mercredi 27 février 2013

Bon, alors je continue! (177)


     -Bon, alors je continue! Le matin de mon départ, Jeff me remet la somme prévue, ainsi que toutes les indications, oralement, bien entendu! Je prends l’avion pour Singapour. J’arrive dans l’après-midi. Mon contact est là et m’emmène hors de l’aéroport dans une maison où se fait mon «habillage». Je suis comme en transe, je me laisse faire par quelques mains habiles. Les barrettes sont solidement arrimées à l’aide de chatterton. Les hauts de mes cuisses sont presque entièrement recouverte, ne laissant libre que l’entre-jambes. Le tout recouvert d’une jupe longue et ample. Evidemment pas très agréable, ni confortable, ça me tiraille de tous côtés, mais je n’ose rien dire, pas envie de m’éterniser dans cet endroit pour le moins pas très net! On me reconduit à l’aéroport. Le départ pour L.A. est prévu deux heures plus tard, ce qui me laisse le temps de m’habituer à mon accoutrement, d’apprendre à marcher avec le plus de naturel possible! Heureusement, c’est un vol de nuit, je pourrai dormir et passer relativement inaperçue. 
   Kate s’interrompt et dit:
  -Je fumerais bien une cigarette, mais ici, pas moyen de s’en procurer. Il faut du fric, si tu n’as personne à l’extérieur; en prison, pas de partage!
  -Comme je te comprends, pour moi, le manque a aussi commencé, j’ai fumé ma dernière avant de venir ici, c’est un supplice de plus! J’espère pouvoir téléphoner à mon ami, mais je ne sais pas comment ça se passe, as-tu une idée?
   -Tu as droit à un coup de fil par semaine, chaque fille à son tour, par ordre alphabétique. Le mardi, c’est le jour du parloir, les visites durent une demi-heure. Pour l’avocat, c’est différent. S’il prépare ta défense, il peut te venir à sa guise.
   -Le mardi! Mais quel jour sommes-nous?
   -On est mercredi, tu va devoir attendre!
   -C’est bien ma veine... Tu continues ton histoire?
  -Bon, où en étais-je, ah, oui! Le vol se passe sans anicroche, tout baigne. Le débarquement se fait normalement. Je passe la douane sans problème. C’est après que ça se gâte. Je ne retrouve pas mes bagages, ma valise ne se trouve pas sur le tapis roulant, j’attends une dizaine de minutes, mais plus rien n’apparaît! Je commence à paniquer, je cours dans tous les sens. Bien-sûr, je me fais repérer. Un homme s’approche de moi et me demande s’il peut m’aider, je le regarde et lui dis que mes bagages sont perdus, mais tout en lui parlant, je me dis que c’est peut-être un flic en civil, je me sens blêmir et commence à trembler. Ayant remarqué ma confusion, l’homme me demande si je me sens mal. Je perds mon sang froid et tourne les talons comme ça, sans raison. Evidemment, il me rattrape, me prend doucement par le bras, m’ordonne de le suivre. Tu imagines la suite! Le mec en question était bel et bien flic. Il n’aurait rien soupçonné si je ne m’étais pas mise dans tous mes états à cause de cette foutue valise. C’est ce qu’il m’avoua par la suite! Au début, il ne cherchait qu’à m’aider à retrouver mes bagages, ce n’est que quand je suis devenue pâle comme un linge qu’il a compris qu’il y avait autre chose... 

lundi 25 février 2013

Surveillées par des matonnes.. (176)


