jeudi 7 novembre 2013

Aujourd'hui, les événements se précipitent... (184)


  Aujourd’hui, les événements se précipitent. A onze heures, je passe en jugement. Mais d’abord, j’ai droit à une douche. J’ai récupéré vêtements et effets personnels. Enfin quitter ce froc et chemise portés depuis deux ou trois semaines. A vrai dire, je ne sais plus ce que signifie jour ou semaine. Au début, le temps stagne, il semble immobile, écrasé par la monotonie, puis on y prête moins attention tout en espérant chaque jour que ce sera le dernier. Aujourd’hui, je sais que mon calvaire prend fin. Bien que je commençais à trouver mes repères dans le confinement, la privation de liberté est ce que j’ai vécu de plus dur dans ma courte existence. Je suis fin prête, m’inspecte une dernière fois dans le miroir embué, j’ai des poches sous les yeux, les cheveux ternes, la taille épaissie, je suis pitoyable. Une matone me dirige vers la salle d’audience. Norton est là, assis en retrait, accompagné de l’avocate, il me fait un petit signe de la main. On m’installe face à un grand bureau, quelques autres personnes sont présentes. A l’annonce de l’arrivée imminente du juge, une femme nous ordonne de nous lever. L’homme qui arrive a une bonne tête. Grand, altier, cheveux grisonnants. Il nous dit de nous asseoir et me lance un coup d’oeil rapide tout en ouvrant mon dossier et lit à voix haute le compte rendu de mes péripéties. Il relève la tête et s’adresse d’abord à moi, me demandant si je reconnais les faits. J'acquiesce, puis, me questionne sur des sujets plus personnels auxquels je m’efforce de répondre avec ma franchise habituelle. Il se tourne alors vers celui qui est je suppose le district attorney et lui pose aussi sec la question suivante:         
  -Trouvez-vous normal qu’une jeune femme comme elle se retrouve en prison avec de criminelles?
   L’autre, bredouille quelques mots aussitôt interrompus par le juge qui poursuit:
    -C’est une honte! pour moi cette affaire est claire, cette personne a été incarcérée à tort! 
  Puis, s’adressant à moi:
     -Je vous donne un mois pour quitter le territoire, vous êtes libre!
     Le juge vient vers moi, me serre la main et s’en va.
   D’autres personnes ont déjà pris place dans la salle, ici on ne lésine pas avec le temps!
     Tout s’est passé si vite, je ne réalise pas encore que je peux bouger sans en avoir reçu l’ordre! Norton s’approche de moi et dit avec un grand sourire:
      -Viens, c’est fini, c’est terminé, tu entends?
    Nous nous embrassons enfin. Je remercie l’avocate qui me dit qu’il n’y a pas de quoi, qu’elle n’a rien pu faire si ce n’est d’avoir été présente aujourd’hui.

mercredi 10 juillet 2013

Je me réveille hagarde... (183)


    Je me réveille hagarde, ne sais plus où je suis, cela ne dure qu’un instant, j’ai vite fait de reconnaître cet endroit sordide surpeuplé et la cacophonie envahissante. En me levant, j’ai le tournis. Je n’ai plus rien ingurgité depuis un certain temps. Me souviens plus de mon dernier repas, j’ai faim. Il me faudra attendre. Je prends le bloc de papier et le crayon, m’assois au bout du couloir, commence à griffonner. Suzy s’amène aussitôt et dit:
    -Je guettais ton réveil, t’as pas oublié ta promesse?
   -Mais je ne t’ai rien promis, souviens-toi, j’ai dit qu’on en reparlerait! J’ai trop faim pour le moment, c’est juste pour tuer le temps jusqu’au prochain repas!
   Sur ce, Suzy s'encourt, et revient avec quelques biscuits style petit beurre qu’elle me tend en disant:
     -Je te les donne à condition que tu fasses mon portrait!
   Je lui fais un signe affirmatif. Bien qu’ils ne soient pas d’une grande fraîcheur, j’engouffre les biscuits un à un sans reprendre souffle. L’instant d’après, je me sens déjà beaucoup mieux, ne tremble plus. Cela n’échappe pas à Suzy dont le visage sombre s’illumine d’un sourire. Je lui demande:
    -Pourquoi est-ce si important d’avoir ton portrait?
    -Parce que c’est la première fois que je rencontre quelqu’un qui peut le faire et que jamais personne ne m’a même prise en photo et puis, je pourrai l’envoyer à mon môme pour qu’il ait au moins une image de moi. 
  Elle a l’air si triste tout à coup. Je suis émue et lui dis de s'asseoir, de tourner son visage de trois-quart sans trop gigoter. J’ai toujours le trac face à quelqu’un qui pose pour moi. J’essaie de rendre au mieux ce visage ravagé par des souffrances probablement indicibles, pourtant elle est encore jeune, aucun fil d'argent dans sa tignasse afro.  Quelques traits de crayon et par miracle le tour est joué. J’ombre ici et là, pas trop de peur de tout foutre en l’air. Pour moi le portrait est terminé, je tends la feuille à Suzy. Elle regarde longuement mon dessin et dit:
   -C’est fou, comment t’as fait ça en si peu de temps! Tu vois, je te l’avais dit que t’es une vraie artiste! T’as oublié de signer!
  Je signe et date, ajoute «pour Suzy». Elle saute de joie, appelle ses copines qui accourent voir le prodige! Faut dire que j’ai eu la main heureuse, j’en suis la première étonnée. Suzy m’embrasse et s’en va en sautillant comme une gamine. L’instant d’après, quelques filles m’entourent, elles veulent toutes «la même chose». J’ai une pensée pour Kate, elle m’a fait un cadeau inestimable. Depuis, ma relation aux autres a changé du tout au tout. On me respecte et je reçois des tas de faveurs; faut dire que je bosse ces derniers jours, les demandes sont constantes au point que j’ai dû instaurer un horaire pour ne pas semer la pagaille et me voir interdire mon travail de portraitiste. Le temps file plus vite dès lors, une semaine de plus a passé. Hier, j’ai pu téléphoner à Norton qui m’a dit avoir contacté une avocate, la femme de son copain Ofer, que l’on avait rencontré lors de leur mariage où l’on s’était disputés à cause de la fameuse tunique jaune, m’a-t-il rappelé. Elle va tenter de faire avancer mon dossier. Il n’a rien pu faire d’autre et m’a dit de faire preuve de patience. Tout finirait par s’arranger! J’étais contente d’entendre sa voix, mais j’ai moins apprécié son discours prêchi-prêcha! 

