vendredi 4 février 2011

Zerah est parti à l'aube.. (34)

  Zerah est parti à l’aube, il a un chantier au village. Je flemme dans le lit à colonnes, quand soudain un énorme fracas me fait bondir hors du plumard. Une grosse pierre a été jetée dans la pièce voûtée, cassant une des vitres. J’entends une voix de femme vociférant des insultes à mon encontre. Effrayée, je cours aussitôt dehors, mais n’aperçois qu’un chien errant. Qui peut m’en vouloir à ce point, mis à part la femme de Zer, que je crois incapable d’un tel geste. Le soir venu, j’interroge Zerah. Il me dit de ne pas m'inquiéter, que c‘est probablement quelqu’un de la famille de son ex. Je sens qu’il veut noyer le poisson et passe vite à autre chose.
  La vie est belle, tout baigne! Ce soir nous sommes invités chez un copain de Zer; il habite sur les hauteurs. On s’y rend à pied. Aryk nous reçoit avec la chaleur des levantins. La table déborde de victuailles; les deux amis discutent, je sors sur le balcon face au village et sirote un dernier raki. Tout est calme. Mon regard se perd au loin. J’aperçois une volute de fumée qui monte de la vallée, je me dis qu’il est un peu tard pour faire un barbecue, il est une heure passée. Puis, j’entends des cris et des voix qui résonnent dans la nuit, on appelle Zerah à plusieurs reprises. Un homme arrive en courant, il est à bout de souffle et dit:
  -Où est Zerah? Sa maison flambe!
  Dans une hystérie complète, nous dévalons les chemins. Des gens réveillés par le raffut, nous rejoignent dans la course. Enfin, la maison est en vue. Des flammes sortant des fenêtres brisées par la chaleur, lèchent la façade, l’illuminant d’un ton orangé. Je reste plantée au milieu de la frénésie générale, je suis paralysée, d’ailleurs personne ne s’occupe de moi; les hommes s’activent; déjà une chaîne s’est formée depuis la citerne, les seaux et autres récipients, vont et viennent. Petit à petit, je reprends mes esprits, je ne trouve rien de mieux à faire que de fumer clope sur clope. Les flammes finissent par disparaître laissant place à une fumée épaisse; une odeur âcre se dégage de l’intérieur, je m’approche d’une fenêtre et me rends compte du désastre. Visiblement, le feu a pris dans la chambre à coucher, plus exactement du lit dont l’une des colonnes est carbonisée, le matelas, la penderie et nos vêtements ne sont plus que tas de cendres; tout le reste est recouvert d’une épaisse couche de suie. L’incendie est enfin maîtrisé. Zer pénètre le premier dans la maison, il m’appelle. J’entre d’un pas hésitant. Tout est noir, on dirait un décor de film d’horreur. Je mesure avec effroi le travail qui nous attend. Nous n’avons plus de vêtements de rechange, il nous reste que ce que nous portons... On  décide de laisser les choses telles quelles, on trouvera bien une bonne âme pour nous héberger. Je ne sais que dire, ni penser, j’ai juste envie de dormir pour oublier. Le brave Aryk nous laisse sa chambre, lui, dormira sur le canapé du salon.

Zerah.. (33)

  Zerah restaure les vieilles maisons, il a une équipe de cinq hommes, tous bédouins. Zer est né au Yémen et parle couramment l’arabe; il est l’aîné de cinq garçons. Sa famille habite le village. Le père, bel homme fier et taciturne, tient une épicerie sur la petite place, en face de l’arrêt du bus . Le soir venu, dans son jardin en front de rue, il s’installe sur un banc et mâche son khât, les yeux dans le vague, rêvant sans doute de là-bas, de ce pays qu’il a dû quitter à contrecoeur. La mère est une petite femme menue mais solide, constamment agitée et pestant à longueur de journée contre le monde entier. Le benjamin des frères, Yoram, est encore un gamin, puis il y a Shimon, il a dix huit ans et veut devenir marin comme son frère Ezrah et enfin, Yaacov, le chauffeur d’autobus qui va bientôt se marier avec Daisy, une américaine du Minnesota. Les cinq frères sont beaux, mais le peu que je sais d’eux me donne à penser qu’ils ont tous un grain, mais le plus fou est sans doute Zerah! 
  De jour en jour, je découvre son caractère psychotique. Jusqu’à présent rien de bien grave, sinon de petits mensonges dont je ne suis pas dupe. Tout au début, je lui avais fait comprendre qu’il ne fallait pas me raconter de bobards, mais il s’est fâché, me disant que je ne devais jamais, au grand jamais, mettre en doute aucune de ses paroles, j’étais un peu effrayée! J’ai donc appris à la boucler quoi qu’il dise...
  Depuis que je me suis mise en ménage, je ne dessine plus, je n’en éprouve pas le besoin, je n’ai même plus rendu visite à Gilberte, ni donné signe de vie à ma famille. Désormais, mon univers c’est Zerah. Je sens bien qu’une part de lui m’échappe. Evidemment, la langue est une barrière, mais j’apprends vite, encore quelques mois et je parviendrai à traduire mes pensées en hébreu...