   Surveillées par des matonnes, nous regagnons nos cellules. Nous marchons en rangs serrés, en silence, on entend à peine nos pas, absorbés par le linoléum. J’ai des crampes d’estomac, quelque chose ne passe pas, c’est sûrement ce café infâme. Je me couche en attendant Kate. La douleur est intense. Je n’arrive pas à me détendre dans ce vacarme qui a repris de plus belle. Je me relève et fais les cent pas dans le couloir. Kate arrive, me regarde et dit:
    -Ca n’a pas l’air d’aller, préfères-tu te reposer? 
   -Surtout pas, je t’en prie, reste, je panique, allongée dans ce cagibis!
    -Viens, on va se mettre là-bas au bout, il y a moins de monde. 
   Nous nous asseyons par terre, adossées aux barreaux du couloir, Kate commence son récit:
  -Je suis d’origine écossaise, mais j’ai grandi à Londres. Après mes études secondaires, j’ai fait des études pour devenir infirmière. Il fallait que je gagne ma vie, mes parents n’étaient pas riches, et moi, je n’avais d’ambitions d’aucune sorte. Dans un premier temps, j’ai travaillé dans un hôpital quelque part dans la banlieue londonienne, je m'y ennuyais ferme, j’avais envie de voir le monde. J’ai postulé pour une place d’infirmière dans l’armée britannique basée à Hong Kong. Cela faisait dix ans que j’étais là. Je recommençais à trouver tout ça profondément ennuyeux. J’avais besoin de prendre l’air, mais n’avais pas les moyens de m’offrir des vacances. Peu de temps après, j’ai fait la connaissance d’un type dans un bar. Il faut savoir qu’il n’y avait pas d’homme dans ma vie, je suis une célibataire invétérée! Le type en question se faisait appeler Jeff, il était très sympa, mais c’était juste un ami avec qui j’allais au cinéma ou il m’invitait à dîner. Un jour, je lui ai confié que je voulais partir, prendre l’air, ne fût-ce qu’une semaine ou deux. C’est alors qu’il me proposa de transporter de la came! Je ne me suis pas offusquée, j’ai pensé que c’était la seule façon de gagner un beau paquet d’argent, de voyager par la même occasion et surtout de sortir de mon insupportable traintrain. Ce qu’il attendait de moi, c’était de fixer autour de mes cuisses des barrettes d’herbe comprimées et emballées sous vides. Ces barrettes, je devais les réceptionner à Singapour et les transporter sur moi jusqu’à San Francisco. Je recevrais la première partie du pactole en partant et le reste en arrivant. Il y a avait finalement peu de risque, les fouilles corporelles ne sont pas courantes, le seul danger étant les chiens renifleurs, mais d’après Jeff, la aussi, le risque était infime, du moment que les barrettes étaient soigneusement emballées, ce qu’il me garantissait. J’ai accepté, j’ai pris deux mois de congé sans solde et me suis lancée dans l’aventure!
    A ce point du récit, Kate me regarde et dit:
    -Tu dois te dire que je suis folle d’avoir accepté, n’est-ce pas?
   -Je n’en sais rien! Je pense qu’à ta place, je n’aurais jamais osé faire ça! De toute façon, je ne te juge pas. Ce que j’ai compris, c’est qu’il fallait qu’il t’arrive quelque chose et dans ce sens tu as réussi, je présume!
   Kate éclate de rire et dit:
 -Ah, ça oui! Et comment! Le changement est plus que radical...Tu veux connaître la suite?
   -Bien-sûr, je suis toute ouïe! Du coup, grâce à toi, mes crampes ont disparu!   

samedi 23 février 2013

Je m'apprête à la remercier.. (175)


   Je m’apprête à la remercier, aussitôt elle me fait signe de me taire. Je comprends qu’il est interdit de parler dans les rangs - souvenirs de l’école. Nous arrivons dans une grande salle où tables et chaises sont fixées au sol. Des groupes de six se forment. Mon ange gardien me tire encore de l’embarras en m’entraînant à sa table. Tout se passe dans un silence rituel. Des prisonnières font le service, elles sont plusieurs à pousser des chariots entre les tables. On nous sert du café dans une tasse en alu, ainsi qu’une espèce de bouillie, et quelques tartines spongieuses avec de la margarine. Au fur et à mesure, le brouhaha monte de table en table. Je regarde ma sauveuse et lui dis:
   -Si tu n’avais pas été là, je crois que je me serais fait lyncher! Merci!
   -Pas de quoi! C’est normal, C’est très dur les premiers jours pour les bleusailles!
  -Vraiment, je te dois une fière chandelle, c’est quoi ton nom? Moi, c’est Eliette ou Eli.
   -Katarina, ou Kate si tu préfères, enchantée Eli!
   Pendant qu’elle mange son porridge, je la dévisage. Elle non plus ne semble pas à sa place. Son accent n’est certainement pas américain, ni son allure, probablement une anglaise. De longs cheveux blonds attachés dans la nuque, un visage allongé aux traits fins lui confèrent un je ne sais quoi de désuet. Je ne lui pose aucune question, me rappelle les paroles de Yaël - pas la peine de poser des questions, tôt ou tard, les gens finissent toujours par se confier.
  Le café tout comme la bouillie sont insipides, je me force à avaler les tartines, je regarde Kate mangeant avec un certain appétit, je lui propose mon bol de bouillie, elle dit:
  -Tu devrais manger, les autres repas sont encore pire! Mais on s’habitue! Au début, je faisais la fine bouche comme toi, après deux mois de détention, on commence à devenir moins exigeante...
   Je m’exclame:
   -Deux mois!
   -Eh oui, et ce n’est pas fini, j’en ai pour un bon moment, tu dois te demander pour quelle raison, n’est-ce pas? 
   -Oui, excuse-moi, mais ça m’est sorti comme un cri!
   -Oh, ce n’est pas vraiment un secret, enfin, je ne le raconte pas à qui veut, d’ailleurs, jusqu’à ce que tu arrives, je n’avais pas encore eu l’envie d’en parler à quiconque. Si tu veux, on se retrouve après le petit dej qui ne dure qu’une demi-heure, après, on a toute la matinée à nous, le prochain repas est à midi. On s’installera tranquille dans un coin, et je te raconterai ma misérable aventure!