vendredi 5 juillet 2013

Un cliquetis de clés... (182)


   Un cliquetis de clés me réveille en sursaut. La porte s’ouvre avec fracas, une matone apparaît et m’ordonne de me lever. Dans un premier temps, j’ai du mal à me souvenir pourquoi je suis en isolement. Petit à petit, je retrouve la chronologie des événements mais ne sais pas combien d’heures j’ai pu dormir. Aucune lueur du jour ne filtre de l’unique petite fenêtre grillagée; dans le couloir, les néons sont toujours allumés. Je demande l’heure à la matone qui me répond d’un ton sec:
   -Il est presque midi, t’as pioncé vingt quatre heures, normal, vu la dose de calmant qu’on t’a injectée; maintenant que tu es calmée, tu vas retrouver tes petites camarades!
  Je m’interroge sur les trois pétasses, ont-elles eu droit au même traitement. Mais je n’ose plus rien demander, elle n’a pas l’air commode. Je la suis dans l’interminable couloir. En passant devant une porte vitrée, je vois mon reflet. Avec effroi, je constate un coquard énorme à l’oeil gauche. A côté de ma joue enflée, sur la tempe, du sang coagulé forme déjà une croûte épaisse -touffe de cheveu arrachée. Je suis monstrueuse, bonne pour la foire. Je vais être bien reçue avec cette tronche-là! J’ai du mal à suivre la geôlière, l’impression d’être cassée de partout. Je prends de bonnes résolutions. Dorénavant, je la bouclerai quoi qu’il advienne. L’accueil est tonitruant, toutes se foutent de ma gueule, quelques-unes claudiquent à ma suite jusque devant ma cellule. Aussitôt, je m’allonge en leur tournant le dos ce qui provoque une douleur fulgurante au niveau de mes côtes. Un cri m’échappe. Contre toute attente, ma voisine d’en-bas me regarde avec commisération et dit:
   -Tu pourras faire mon portrait? J’ai vu les dessins que tu avais jetés, t’es une vrai artiste ma parole!
    -Quoi? Tu es allée fouiner dans la poubelle! J’ai honte, j’aurais dû les déchirer! Bon, je te promets rien, mais dès que je serai sur pied, on en reparlera, ok?
     -Ok, ça m’va! 
    -A propos, dis-moi, où sont passées les filles qui m’ont agressée, je ne les vois nulle part?
   -J’sais pas, disparues depuis votre petit spectacle! De toutes façon, c’était des emmerdeuses, bon débarras! Mon nom est Suzy, si t’as besoin de quelque chose, tu n’as qu’à m'appeler!
    -Je te remercie Suzy, moi c’est Elie.
    Le vent semble avoir tourné, peut-être je finirai par me sentir bien dans cette taule, me dis-je en m’assoupissant. 
   

jeudi 4 juillet 2013

De retour dans mon quartier...(181)


  De retour dans mon quartier, je tombe sur Kate. Elle avait une entrevue avec une personne chargée de son dossier. Son départ pour l’Angleterre est précipité, il est prévu demain matin. Elle me donne un bloc de papier et un crayon avec une gomme à son extrémité et me dit:
  -C’est tout ce que je peux t’offrir, tu n’as qu’à faire des portraits des filles, cela fera passer le temps et t’empêchera de broyer du noir.
  Je la remercie et lui dis à quel point je suis triste qu’elle s’en aille déjà. Elle m’embrasse chaleureusement et dit qu’elle aussi me regrettera, qu’elle aurait aimé me rencontrer en de meilleures circonstances. On se quitte les larmes aux yeux. Dès le lendemain, je griffonne quelques esquisses qui toutes finissent froissées dans la poubelle. Je range près de mon oreiller, dans le sac plastique, papier et crayon avec les objets que Norton m’a ramené, en espérant que l’on ne me les piquera pas. A midi, comme d’habitude, je rejoins le rang. Devant moi, une fille gigote, va-et-vient hors du périmètre autorisé, on dirait qu’elle le fait exprès, ça me fout hors de moi et lui dis d’arrêter, qu’elle va tous nous faire payer sa connerie; c’est évidemment le mot de trop! Je suis assaillie par trois furies qui me tabassent, me crachent dessus en criant -Tiens, prends ça salope, de quoi tu te mêles, grande gueule... Ma tête bourdonne, je suis au sol, cerclée par les filles tentant de m'asséner encore quelques coups de pied avant l’arrivée des matones. Je me réveille seule dans une cellule, j’ai mal partout. J’ai dû tomber dans les pommes, je me souviens d’avoir été soulevée par deux gardiennes, après plus rien. Je me lève et me tâte pour constater les dégâts, à part un pansement à l’arcade sourcilière, il me semble que je suis entière, pas de dents cassées, juste des contusions ci et là, mais encore un sacré mal de crâne. Après quelques instants, ne tenant pas debout, je retourne sur la couchette et me rendors aussitôt.

mercredi 3 juillet 2013

Aujourd’hui, mercredi... (180)


