vendredi 15 avril 2011

Dans l'avion.. (92)

  Dans l’avion, je suis assise à côté d’un hassid qui m’ignore; les hassidim voyagent beaucoup, ils prennent l’avion comme on change de chemise.
  Il est vingt heures passées quand je me retrouve quasi seule dans l’aéroport de Frankfurt am Main; tout est fermé, pas moyen de manger un sandwich ou de boire un café dans cet immense hall glacial. J’ai trois heures à perdre. Dehors, il ne fait pas moins glacial, je décide malgré tout de m’aventurer dans la ville tout proche. Là aussi, pas un chat dans les rues, je me sens vraiment mal partout. Finalement, je me dis que je serais encore mieux dans une salle d’attente de l’aéroport, bien que je crève la dalle, tant pis. Je rebrousse chemin quand, tout à coup, mon regard est attiré par une guirlande de Noël défectueuse, clignotant irrégulièrement sur une façade, je m’approche. C’est un restaurant, il est ouvert, je vois même du monde à l’intérieur. Je pousse la porte. Au fond de la salle, un petit orchestre tyrolien composé de trois hommes jouent des valses, des polkas à l’accordéon et à la trompette, le troisième chante du yodel; de temps en temps, celui-ci pousse un cri strident en se tapant les mains sur les cuisses. Ils portent des chapeaux garnis de plumes, des lederhose’s courts laissant apparaître leurs cuisses poilues, et des chaussettes blanches couvrent leurs mollets. Je compte trois couples assis face à face à des petites tables, ils mangent leur choucroute garnie, la tête dans l’assiette. Quand ils ont terminé, ils se regardent en chiens de faïence. La fatigue aidant, j’ai l’impression d’être égarée dans l’espace-temps d’un autre monde...Je commande une crêpe douce de pomme de terre et une petite carafe de vin blanc. Je sens les regards qui convergent vers moi, ils doivent trouver étrange cette jeune femme attablée seule un jour de l’an. J’ai tellement faim, que j’en mange trop vite, je cale à la moitié de mon assiette. Les musiciens continuent de jouer inlassablement leur répertoire, le cri strident me fait sursauter à chaque fois. Il me reste une demi-heure à poireauter. Je paye la serveuse avec un travelers cheque et m’en retourne vers l’aéroport. Mon avion est annoncé, je récupère mon bagage laissé à la consigne et m’engage vers la porte d’embarcation. Il est convenu que je logerai chez ma soeur, elle est de toute façon éveillée à cette heure tardive vu qu’elle vient d’accoucher, elle nourrit son bébé à la demande. Je débarque chez elle vers une heure du matin;  embrassades, tu n’as pas changé, toi non plus! Et le petit il est où, mais qu’il est mignon, il ressemble à son père, tu ne trouves pas? Et patati et patata, je ne tiens plus, je suis morte, l’appartement est surchauffé, j’essaye de m’endormir dans la minuscule chambre d’ami. J’étouffe. A peine revenue dans le giron familial, je me sens mal, je somnole pendant quelques temps, me réveille dans la chambre de ma soeur. A ses côtés, le mari ronfle, l’enfant dort, elle me regarde étonnée et dit à voix basse: «Pourquoi n’es-tu pas dans ton lit, t’as vu l’heure!». Je ne comprends pas ce qu’il m’arrive, ni où je suis, j’ai dû faire une crise de somnambulisme, ma soeur se lève en mettant son doigt sur la bouche, il ne faut pas que je réveille le bébé, elle me conduit à ma chambre, me dit de dormir maintenant, elle non plus n’a pas pigé. Je reste éveillée pendant longtemps, je suis angoissée, je me dis que c’est la fatigue, et les crêpes...