mardi 19 février 2013

Je m'assoie.. (174)


 Je m'assoie à l’extrémité de ma couchette, les jambes ballantes. J’observe mes compagnes de cellule, il faudrait que je leur parle, mais n’ose pas. Elles ont l’air de m’ignorer royalement. A me demander si je suis vraiment là, peut-être que je rêve, que tout ceci n’est qu’un cauchemar et vais me réveiller d’une seconde à l’autre. Soudain, l’une d’elles sort de son mutisme et me questionne:
   -Pourquoi t’es là?
   -Je ne sais pas!
   Elle se met à rire et crie aux autres:
  -Vous entendez? Elle ne sait pas pourquoi elle est là, ça c’est la meilleure! Cette pute blanche ne sait pas ce qu’elle fout ici!
   Les filles lui disent de se calmer, de me laisser tranquille. Je n’ai pas bougé d’un poil, ni fait entendre le son de ma voix. Mon interlocutrice revient à la charge, cette fois, avec un ton plus doux:
   -N’aie pas peur, j’suis une chienne qui aboie mais ne mord pas! Enfin, si justement, c’est parce que j’ai mordu mon boyfriend, je lui ai arraché l’oreille gauche, c’est pour ça que j’suis ici! Voilà, maintenant à ton tour de me dire ce que t’as fait!
   -Je t’assure, je n’ai rien fait, je suis clandestine, c’est tout!
   -Mais pourquoi ils t’ont mis en prison?
  Je lui explique dans les moindres détails le périple qui m’a amenée ici. Elle semble satisfaite de ma réponse et dit:
  -C’est bien c’que j’m’disais t’as pas une tête à être en prison, encore moins d’une criminelle! T’en fais pas va, tu sortiras demain au plus tard, c’est pas comme nous, la plupart des filles que tu vois ont tué, père, mère, mari ou leur môme!
    Un long frisson me parcourt, puis, je lui demande:
  -T’en as pris pour combien?
  -Ben, j’n’en sais rien, ici, tu vois, on est dans l’attente d’être jugée, ça peut durer jusqu’à trois mois, parfois plus, ça dépend d’un tas d’choses. Après les trois mois, on est transférées dans des cellules à deux ou seule, c’est selon, mais là t’es plus cool qu’ici, t’as la télé, tu peux même faire des activités, tu reçois des colis d’l’extérieur si tes proches n’t’ont pas lâchée, enfin c’est la taule quoi! Tandis qu’ici, on tourne en rond, on n’fout rien, on bouffe, on dort et comme tu peux t’en rendre compte, on a la radio!
   -Justement, j’allais te demander, cette musique, c’est du matin au soir?
   -Oui, ma chère, depuis l’réveil à cinq heures, à l’extinction des lumières, à onze heures du soir! T’as pas l’air d’apprécier? 
    -En effet, ça rend dingue! Une véritable torture...
   -Eh, bien, t’es une p’tite nature, moi j’aime bien, ça nous fait danser, ça nous maintient en forme!
   Une sonnerie retentit, elles sortent dans le couloir commun, se mettent en rang par deux. Je m’avance également. Je ne sais pas ce qui se passe, quand enfin une âme charitable me tire par le bras à côté d’elle et me chuchote tout bas:
     -On va au réfectoire, c’est l’heure du petit dej! 

jeudi 14 février 2013

Pendant quelques minutes... (173)