  Ne parvenant pas à fermer l’oeil, j’écoute. Ronflements, cris, chuchotements, soupirs, grincements emplissent l’obscurité. Dans ma cellule, les filles dorment à poings fermés, comment font-elles? J’ai toujours eu le sommeil léger, le moindre bruit me fait l’effet d’un choc électrique. J’attends avec impatience le jour, me repassant sans cesse le film de mes déboires. J’imagine la tête de Zer s’il venait à apprendre ma détention, lui qui a passé temps de mois en prison. Et Gilberte, elle serait capable d’en rire, enfin, je ne sais pas. Sans parler de mes parents qui bientôt seront au courant. Je finis par m’assoupir quand retentit la sonnerie, puis le bruit des pas et la matraque frappant les barreaux. La musique ne tarde pas. Quelques minutes plus tard, tout le monde se retrouve en rang pour aller au réfectoire. A peine eu le temps de faire un brin de toilette. Je crève de fatigue et de faim. Heureusement, je retrouve Kate. Elle non plus n’est pas en forme olympienne. Résignée, elle attend son sort. Les quelques tranches de pain rassis et le café - eau brunâtre sans saveur - me remettent quelque peu d’aplomb, Kate m’ayant donné sa ration de sucre. Elle dit avoir grossi de plusieurs kilos depuis son arrivée. Les jours passent dans une monotonie sans nom, ponctuée par les repas et les nuits blanches. Je ne parle à personne à part Kate. Les autres filles m’ignorent et c’est tant mieux; elles me foutent la trouille. Elle sont d’une violence extrême, se battent, s’arrachent les cheveux pour un rien.
  Aujourd’hui, mercredi, c’est le jour des visites. J’attends depuis des heures qu’on m’appelle pour aller au parloir. En revenant du déjeuner, une gardienne me fait signe de sortir du rang et me dit:
   -Tu as de la visite, suis-moi!
  La femme m’introduit dans un sas et boucle la porte derrière moi. La porte d’en face s’ouvre à son tour. Un gardien m’indique le premier compartiment dans le long parloir. Je m’assois devant la tablette sur laquelle sont disposés des téléphones de part et d’autre d’une vitre blindée. Je ne m’attendais pas à ça, je suis consternée. Deux minutes plus tard, Norton arrive et s’assoit face à moi. Il feint un sourire. Je commence à parler, mais aussitôt me rends compte qu’il faut que j’utilise le téléphone. Je soulève le cornet, Norton fait de même, on reste muets un moment, mais le temps est précieux, il le sait et commence à me raconter ce qu’il a tenté pour  me venir en aide. Toutes ses démarches ont été vaines, personne ne veut prêter le moindre sou! Norton est mal à l’aise, j’ai l’impression qu’il m’en veut quelque part d’être entraîné dans cette histoire. Je ne peux retenir mes larmes, je le supplie de me sortir de cet enfer. Je ne trouve pas d’autres mots, lui non plus, il baisse la tête. Cette foutue vitre, j’ai envie de la fracasser,  je tape avec mon poing. Norton se redresse et pose sa main sur la vitre, j’ouvre ma main et la colle sur la sienne. Comme tout cela est pathétique! Je reprends le téléphone et dis:
  -Je suis désolée, je comprends que tu ne puisses rien faire, tu n’y es pour rien, ne t’en fais pas pour moi, je m’en sortirai sans l’aide de qui que ce soit. Ne viens plus me voir, c’est trop pénible, je t'appellerai dès qu’il y aura du nouveau. 
   J’ai à peine terminé mon petit laïus quand le gardien gueule que la visite est terminée. Je ne peux rester une seconde de plus. Néanmoins, je suis Norton du regard jusqu’à ce qu’il ait disparu.

mercredi 20 mars 2013

En fin de journée.. (179)


  En fin de journée, une gardienne vient me chercher, elle m’annonce que l’on a déjà procédé à un examen préliminaire de mon cas. Je peux sortir en payant une caution de deux mille dollars à condition de quitter le territoire dans les cinq jours! En attendant, elle me remet quelques jetons pour le téléphone. L’appareil mural se trouve dans le grand couloir. On me surveille depuis une cage de verre en surplomb. Je tourne le dos aux regards des matonnes. Avec fébrilité, je forme le numéro de Norton. J’ai peur qu’il n’y ait personne. Après une dizaine de secondes, je m’apprête à raccrocher quand enfin sa voix résonne. Je n’arrive pas à prononcer un mot. De l’autre côté Norton s’impatiente:
   -Oui, j’écoute, il y a quelqu’un? Eli c’est toi?
   -Oui, c’est moi! Comment t’as su que c’était moi?
   -Allons, ça fait trois jours que j’attends, tu te rends compte, je suis fou d’inquiétude, que s’est-il passé?
  Je lui raconte tout, le supplie de me sortir d’ici, de trouver deux mille dollars. Il n’a qu’à se mettre en rapport avec mon cousin ou peut-être avec cet homme pour qui on a trimé sur le bateau, lui pourrait avancer l’argent puisqu’il s’agit d’un emprunt momentané. Norton viendra mercredi pour la visite, ça lui laisse quelques jours pour manoeuvrer. Je lui demande également de m’apporter quelques bricoles indispensables. Il dit que je ne dois pas m’en faire, qu’il ne me laissera pas tomber. Tous les jetons ont été avalés, la ligne coupée nette, je reste plantée le cornet sur mon coeur. Un torrent de larme jaillit, je lance des coups de pied contre le mur, une gardienne arrive, me dit de me calmer et m’entraîne de force refermant les barreaux derrière moi. Je rejoins ma cellule en somnambule, me jette sur mon grabat. Je suis accueillie par des remarques persifleuses du genre: - Elle pleure car sa maman n’est pas là, que son papa n’est pas là non plus, qu’elle se sent seule au monde la pov‘ p’tite - J’enfouis ma tête sous mon oreiller, ne plus entendre leurs conneries; je veux dormir, encore et encore, la seule façon de surmonter cette épreuve, mais rien n’y fait, je ne parviens pas à faire abstraction de tout le vacarme qui m’entoure. Je sais que tout cela, j’aurais pu l’éviter, mais on a beau savoir des choses, on les fait malgré tout. Je suppose que c’est ainsi que l’on grandit. J’ai toujours trouvé que la vie devait commencer par la fin, on naîtrait avec une certaine connaissance et on finirait sans cette connaissance! Mais en attendant, il faut que je puisse sortir d’ici sans trop de mal. Je me sens honteuse par moment, ce qui est évidemment ridicule! J’ai toujours été une inadaptée, c’est là mon problème, ce sentiment d’être exclue du monde dans lequel je me trouve par le plus pur des hasards, et surtout ici même, c’est l’absurdité au carré! Entre-temps, la nuit est tombée, c’est l’extinction des lumières, et de la musique tonitruante, suivi du bouclage des cellules. Mes compagnes s’allongent sur leur pieu et tendent entre les barreaux le bras gauche, celui garni du bracelet. Je fais de même, et attends de voir ce qui va se passer. La position est inconfortable, je demande à la voisine du dessous combien de temps il faut rester ainsi, elle me répond de la boucler si je ne veux pas rester le bras hors de la cage la nuit durant. Après un moment, une des surveillantes arrive à notre hauteur. A l’aide d’une lampe torche, elle examine chaque bracelet avec minutie, ce qui me semble du zèle mal placé! Comme si on pouvait s’enfuir d’ici! Dès que la matone est hors de vue, je retire mon bras. Mais aussitôt, elle revient et m’engueule et dit que tant que le contrôle n’est pas terminé, tout le monde doit laisser son bras à l’extérieur. Pour cette fois, elle ne m’en tiendra pas rigueur parce que je suis nouvelle. Me voilà avertie...

