jeudi 7 avril 2011

Quelques jours ont passé..(89)

  Quelques jours ont passé depuis ma séquestration, je n’ai pas pu parler à Zer, il esquive tout dialogue; c’est dans ces moments-là que nos différences se font le plus ressentir. Zer vit le choc des cultures depuis sa tendre enfance. Il avait à peine trois ans quand il a quitté le Yemen; il n’a toujours pas digéré ce changement radical...
   La vie a repris son cours. Il y a quelques mois, mes parents m’avaient proposé de m’envoyer toutes mes affaires entreposées chez eux, trop heureux de se débarrasser de ce fatras qui encombre leur garage. Aujourd’hui, le camion qui achemine le container de plusieurs mètres cubes, depuis le port de Ashdod, ne devrait pas tarder à arriver. Je suis impatiente de retrouver les traces matérielles de ma vie antérieure. (Les travaux de mes années d’académie, de nombreuses toiles dont quelques formats monumentaux, de grandes études de nu au fusain, des monceaux de croquis, et puis mes livres, disques, et quelques petits meubles qui trouveront leur place dans cet intérieur déjà très hétéroclite!). Zerah et son frère Yacov sont là pour m’aider au déballage. Je vois au bout de la route le nuage de poussière annonciateur. Le chauffeur manoeuvre pour remonter au plus près de la maison. A l’aide d’un treuil, le container est déposé à quelques mètres de la porte. Le chauffeur me fait signer un reçu et repart aussitôt. Zer est tout excité. Muni d’un pied de biche, il entame la caisse géante. Yacov lui dit de faire attention, de ne pas faire de geste trop brusque. Zer ne veut rien entendre, il attaque le cadre de bois qui grince; la paroi cède dans un gémissement, il tombe en douceur, amorti par le déplacement d’air. L’intérieur est complètement rempli, le moindre objet est entouré de carton ondulé, les espaces libres ont été bourrés de papier journal. C’est un peu comme à la Saint Nicolas, chacun déballe avec impatience. Je n’avais plus vu tous ces objets depuis plusieurs années, je les retrouve avec une certaine émotion, parfois de la joie, toutes ces choses évoquent des histoires connues de moi seule. Zer découvre d’autres facettes de ma personne dans ces traces tangibles. J’avais démonté les toiles de leur châssis, et les avais enroulées avec soin. Je constate au fur et à mesure qu’elles sont toutes intactes. D’ailleurs, rien n’a subi de dommage. A la fin de la journée un énorme tas de papier et de bois jonche la terrasse. Zer se fait une joie à l’idée de faire une grande flambée et décide d’inviter quelques amis pour faire la fête dès demain soir. Il se charge de tout: invitations, viande pour le barbecue, et  quelques caisses de bière...