Je vois avec effroi qu’il est passé midi, je devrais être au travail depuis longtemps, je m’habille en hâte, des relents de transpiration mêlés de foutre me picotent les narines, tant pis, pas le temps de me laver. Je sors de la maison en trombe, monte quatre à quatre les escaliers menant au village; à bout de souffle, je me jette dans le bus qui est sur le départ. Pendant le trajet, je cherche une excuse à mon absence de ce matin, mais aucun de mes mensonges ne tient la route d’autant plus que c’est mon deuxième jour d’embauche. J’arrive enfin, le hall est pratiquement vide; la plupart des gens déjeunent à cette heure, je me rends au self dans l’espoir d’y voir Edna, mais je tombe sur la gérante, celle-ci m’a déjà repérée et me fait signe d’approcher.
-Alors Eliette, c’est à cette heure-ci que tu t’amènes?
-Je suis vraiment désolée, mais croyez-moi cela n’arrivera plus.
Je prononce ces mots, et mille arguments, les uns plus foireux que les autres.
-Moi aussi, je suis désolée, me répond le petit pot à tabac à l’accent traînant de hongroise, mais je ne puis accepter ce genre de comportement de la part de mes employés! J’exige, précise-t-elle, la ponctualité et la probité avant tout. Tu comprendras que je ne peux te garder.
Je fais mes adieux à Edna et sors toute guillerette à l’idée de retrouver la liberté! Décidément, je suis incapable de garder un boulot plus de quelques jours. Cette déconfiture me met dans une situation un peu difficile. Il faut trouver une solution, mais pas de panique, la Providence existe, me dis-je en sachant que le cas échéant, je peux quand même compter sur une ou deux personnes. La première étant Gilberte et puis, Daisy, ma nouvelle belle-soeur, enfin, c’est elle qui s’est présentée en tant que telle! Elle est très sympa et enjouée. Le courant passe bien entre nous, malgré qu’elle soit totalement différente de moi; son objectif, consacrer sa vie à son homme et aux enfants à venir, d’ailleurs, elle est comme presque toutes ces jeunes femmes juives venant de la diaspora et en particuliers, les américaines. Une seule chose les préoccupe, avoir la bague au doigt; une véritable obsession. Evidemment, ce ne sont pas toutes de reines de beauté; elles se marient bien souvent avec n’importe quel homme, du moment qu’il soit juif. Mais je m’égare! J’en reviens à mon souci; Daisy ne me laissera pas crever de faim, d’ailleurs, elle m’a dit que sa maison était la mienne et que j’y serais toujours la bienvenue...