. Chaque fois que je le croise, je suis aimantée, pourtant, je sais qu’il ne faut pas, mon instinct me dicte de rester à l’écart, mais c’est plus fort que moi. Aujourd’hui, après le boulot, je vais le filer en voiture, et repérer sa maison. On se retrouve dans l’ascenseur, entouré de trois autres vendeurs, il fait semblant de ne pas me voir. Sur le parking, Ethan se dirige vers une vieille caisse. Avant d’ouvrir la portière, il regarde vers moi et dit -A ce soir! Interloquée, je n’ai même pas le temps de lui répondre, il démarre en trombe. A la faveur d’un feu rouge, je le rattrape à distance suffisante. Après une dizaine de minutes, il tourne à droite dans une rue d’un quartier de petits pavillons pouilleux, il s’arrête devant l’un d’eux, s’y engouffre. Je me gare à quelques mètres. Je reste un moment à attendre, je suppose que c’est là qu’il crèche. Je note le numéro de la maison, et redémarre lentement pour lire le nom de la rue et rentre chez moi. Je passe le reste de la journée à lire, je tente même quelques croquis tout en pensant si oui ou non je vais aller à l’étrange rendez-vous. Quand je suis indécise, je tire à la courte paille à ma façon, c’est à dire que je compte, par exemple, combien de voitures sont garées sur le parking d’en face, si le nombre est pair, c’est bon, j’y vais! Le nombre est pair, mais deux secondes après, un vieux camion déglingué se fraie une place à gauche de l’entrée. Mais il ne compte pas, non, le nombre était bien pair avant qu’il n’arrive... je fume un joint, me prépare à partir, quand le téléphone sonne. C’est Yaël, elle voulait passer. Je lui explique que je vais rendre une visite à Ethan. Un long silence suit, puis elle dit:
    -Je n’ai pas de conseils à te donner, mais si tu veux te jeter dans la gueule du loup, à toi de voir, ce type est un cinglé pas très «gentil» d’après la rumeur, moi, il me fait peur!
    -A t’entendre, il serait un serial killer
    -Eliette, que veux-tu que je te dise, fais comme tu le sens, on se voit demain?
    -Ok, demain dans l’après-midi, après le boulot, ne viens pas trop tôt!
   Malgré les mises en garde, j’y vais, tant pis, je signe peut-être mon arrêt de mort, je m’en fous. Je retrouve sans difficulté la rue, le petit pavillon. Sa bagnole est toujours à la même place. De la fenêtre, une faible lumière filtre au travers de rideaux aux motifs de feuillage stylisé dans les tons vert ocre. Je m’avance et sonne. Deux secondes plus tard, je suis face à Ethan. Pas étonné de me voir, il dit:
   -T’en as mis du temps, viens, j’ai quelques coups de fil à donner et après je suis à toi!
  Je m’installe dans un fauteuil, regarde autour de moi. Tout est neutre, aucun objet personnel à part quelques vêtements jetés ici et là, quelques magazines et journaux en hébreu; un intérieur déprimant de meublé peu cher. Entre-temps, il appelle des copains, je n’écoute pas, trop absorbée à détailler l’endroit. Cinq minutes plus tard, Ethan vient vers moi et dit:
    -J’ai invité quelques potes.
    -Ah bon! Pourquoi? tu as peur de t’ennuyer tout seul avec moi?
   -Ecoute, je sais que tu veux baiser avec moi, mais pour cela j’aimerais en faire profiter mes amis!
    -C’est bien ce que je disais, tout seul tu n’y arriverais pas en quelque sorte?
    -Disons que c’est plus excitant!
  Je me lève et fais mine de partir, Ethan me rattrape avec brutalité, m’embrasse avec fureur, me susurre qu’il me veut, que je dois rester. Après tout, n’est-ce pas ça que je suis venue chercher, et ajoute que de toute façon, je n’ai plus le choix, qu’ils vont arriver d’un moment à l’autre. Je n’essaye pas de me sauver, ne résiste pas...