lundi 4 mars 2013

Kate ajoute comme pour... (178)


   Kate ajoute comme pour elle-même:
   -Que m’est-il passé par la tête! Tu imagines bien les conséquences que cette histoire va avoir, ma vie est foutue. Pour l’instant j’attends d’être transférée en Angleterre. Et là, je serai jugée devant une cour martiale, j’aime autant te dire que j’en aurai pour mon grade!
    Kate semble calme, prête à accepter le pire des verdicts. Je ne sais quoi lui dire, en tout cas je n’aimerais pas être à sa place. Il faut dire qu’elle a agi en écervelée. Pourtant, à la voir comme ça, on dirait quelqu’un de réfléchi, les deux pieds sur terre. Evidemment, je ne sais rien d’elle, mais je ressens de l’affection pour cette fille, elle est comme moi, une grande naïve. 
  A mon tour de raconter les raisons qui m’ont amenées ici. Kate est donc la deuxième personne à qui j’explique ma mésaventure. Elle a exactement la même réaction que la précédente, trouvant cela profondément injuste, elle en est indignée. J’ai beau lui dire qu’il s’agit d’un malencontreux concours de circonstance, elle dit qu’il faut que je demande immédiatement la permission de téléphoner à un proche pour qu’on me sorte de cet enfer! Kate promet d’intervenir auprès de la gardienne, tout à l’heure, après le repas de midi. Nous discutons encore de choses et d’autres quand la sonnerie retentit. Nous nous précipitons. Les deux rangs se forment comme ce matin et comme à tous les repas, je suppose. Aller manger est une diversion dans la monotonie carcérale. La bouffe consiste en quelque chose qui ressemble vaguement à du poisson, sans goût, sorti d’une eau blanche où flotte une écume brunâtre, servi avec quelques patates farineuses qui tombent en morceaux dès qu’on les touche. 
   -On est gâtées aujourd’hui! Me dit Kate.
   -Tu es sérieuse ou c’est de l’humour?
   -Non, je t’assure, c’est mieux que d’habitude!
   Je ne la crois pas, je pense qu’elle prend les devants, elle essaye de me préparer pour que la suite soit plus facile à avaler, au sens propre comme au figuré! Je lève mon gobelet  afin de porter un toast à ce repas plein de finesse. Kate entre immédiatement dans mon jeu, fait tinter son gobelet contre le mien, et me demande si je désire encore un petit morceau de cette délicate chair de turbotin!

mercredi 27 février 2013

Bon, alors je continue! (177)


     -Bon, alors je continue! Le matin de mon départ, Jeff me remet la somme prévue, ainsi que toutes les indications, oralement, bien entendu! Je prends l’avion pour Singapour. J’arrive dans l’après-midi. Mon contact est là et m’emmène hors de l’aéroport dans une maison où se fait mon «habillage». Je suis comme en transe, je me laisse faire par quelques mains habiles. Les barrettes sont solidement arrimées à l’aide de chatterton. Les hauts de mes cuisses sont presque entièrement recouverte, ne laissant libre que l’entre-jambes. Le tout recouvert d’une jupe longue et ample. Evidemment pas très agréable, ni confortable, ça me tiraille de tous côtés, mais je n’ose rien dire, pas envie de m’éterniser dans cet endroit pour le moins pas très net! On me reconduit à l’aéroport. Le départ pour L.A. est prévu deux heures plus tard, ce qui me laisse le temps de m’habituer à mon accoutrement, d’apprendre à marcher avec le plus de naturel possible! Heureusement, c’est un vol de nuit, je pourrai dormir et passer relativement inaperçue. 
   Kate s’interrompt et dit:
  -Je fumerais bien une cigarette, mais ici, pas moyen de s’en procurer. Il faut du fric, si tu n’as personne à l’extérieur; en prison, pas de partage!
  -Comme je te comprends, pour moi, le manque a aussi commencé, j’ai fumé ma dernière avant de venir ici, c’est un supplice de plus! J’espère pouvoir téléphoner à mon ami, mais je ne sais pas comment ça se passe, as-tu une idée?
   -Tu as droit à un coup de fil par semaine, chaque fille à son tour, par ordre alphabétique. Le mardi, c’est le jour du parloir, les visites durent une demi-heure. Pour l’avocat, c’est différent. S’il prépare ta défense, il peut te venir à sa guise.
   -Le mardi! Mais quel jour sommes-nous?
   -On est mercredi, tu va devoir attendre!
   -C’est bien ma veine... Tu continues ton histoire?
  -Bon, où en étais-je, ah, oui! Le vol se passe sans anicroche, tout baigne. Le débarquement se fait normalement. Je passe la douane sans problème. C’est après que ça se gâte. Je ne retrouve pas mes bagages, ma valise ne se trouve pas sur le tapis roulant, j’attends une dizaine de minutes, mais plus rien n’apparaît! Je commence à paniquer, je cours dans tous les sens. Bien-sûr, je me fais repérer. Un homme s’approche de moi et me demande s’il peut m’aider, je le regarde et lui dis que mes bagages sont perdus, mais tout en lui parlant, je me dis que c’est peut-être un flic en civil, je me sens blêmir et commence à trembler. Ayant remarqué ma confusion, l’homme me demande si je me sens mal. Je perds mon sang froid et tourne les talons comme ça, sans raison. Evidemment, il me rattrape, me prend doucement par le bras, m’ordonne de le suivre. Tu imagines la suite! Le mec en question était bel et bien flic. Il n’aurait rien soupçonné si je ne m’étais pas mise dans tous mes états à cause de cette foutue valise. C’est ce qu’il m’avoua par la suite! Au début, il ne cherchait qu’à m’aider à retrouver mes bagages, ce n’est que quand je suis devenue pâle comme un linge qu’il a compris qu’il y avait autre chose... 

