mardi 15 février 2011

Je vois avec effroi.. (45)

 Je vois avec effroi qu’il est passé midi, je devrais être au travail depuis longtemps, je m’habille en hâte, des relents de transpiration mêlés de foutre me picotent les narines, tant pis, pas le temps de me laver. Je sors de la maison en trombe, monte quatre à quatre les escaliers menant au village; à bout de souffle, je me jette dans le bus qui est sur le départ. Pendant le trajet, je cherche une excuse à mon absence de ce matin, mais aucun de mes mensonges ne tient la route d’autant plus que c’est mon deuxième jour d’embauche. J’arrive enfin, le hall est pratiquement vide; la plupart des gens déjeunent à cette heure, je me rends au self dans l’espoir d’y voir Edna, mais je tombe sur la gérante, celle-ci m’a déjà repérée et me fait signe d’approcher.
  -Alors Eliette, c’est à cette heure-ci que tu t’amènes?
  -Je suis vraiment désolée, mais croyez-moi cela n’arrivera plus.
  Je prononce ces mots, et mille arguments, les uns plus foireux que les autres.
 -Moi aussi, je suis désolée, me répond le petit pot à tabac à l’accent traînant de hongroise, mais je ne puis accepter ce genre de comportement de la part de mes employés! J’exige, précise-t-elle, la ponctualité et la probité avant tout. Tu comprendras que je ne peux te garder.
  Je fais mes adieux à Edna et sors toute guillerette à l’idée de retrouver la liberté!  Décidément, je suis incapable de garder un boulot plus de quelques jours. Cette déconfiture me met dans une situation un peu difficile. Il faut trouver une solution, mais pas de panique, la Providence existe, me dis-je en sachant que le cas échéant, je peux quand même compter sur une ou deux personnes. La première étant Gilberte et puis, Daisy, ma nouvelle belle-soeur, enfin, c’est elle qui s’est présentée en tant que telle! Elle est très sympa et enjouée. Le courant passe bien entre nous, malgré qu’elle soit totalement différente de moi; son objectif, consacrer sa vie à son homme et aux enfants à venir, d’ailleurs, elle est comme presque toutes ces jeunes femmes juives venant de la diaspora et en particuliers, les américaines. Une seule chose les préoccupe, avoir la bague au doigt; une véritable obsession. Evidemment, ce ne sont pas toutes de reines de beauté; elles se marient bien souvent avec n’importe quel homme, du moment qu’il soit juif. Mais je m’égare! J’en reviens à mon souci; Daisy ne me laissera pas crever de faim, d’ailleurs, elle m’a dit que sa maison était la mienne et que j’y serais toujours la bienvenue...

Le spectacle commence.. (44)

  Le spectacle commence à vingt heures, cela me laisse juste le temps de me rafraîchir. Au sous-sol, un long couloir mène au cabaret. Dans une pénombre feutrée, seul un petit podium est éclairé; quelques tables sont déjà occupées par un groupe d’américains très bruyant. Je m’installe au bar. Petit à petit, les gens prennent place, les musiciens se préparent; ils sont trois et portent des costards mauves avec des chemises à jabots. Un homme vient tapoter le micro et annonce l’arrivée imminente du célébrissime Micha. Sur un air du folklore israélien, l’artiste fait son entrée, tout de blanc vêtu, bras levés, frappant dans les mains en cadence. Le public déchaîné imite le chanteur sur un rythme de plus en plus effréné. Juchée sur mon tabouret, je ne bouge pas. Je trouve tout cela grotesque, et me demande ce que je fous là avec cette bande d’énergumènes. Je décide de rester encore pour écouter au moins quelques chansons, après je partirai. Non dénué d’un certain talent, bien que trop sirupeux, Micha entonne des airs connus. Après avoir chanté pendant un moment, il demande à l’audience la permission de faire une petite pose pour boire un verre au bar. J’ai eu ma dose et m’apprête à partir, quand à mon grand étonnement, la vedette s’approche de moi et dit:
  -Tu crois quand même pas que je vais te laisser partir comme ça!
  -Et pourquoi pas, lui dis-je?
  -Parce que je t’ai dans le collimateur depuis le début! On pourrait se retrouver après mon show?
  Je ne sais pas ce qui me fait accepter sa proposition, c’est plus fort que moi et tout compte fait, il n’est pas si mal, vu de près!
  Le lit à colonne fut le théâtre de quelques heures de corps à corps torride avec le bellâtre. Je dois être un peu cinglée! Forniquer dans la maison de Zerah et dans son lit pendant qu’il est en prison! Je suis carrément folle à lier. Après coup, je réalise le danger encouru. N’importe qui aurait pu nous voir; je crois que les frères de Zer me lyncheraient sur la place du village...