samedi 18 février 2012

Tout se passe trop vite.. (147)

   Tout se passe trop vite, le déménagement imprévu me plonge dans l’incertitude. Vais-je gagner assez pour payer les loyers futurs. Il y a aussi la question du permis de séjour qui me turlupine. De toute façon, j’ai encore un mois et demi de bon. Au boulot, la plupart des gens sont dans la même situation, ils n’ont pas l’air de s’en faire plus que ça! Je prends une douche rapide, me pomponne. Un peu angoissée à l’idée de rencontrer des inconnus, j’avale une pilule qu’un «collègue» m’a refilée l’autre jour, un truc supposé donner la pêche. Je me rends chez Don qui me présente à ses amis, trois garçons et deux filles, je reconnais l’une d’elles, c’est la voisine d’en face, Rita. Je me sens un peu perdue dans cette assemblée; les garçons parlent du moteur de la Lincoln Continental que Don a démonté; les filles ne se disent rien, moi je bois du vin. Don annonce que le chili est prêt, et dépose la casserole sur la table -pas de chichis, chacun puise à sa guise. Ce n’est pas mon plat préféré, mais le trouve assez réussi, et puis, je n’ai pas à faire la fine bouche, les invitations se font rares. Le vin aidant je me décontracte. Après le repas, un des invités prépare un boulon avec une herbe maison, qui, à ses dires est super bonne. A moi l’honneur de tirer la première. Après quelques bouffées, je deviens euphorique et en oublie de faire passer le joint. Je me fais houspiller gentiment. Je me sens à l’étroit dans la petite cuisine, me lève, sors prendre l’air doux du soir. Je passe de l’euphorie à un état d’angoisse, je me dis que ce sont les mélanges, l’herbe, le mauvais vin, et surtout, j’allais oublier, ce machin avalé avant de venir. J’ai la tête dans un étau, un besoin de m’allonger, file en douce dans la chambre de Don, me couche sur son lit et somnole, m’endors presque quand soudain j’entends des chuchotements. C’est Don, il dit à Rita -Désolé, mais je crois que la place est déjà prise! Rita répond -Pas grave, elle m’a devancée, ce n’est que partie remise! J’essaye de dire quelque chose, mais bredouille, gémis des mots incompréhensibles. Don s’allonge près de moi. Sa présence me réconforte, je suis désemparée, je vais mourir, j’en suis sûre. Don me serre contre lui, me berce, me parle avec douceur comme à un enfant qui a peur du noir. Je suis secouée de tremblements. Mon coeur s’emballe. Je secoue la tête tandis que mes jambes se raidissent puis mes bras, mes mains qui se tordent, je veux crier mais aucun son ne sort de ma gorge. Il me semble que cela n’en finit pas. Après combien de temps, je ne sais pas, je lâche prise, accepte l’idée de mourir. Petit à petit l’angoisse s’éloigne faisant place à un apaisement qui m’envahit lentement. Malgré mon épuisement, je me débarrasse de ma robe. Sentir ma peau contre la sienne, besoin d’être caressée, consolée. J’ai une furieuse envie de me sentir vivante.

samedi 11 février 2012

Bien des choses.. (146)