lundi 25 février 2013

Surveillées par des matonnes.. (176)


   Surveillées par des matonnes, nous regagnons nos cellules. Nous marchons en rangs serrés, en silence, on entend à peine nos pas, absorbés par le linoléum. J’ai des crampes d’estomac, quelque chose ne passe pas, c’est sûrement ce café infâme. Je me couche en attendant Kate. La douleur est intense. Je n’arrive pas à me détendre dans ce vacarme qui a repris de plus belle. Je me relève et fais les cent pas dans le couloir. Kate arrive, me regarde et dit:
    -Ca n’a pas l’air d’aller, préfères-tu te reposer? 
   -Surtout pas, je t’en prie, reste, je panique, allongée dans ce cagibis!
    -Viens, on va se mettre là-bas au bout, il y a moins de monde. 
   Nous nous asseyons par terre, adossées aux barreaux du couloir, Kate commence son récit:
  -Je suis d’origine écossaise, mais j’ai grandi à Londres. Après mes études secondaires, j’ai fait des études pour devenir infirmière. Il fallait que je gagne ma vie, mes parents n’étaient pas riches, et moi, je n’avais d’ambitions d’aucune sorte. Dans un premier temps, j’ai travaillé dans un hôpital quelque part dans la banlieue londonienne, je m'y ennuyais ferme, j’avais envie de voir le monde. J’ai postulé pour une place d’infirmière dans l’armée britannique basée à Hong Kong. Cela faisait dix ans que j’étais là. Je recommençais à trouver tout ça profondément ennuyeux. J’avais besoin de prendre l’air, mais n’avais pas les moyens de m’offrir des vacances. Peu de temps après, j’ai fait la connaissance d’un type dans un bar. Il faut savoir qu’il n’y avait pas d’homme dans ma vie, je suis une célibataire invétérée! Le type en question se faisait appeler Jeff, il était très sympa, mais c’était juste un ami avec qui j’allais au cinéma ou il m’invitait à dîner. Un jour, je lui ai confié que je voulais partir, prendre l’air, ne fût-ce qu’une semaine ou deux. C’est alors qu’il me proposa de transporter de la came! Je ne me suis pas offusquée, j’ai pensé que c’était la seule façon de gagner un beau paquet d’argent, de voyager par la même occasion et surtout de sortir de mon insupportable traintrain. Ce qu’il attendait de moi, c’était de fixer autour de mes cuisses des barrettes d’herbe comprimées et emballées sous vides. Ces barrettes, je devais les réceptionner à Singapour et les transporter sur moi jusqu’à San Francisco. Je recevrais la première partie du pactole en partant et le reste en arrivant. Il y a avait finalement peu de risque, les fouilles corporelles ne sont pas courantes, le seul danger étant les chiens renifleurs, mais d’après Jeff, la aussi, le risque était infime, du moment que les barrettes étaient soigneusement emballées, ce qu’il me garantissait. J’ai accepté, j’ai pris deux mois de congé sans solde et me suis lancée dans l’aventure!
    A ce point du récit, Kate me regarde et dit:
    -Tu dois te dire que je suis folle d’avoir accepté, n’est-ce pas?
   -Je n’en sais rien! Je pense qu’à ta place, je n’aurais jamais osé faire ça! De toute façon, je ne te juge pas. Ce que j’ai compris, c’est qu’il fallait qu’il t’arrive quelque chose et dans ce sens tu as réussi, je présume!
   Kate éclate de rire et dit:
 -Ah, ça oui! Et comment! Le changement est plus que radical...Tu veux connaître la suite?
   -Bien-sûr, je suis toute ouïe! Du coup, grâce à toi, mes crampes ont disparu!   

samedi 23 février 2013

Je m'apprête à la remercier.. (175)


   Je m’apprête à la remercier, aussitôt elle me fait signe de me taire. Je comprends qu’il est interdit de parler dans les rangs - souvenirs de l’école. Nous arrivons dans une grande salle où tables et chaises sont fixées au sol. Des groupes de six se forment. Mon ange gardien me tire encore de l’embarras en m’entraînant à sa table. Tout se passe dans un silence rituel. Des prisonnières font le service, elles sont plusieurs à pousser des chariots entre les tables. On nous sert du café dans une tasse en alu, ainsi qu’une espèce de bouillie, et quelques tartines spongieuses avec de la margarine. Au fur et à mesure, le brouhaha monte de table en table. Je regarde ma sauveuse et lui dis:
   -Si tu n’avais pas été là, je crois que je me serais fait lyncher! Merci!
   -Pas de quoi! C’est normal, C’est très dur les premiers jours pour les bleusailles!
  -Vraiment, je te dois une fière chandelle, c’est quoi ton nom? Moi, c’est Eliette ou Eli.
   -Katarina, ou Kate si tu préfères, enchantée Eli!
   Pendant qu’elle mange son porridge, je la dévisage. Elle non plus ne semble pas à sa place. Son accent n’est certainement pas américain, ni son allure, probablement une anglaise. De longs cheveux blonds attachés dans la nuque, un visage allongé aux traits fins lui confèrent un je ne sais quoi de désuet. Je ne lui pose aucune question, me rappelle les paroles de Yaël - pas la peine de poser des questions, tôt ou tard, les gens finissent toujours par se confier.
  Le café tout comme la bouillie sont insipides, je me force à avaler les tartines, je regarde Kate mangeant avec un certain appétit, je lui propose mon bol de bouillie, elle dit:
  -Tu devrais manger, les autres repas sont encore pire! Mais on s’habitue! Au début, je faisais la fine bouche comme toi, après deux mois de détention, on commence à devenir moins exigeante...
   Je m’exclame:
   -Deux mois!
   -Eh oui, et ce n’est pas fini, j’en ai pour un bon moment, tu dois te demander pour quelle raison, n’est-ce pas? 
   -Oui, excuse-moi, mais ça m’est sorti comme un cri!
   -Oh, ce n’est pas vraiment un secret, enfin, je ne le raconte pas à qui veut, d’ailleurs, jusqu’à ce que tu arrives, je n’avais pas encore eu l’envie d’en parler à quiconque. Si tu veux, on se retrouve après le petit dej qui ne dure qu’une demi-heure, après, on a toute la matinée à nous, le prochain repas est à midi. On s’installera tranquille dans un coin, et je te raconterai ma misérable aventure!