    Pendant quelques minutes, nous suivons toujours la ligne rouge dans un large couloir qui tourne au fur et à mesure que l’on monte aux étages. Après un moment, nous recevons l’ordre de nous arrêter devant une haute grille donnant sur un espace relativement long dans lequel s’alignent une dizaine de cellules à barreaux. Je me retrouve dans l’une d’elle. Du côté gauche en entrant, iI y a quatre lits superposés; au fond, un minuscule lavabo et une chiotte. On m’octroie la seconde couchette à partir du bas. Il n’y a que peu d’espace entre les lits, juste de quoi s'asseoir et encore, tout est étroit, oppressant à souhait. Heureusement, les cellules restent ouvertes pendant la journée, on a le droit de circuler dans la partie commune. Les trois occupantes me fixent sans détour. Je suis désarçonnée, ne sais comment me comporter. Je leur fais un hello timide auquel elles répondent en choeur avec un soupçon de mépris, me semble-t-il.      
  Après un moment de relatif silence, après le départ des gardiennes, un brouhaha sans nom explose par dessus les hauts-parleurs qui déversent à tue-tête de la musique de variété. On se croirait à la foire si on ferme les yeux... Des filles se déplacent sans cesse, d’autres forment de petits groupes ci et là, d’autres encore sont couchées sur leur paillasse ou à même le lino du couloir. Quelques-unes dansent, se marrent, chahutent, gueulent à qui mieux mieux. C’est l’enfer, je ne tiendrai pas le coup longtemps, mais bien-sûr, il n’est pas question de rester ici, tout cela n’est qu’une sordide erreur, il n’y a aucune raison que je sois enfermée dans cette taule de haute sécurité! D’ailleurs, je vais téléphoner à Norton dès que j’en aurai l’occasion. Bon sang! je l’avais complètement oublié celui-là! Normal, je ne sais plus où j’en suis, je n’arrive pas à raisonner, à faire un plan pour me dépêtrer de cet imbroglio. A ma place, qui pourrait, je me le demande. Ce vacarme ne va donc jamais cesser, quelle heure peut-il bien être? Je me souviens d’avoir vu une horloge en arrivant, c’est ça, dans le couloir, j’y jette un coup d’oeil, les aiguilles indiquent six heures. Pendant une fraction de seconde, j’ai une hésitation, six heures du mat ou du soir, ça doit être du matin, la nuit a été longue...

mardi 12 février 2013

Menottée, on m'embarque... (172)


    Menottée, on m’embarque dans une voiture de police, les autres filles montent dans un bus. Je demande au gardien qui m’accompagne pourquoi je ne vais pas avec les autres, il répond qu’il n’y a pas assez de place pour tout ce monde, qu’on les renvoie dans leur pays. J’essaye d’avoir plus d’informations sur ce qui m’attend, mais il dit ne rien savoir, que je ferais mieux de me taire, et que si je suis dans cette situation, c’est qu’il doit bien y avoir une raison. D’habitude, j’aurais rué dans les brancards, mais à présent, cela ne servirait à rien. Quelque part, il a raison, bien que je ne m’attendais pas à être arrêtée de telle façon. Il aura fallu tous ces concours de circonstances, depuis ce foutu feu arrière, jusqu’au drame imprévisible d’hier soir pour en arriver là. Je n’ai même plus le loisir de m’apitoyer sur mon sort, je n’ai d’ailleurs aucune pensée, je ne suis qu’une des billes d’un roulement qui tourne fou. Nous arrivons à destination; la bagnole s’arrête devant la grille d’un immense bâtiment sur lequel je lis avec effroi: Los Angeles County Jail. C’est donc ça le fameux centre fermé! Pour ce qui d’être fermé, c’est bien fermé! Après avoir attendu la permission d’entrer, la grille s’ouvre, se referme aussitôt sur notre passage. On me fait descendre devant une autre grille qui s’ouvre à son tour, puis une porte blindée s'entrebâille lentement, donnant accès à un long couloir peint en gris, le sol, les portes, tout est gris, même la lumière, jusqu’à l’odeur qui elle aussi est grise. Une gardienne me dirige vers un local où je dépose mes affaires. A nouveau un tas de questions, on remplit une fiche, puis, on prend mes empreintes. On me donne des vêtements, un drap, une taie et une couverture. Ensuite, je dois me déshabiller, laisser mes effets dans un casier numéroté, et attendre à poil pendant un moment devant la salle des douches, heureusement, il y fait très chaud, même étouffant. D’autres femmes arrivent, cinq en tout. Après la douche, on nous fout de la poudre dans les tifs, sous les aisselles,  dans les poils pubiens. Je me sens mal, je suffoque, ça pue la mort. Je veux m’allonger, mais suis aussitôt rappelée à l’ordre, on nous presse, pas question de s’éterniser, il faut que ça gaze, que l’on revête les pyjamas avec matricule imprimé au-dessus de la poche à droite sur la poitrine. Avant de rejoindre nos quartiers, il y a encore la touche finale qui consiste à nous riveter autour du poignet droit un bracelet en plastique blanc scellé sur lequel sont inscrits nom, prénom, date de naissance, empreinte digitale et matricule. L’opération terminée, deux gardiennes ordonnent de nous placer en file indienne, et de suivre, dans un silence absolu, la ligne rouge tracée sur le linoléum menant aux cellules.