   Bien des choses ont changé depuis quelques jours; pas de traces de Julia. Je croise Michaël, lui demande où elle est, il me répond d’un ton sec:
   -Envolée!
   -Bon, tu ne veux pas m’en dire plus, c’est ça?
   -Qu’es-ce que tu en as à foutre de Julia!
  -Michaël, je ne te demande pas de m’expliquer pourquoi elle est partie, mais simplement où elle est, il n’y a pas de mal à ça!
  -Oh, vous les bonnes femmes, vous êtes toutes les mêmes! des emmerdeuses, d’ailleurs, j’en ai marre de toi aussi, je veux que tu quittes l’appart, encore aujourd’hui, c’est compris?
  -Mais Michaël, il est une heure de l’après-midi, il faut que je m’organise! tu ne voudrais quand même pas que je me retrouve à la rue?
   -J’en ai rien à cirer, fais ton baluchon et tire-toi! 
   -D’accord! 
  Michaël s’en va en claquant la porte. Me voilà dans de beaux draps. Je sens bien qu’il ne servirait à rien d’essayer de le convaincre, de lui demander un sursit, ne fût-ce qu’un jour de plus. Il vaut mieux que je m’en aille au plus vite, mais où? Je m’assois sur le pas de la porte, allume une clope. Sur ces entrefaites Don sort de chez lui, me regarde et dit:
   -Hello Eliette, qu’est-ce qui se passe, ça n’a pas l’air d’aller?
   Je lui explique en deux mots,  aussitôt il me propose son aide et dit:
  -Tu sais, l’appart dans le back alley au rez-de-chaussée est vide, si tu veux je téléphone au proprio maintenant, c’est comme chez moi, ce n’est pas le grand luxe, je crois qu’il demande deux cent dollars par mois tout compris!
   -Oh, oui, je veux bien, je te remercie!
   -Viens, on va l’appeler.
  Je suis Don dans son antre. Au milieu du salon, sur une vieille carpette pleine de cambouis trône un moteur et tout autour des pièces détachées, des boulons, et des tas d’outils! Don s’excuse pour le bordel, je lui réponds que c’est original comme déco! Il sourit tout en formant le numéro du proprio. Coup de bol, il est chez lui, il viendra dans une heure remettre la clef. Je remercie Don et coure rassembler mes affaires. Heureusement, je n’ai pas grand chose à transporter. Je jette tous mes vêtements sur un drap et noue les quatre bouts, je m'apprête à sortir le ballot quand surgit Michaël qui s’en empare et le jette par la fenêtre en criant que cela ira plus vite ainsi. Il est comme possédé, rouge de rage, il n’arrête pas de gueuler en éructant les pires insultes. Il me fait peur, je m’enfuis et appelle Don à la rescousse qui vient aussitôt. Il tente de calmer Michaël, mais rien y fait, il continue de jeter tout par la fenêtre dans la petite cours. Don me prend par le bras et m’entraîne chez lui et dit:
  -Laisse-le faire sa crise, je le connais, il finira par s’épuiser dans peu de temps. Je t’aiderai à tout transbahuter. Une demi-heure plus tard, le proprio arrive et me donne la clef contre deux cent dollars, plus cent pour la garantie. Ensemble, nous faisons le tour du petit meublé, il y a tout le confort, au-delà de mes espérances... En moins d’un rien de temps, je suis installée. J’inspecte les recoins de mon nouveau chez moi, ouvre le placard, y trouve de menus objets laissés par le dernier locataire; quelques chiffons, dé à coudre, allumettes et une lettre. Je m’installe à la table devant l’unique fenêtre donnant sur le parking et lis les deux feuillets remplis d’une belle écriture petite et régulière. La lettre est adressée à une certaine Jenny qui semble être la soeur de l’épistolière. Elle lui conseille de porter de gros godillots, des pulls informes pour repousser les mecs qui lui tournent autour! Et ajoute qu’il n’y a pas lieu de devenir extatique à propos des hommes... Tout est écrit sur un ton moqueur, toutefois plein de tendresse, et signé Mary. Je la trouve bien sympathique cette Mary, et me demande de quoi elle a l’air, peut-être l’ai-je croisée, je ne me souviens pas avoir vu quiconque sortir d’ici, l’appart doit être vide depuis un moment. On frappe à la porte, c’est Don, il vient voir si tout va bien et m’invite à manger chez lui ce soir, il y aura quelques amis. J’en profite pour lui demander s’il connaît Mary. 
  -Bien-sûr, on était voisins, oui, une fille sympa, un peu timide, une grande perche trop maigre à mon goût, mais on s’entendait bien. Bon, c’est pas tout ça! je venais juste voir si tu allais bien, tu avais une de ces mines, j’étais inquiet! Maintenant il faut vraiment que j’aille préparer le chili con carne! A tout à l’heure!