mardi 19 février 2013

Je m'assoie.. (174)


 Je m'assoie à l’extrémité de ma couchette, les jambes ballantes. J’observe mes compagnes de cellule, il faudrait que je leur parle, mais n’ose pas. Elles ont l’air de m’ignorer royalement. A me demander si je suis vraiment là, peut-être que je rêve, que tout ceci n’est qu’un cauchemar et vais me réveiller d’une seconde à l’autre. Soudain, l’une d’elles sort de son mutisme et me questionne:
   -Pourquoi t’es là?
   -Je ne sais pas!
   Elle se met à rire et crie aux autres:
  -Vous entendez? Elle ne sait pas pourquoi elle est là, ça c’est la meilleure! Cette pute blanche ne sait pas ce qu’elle fout ici!
   Les filles lui disent de se calmer, de me laisser tranquille. Je n’ai pas bougé d’un poil, ni fait entendre le son de ma voix. Mon interlocutrice revient à la charge, cette fois, avec un ton plus doux:
   -N’aie pas peur, j’suis une chienne qui aboie mais ne mord pas! Enfin, si justement, c’est parce que j’ai mordu mon boyfriend, je lui ai arraché l’oreille gauche, c’est pour ça que j’suis ici! Voilà, maintenant à ton tour de me dire ce que t’as fait!
   -Je t’assure, je n’ai rien fait, je suis clandestine, c’est tout!
   -Mais pourquoi ils t’ont mis en prison?
  Je lui explique dans les moindres détails le périple qui m’a amenée ici. Elle semble satisfaite de ma réponse et dit:
  -C’est bien c’que j’m’disais t’as pas une tête à être en prison, encore moins d’une criminelle! T’en fais pas va, tu sortiras demain au plus tard, c’est pas comme nous, la plupart des filles que tu vois ont tué, père, mère, mari ou leur môme!
    Un long frisson me parcourt, puis, je lui demande:
  -T’en as pris pour combien?
  -Ben, j’n’en sais rien, ici, tu vois, on est dans l’attente d’être jugée, ça peut durer jusqu’à trois mois, parfois plus, ça dépend d’un tas d’choses. Après les trois mois, on est transférées dans des cellules à deux ou seule, c’est selon, mais là t’es plus cool qu’ici, t’as la télé, tu peux même faire des activités, tu reçois des colis d’l’extérieur si tes proches n’t’ont pas lâchée, enfin c’est la taule quoi! Tandis qu’ici, on tourne en rond, on n’fout rien, on bouffe, on dort et comme tu peux t’en rendre compte, on a la radio!
   -Justement, j’allais te demander, cette musique, c’est du matin au soir?
   -Oui, ma chère, depuis l’réveil à cinq heures, à l’extinction des lumières, à onze heures du soir! T’as pas l’air d’apprécier? 
    -En effet, ça rend dingue! Une véritable torture...
   -Eh, bien, t’es une p’tite nature, moi j’aime bien, ça nous fait danser, ça nous maintient en forme!
   Une sonnerie retentit, elles sortent dans le couloir commun, se mettent en rang par deux. Je m’avance également. Je ne sais pas ce qui se passe, quand enfin une âme charitable me tire par le bras à côté d’elle et me chuchote tout bas:
     -On va au réfectoire, c’est l’heure du petit dej! 

jeudi 14 février 2013

Pendant quelques minutes... (173)


    Pendant quelques minutes, nous suivons toujours la ligne rouge dans un large couloir qui tourne au fur et à mesure que l’on monte aux étages. Après un moment, nous recevons l’ordre de nous arrêter devant une haute grille donnant sur un espace relativement long dans lequel s’alignent une dizaine de cellules à barreaux. Je me retrouve dans l’une d’elle. Du côté gauche en entrant, iI y a quatre lits superposés; au fond, un minuscule lavabo et une chiotte. On m’octroie la seconde couchette à partir du bas. Il n’y a que peu d’espace entre les lits, juste de quoi s'asseoir et encore, tout est étroit, oppressant à souhait. Heureusement, les cellules restent ouvertes pendant la journée, on a le droit de circuler dans la partie commune. Les trois occupantes me fixent sans détour. Je suis désarçonnée, ne sais comment me comporter. Je leur fais un hello timide auquel elles répondent en choeur avec un soupçon de mépris, me semble-t-il.      
  Après un moment de relatif silence, après le départ des gardiennes, un brouhaha sans nom explose par dessus les hauts-parleurs qui déversent à tue-tête de la musique de variété. On se croirait à la foire si on ferme les yeux... Des filles se déplacent sans cesse, d’autres forment de petits groupes ci et là, d’autres encore sont couchées sur leur paillasse ou à même le lino du couloir. Quelques-unes dansent, se marrent, chahutent, gueulent à qui mieux mieux. C’est l’enfer, je ne tiendrai pas le coup longtemps, mais bien-sûr, il n’est pas question de rester ici, tout cela n’est qu’une sordide erreur, il n’y a aucune raison que je sois enfermée dans cette taule de haute sécurité! D’ailleurs, je vais téléphoner à Norton dès que j’en aurai l’occasion. Bon sang! je l’avais complètement oublié celui-là! Normal, je ne sais plus où j’en suis, je n’arrive pas à raisonner, à faire un plan pour me dépêtrer de cet imbroglio. A ma place, qui pourrait, je me le demande. Ce vacarme ne va donc jamais cesser, quelle heure peut-il bien être? Je me souviens d’avoir vu une horloge en arrivant, c’est ça, dans le couloir, j’y jette un coup d’oeil, les aiguilles indiquent six heures. Pendant une fraction de seconde, j’ai une hésitation, six heures du mat ou du soir, ça doit être du matin, la nuit a été longue...

mardi 12 février 2013

Menottée, on m'embarque... (172)


    Menottée, on m’embarque dans une voiture de police, les autres filles montent dans un bus. Je demande au gardien qui m’accompagne pourquoi je ne vais pas avec les autres, il répond qu’il n’y a pas assez de place pour tout ce monde, qu’on les renvoie dans leur pays. J’essaye d’avoir plus d’informations sur ce qui m’attend, mais il dit ne rien savoir, que je ferais mieux de me taire, et que si je suis dans cette situation, c’est qu’il doit bien y avoir une raison. D’habitude, j’aurais rué dans les brancards, mais à présent, cela ne servirait à rien. Quelque part, il a raison, bien que je ne m’attendais pas à être arrêtée de telle façon. Il aura fallu tous ces concours de circonstances, depuis ce foutu feu arrière, jusqu’au drame imprévisible d’hier soir pour en arriver là. Je n’ai même plus le loisir de m’apitoyer sur mon sort, je n’ai d’ailleurs aucune pensée, je ne suis qu’une des billes d’un roulement qui tourne fou. Nous arrivons à destination; la bagnole s’arrête devant la grille d’un immense bâtiment sur lequel je lis avec effroi: Los Angeles County Jail. C’est donc ça le fameux centre fermé! Pour ce qui d’être fermé, c’est bien fermé! Après avoir attendu la permission d’entrer, la grille s’ouvre, se referme aussitôt sur notre passage. On me fait descendre devant une autre grille qui s’ouvre à son tour, puis une porte blindée s'entrebâille lentement, donnant accès à un long couloir peint en gris, le sol, les portes, tout est gris, même la lumière, jusqu’à l’odeur qui elle aussi est grise. Une gardienne me dirige vers un local où je dépose mes affaires. A nouveau un tas de questions, on remplit une fiche, puis, on prend mes empreintes. On me donne des vêtements, un drap, une taie et une couverture. Ensuite, je dois me déshabiller, laisser mes effets dans un casier numéroté, et attendre à poil pendant un moment devant la salle des douches, heureusement, il y fait très chaud, même étouffant. D’autres femmes arrivent, cinq en tout. Après la douche, on nous fout de la poudre dans les tifs, sous les aisselles,  dans les poils pubiens. Je me sens mal, je suffoque, ça pue la mort. Je veux m’allonger, mais suis aussitôt rappelée à l’ordre, on nous presse, pas question de s’éterniser, il faut que ça gaze, que l’on revête les pyjamas avec matricule imprimé au-dessus de la poche à droite sur la poitrine. Avant de rejoindre nos quartiers, il y a encore la touche finale qui consiste à nous riveter autour du poignet droit un bracelet en plastique blanc scellé sur lequel sont inscrits nom, prénom, date de naissance, empreinte digitale et matricule. L’opération terminée, deux gardiennes ordonnent de nous placer en file indienne, et de suivre, dans un silence absolu, la ligne rouge tracée sur le linoléum menant aux cellules.

lundi 21 janvier 2013

Vers vingt trois heures... (171)


   Vers vingt trois heures, extinction des lumières. Il était temps, rien de pire que la lumière blafarde de ces foutus néons. Les chuchotements des filles continuent, ainsi que leur va-et-vient incessant entre lits et fenêtres, donnant l’impression qu’elles attendent quelque chose du dehors. J’essaye de dormir en vain, leur stress ne fait qu’augmenter le mien. N’y tenant plus, je me lève. M'habituant peu à peu à l’obscurité, je les aperçois en train de nouer leurs draps les uns aux autres. Je suis partagée entre me taire ou intervenir, sachant qu’elles courent un grand danger vu l’étage où nous nous trouvons, mais comment le leur faire comprendre, d’ailleurs quel est l’enjeu d’une telle prise de risque? Fuient-elles une misère insupportable, ou ont-elles le cerveau lessivé par le rêve américain vu à la télé. Je les ai côtoyés, ces clandestins de tout bord, ces nouveaux esclaves. Je m’approche de l’une d’elles et la préviens du péril. Elle me répond dans un anglais très approximatif accompagné d’une série de gesticulations, que ce n’est pas la première fois qu’elles s’échappent de cette façon, d’ailleurs, une fois en bas, leurs copains passeront les récupérer en voiture; under control, under control, me répète-elle. Dans un geste d’impuissance, je hausse les épaules et retourne m’allonger. Après tout, elles semblent déterminées et savoir ce qu’elles font, de la routine en quelque sorte. Assoupie, mauvais rêve et réalité s’entremêlent, quand quelques cris stridents, suivis de hurlements s’élèvent dans le silence de la nuit. Je me jette hors du lit pour constater le drame annoncé. Deux d’entre elles gisent inertes faces contre terre, deux taches claires sur l’herbe sombre, tel des cerf-volants échoués sur une pelouse. Trois bagnoles quittent à toute blinde les lieux dans un crissement de pneus. Alertées par le bruit, les nonnettes se précipitent vers la pelouse, s’agenouillent et se mettent à prier auprès des corps sans vie. Les néons ont été rallumés dans le dortoir. Celles qui n’ont pas eu le temps de s’échapper, 
une dizaine environ, se regroupent et pleurent. Je me tiens à l’écart, désemparée, tremblante, me reprochant ma mollesse, j’aurais dû être plus ferme pour empêcher l’irréparable. Pendant ce temps, d’autres soeurs arrivent, deux d’entre elles s’adressent à nous, l’une en anglais, l’autre traduisant en espagnol:  
   -Vous comprendrez que dans ces conditions, nous ne pouvons vous héberger plus longtemps, nous avons contacté les autorités qui ne devraient pas tarder. Nous vous demandons de bien vouloir vous habiller, réunir vos affaires et descendre. Vous serez transférées vers un centre fermé. 

samedi 12 janvier 2013

Nous voilà en route vers...(170)


    Nous voilà en route vers le couvent. Nous, c’est une vingtaine de filles qui ne pipent pas un mot d’anglais, la communication est difficile, je leur souris, elles me sourient aussi. Elles, elles ont l’air de se connaître, discutent d’un bout à l’autre du car. Le mot «couvent» m’évoque tout naturellement le couvent, le mien, celui de Gilberte. Oh, Gilberte, si tu me voyais. Des larmes me montent aux yeux, mais qu’est-ce qu’il m’arrive, pourquoi suis-je encore sur la mauvaise route? Le bus bifurque dans une rue mal éclairée, aux bâtiments sombres. Nous sommes arrivés dans downtown L.A. Nous débarquons devant un bâtiment impressionnant de cinq étages, en brique rouge, de style neo-gothique, entouré d’une pelouse parsemée de quelques arbres. Des fenêtres sont éclairées tout en haut. Deux soeurs nous accueillent, et dénombrent le petit troupeau. Une fois au complet, nous montons les cinq étages par le grand escalier jusqu’au dortoir où les lits sont déjà faits. A côté, dans une autre pièce, une salle d’eau avec douches, puis une buanderie disposant de plusieurs machines à laver et séchoirs. Tout au bout du long couloir, le réfectoire, suivi d’un coin salon avec fauteuils et une télévision. Après nous avoir expliquées les règles de la maison, les deux religieuses nous quittent en nous souhaitant une bonne nuit, ajoutant que demain sera encore une rude journée pour nous, qu’elles nous réveilleront à six heures pour le petit déjeuner qui sera servi avant notre départ. Les filles s’installent aussitôt, s’accaparant les lits proches des fenêtres. Certaines scrutent la rue pendant un bon moment, puis reviennent s'asseoir sur l’un des lits, se parlent à voix basse comme si elles complotaient. Je me déshabille, mets les vêtements que je porte depuis deux jours dans le lave-linge, m’entoure d’un drap de bain prêté par les bonnes soeurs. Je regarde un moment la télé, la chaîne choisie par les soeurs présente une série télévisée, Little house on the prairie, je m’en lasse après un moment, trop doucereux pour mon état d’âme, je somnole quelques temps, puis vais prendre une douche, me laver les tifs; entre-temps, la machine a fini ses cycles, je fourre mes nippes dans le séchoir, retourne au salon où un petit groupe a pris place, l’attention médusée par un téléfilm en  langue espagnole qu’elles ont réussi à dénicher dans le fouillis des nombreuses chaînes. Je décide d’aller pioncer, il n’y a que ça à faire bien que je sois tendue et n’arriverai probablement pas à trouver le sommeil malgré une fatigue extrême.

lundi 7 janvier 2013

Une vingtaine de minutes plus tard... (169)


    Une vingtaine de minutes plus tard, le véhicule s’immobilise. Je  suis restée prostrée tout au long du trajet, pas eu un regard vers l'extérieur. Ne sais pas où je suis, d’ailleurs, je ne sais plus rien à part ma détresse. Un flic m’ordonne de descendre, m’emmène vers une sorte de hangar. On me pousse à l’intérieur. Je ne suis plus seule. Il y a là une centaine d’individus parqués dans deux espaces séparés par de hauts grillages, d’un côté les hommes, de l’autre les femmes. La plupart sont mexicains, jeunes et très bruyants.  Je ne parviens pas à comprendre ce qui m’arrive, ce qui leur arrive. La panique me hante, j’essaie de ne pas la laisser s’insinuer. Rester calme, attendre. Cette situation abjecte ne peut durer très longtemps, trop indigne de ce grand pays. Pourtant, personne ne semble révolté, ils ont l’air de trouver tout cela normal. Très vite, je suis repérée par un homme qui grimpe au grillage. Parvenu à mis hauteur, il m'interpelle dans un baragouin hispano-anglais. Par des gestes obscènes, l'homme me fait comprendre que je lui plais, ce qui provoque l’hilarité générale, les clameurs vont crescendo. Je reste assise à même le sol en béton. Les femmes me regardent avec curiosité, elles voient bien que je ne suis pas l’une des leurs. L’atmosphère est lourde, l’air circule à peine, aucune fenêtre, l’espace est sombre. Ca pue, ça sent le fauve. Les chiottes sont plantées dans le fond, de simples cabines en bois léger sans toit. J’ai la nausée. De temps en temps un garde fait une ronde en frottant sa matraque contre le grillage, ce qui a pour effet de diminuer les clameurs un court instant. Les heures passent sans que personne ne vienne nous délivrer. J’ai une faim de loup, je dévorerais n’importe quoi, quand enfin, résonne un bruit de chariots métalliques. Tout le monde se jette vers le grillage, je reste en retrait et attends. Petit à petit chacune revient tenant une barquette en alu dans laquelle est servi un repas accompagné d’un grand gobelet rempli de coca. Je me lève et avance dans la cohue. Je ne sais pas si c’est la faim, mais le repas composé de deux enchiladas garnies, recouvertes d’une sauce épaisse de fromage grillé est un véritable délice, je me les engouffre en un rien de temps, bois le coca et finis par m'assoupir. Je me réveille en sursaut. Un haut-parleur énonce des noms, quelques femmes se dirigent vers la sortie, passent une à une de l'autre côté du grillage. Mon nom est prononcé, je me précipite avec quelques autres à l’avant. Une femme flic est assise à une table encombrée de piles de dossiers, sorte de bureau improvisé à la porte du hangar, elle me dit de m'asseoir et de répondre par oui ou par non à ses questions. Toujours les mêmes questions auxquelles je réponds pour la troisième fois. Puis, elle termine un petit laïus en disant: 
  -Maintenant, vous allez rejoindre le groupe de femmes là-bas à gauche, vous serez conduite en car jusqu’à un couvent du centre ville, vous y passerez la nuit et demain dans la matinée, on vous emmènera à l’aéroport où on vous mettra dans un avion, direction case départ!
  Je veux ajouter un mot, mais elle me fait non de la tête et m’indique la file, d’ailleurs je ne sais même ce que j’aurais pu lui dire ou lui demander.