jeudi 28 avril 2011

J'erre un moment.. (95)

   J’erre un moment dans les rues désertes, je vais jusqu’à la mer. La dernière fois que j’ai foulé cette plage, c’était avec Sylviane, nous y avions dormi. Comme cela me semble déjà loin, c’était dans une autre vie. Je cherche en vain un endroit à l’ombre, l’unique buvette est fermée. Je me dirige sur la route en direction de ma destination. Je m’assois dans l’attente d’un transport hypothétique. Après quelques minutes, un vieux pick-up chargé de bouteilles de butane déboule, s’arrête devant mes yeux ébaubis; la chance me sourit, le chauffeur va jusqu’à Nuweiba, l’homme me dit que c’est une plaisir pour lui d’avoir de la compagnie, il déteste rouler seul - ça tombe bien! En plus, il a l’air d’un brave type, pas le genre à mettre ses pattes sur les cuisses des auto-stoppeuses. Pas bavard non plus, j’ai vraiment du bol. Je peux admirer en toute sérénité le paysage qui défile. D’un côté, la mer, de l’autre, le désert. Plus on s’enfonce vers le sud, plus les collines deviennent montagnes. Je ne peux m’empêcher d’exprimer mon exaltation devant tant de beauté, le conducteur sourit, pour lui c’est la routine. L’homme me demande si je compte rester longtemps là-bas, je lui dis que je n’en ai pas la moindre idée, que c’est en fonction de mes réserves financières, il sourit à nouveau, et me dit que je ne risque pas de me ruiner, on ne peut y dépenser grand-chose; l’unique hôtel de l’endroit, quelques baraquements de tôle ondulée, pas un palace étoilé ajoute-t-il dans un éclat de rire. Il m’explique que je pourrais même dormir sur la plage, tous les jeunes cinglés, ces fumeurs de haschisch, les hippies comme on les appellent, y ont établi leurs quartiers. A mon tour je lui pose des questions d’ordre pratique, comment on fait pour se nourrir dans le coin; il me dit que que je pourrai manger à l’hôtel, ils servent des repas, les bouteilles de gaz à l’arrière, c’est pour eux, j’allais oublier, me dit-il, il y a même un petit dispensaire, on ne sait jamais, un accident est si vite arrivé! L’homme regarde sa montre, après deux heures de route, nous arrivons. J’aperçois une tache verte dans le lointain, et quelques maisons en pisé, c’est là. On s’arrête un peu avant l’oasis, devant les baraquements qui ont l’air bien misérable! Mon chauffeur tient à me présenter au gérant. Les deux hommes se tapent sur l’épaule, ils se tournent vers moi, on fait les présentations, le gérant dit: 
  -Je vois que tu as encore dragué, vieille canaille!
 -Je te confie cette charmante jeune femme, ne l'empoisonne pas avec ta nourriture merdique! Sers-nous quelque chose à boire, on étouffe ici, t’as pas encore fait installer  l’air conditionné dans ta taule?
  -Ca viendra, quand les poules auront des dents! Ce n’est pas avec les zigotos qui traînent par ici que je vais devenir riche! Leur échange continue sur le même ton, le temps qu’un employé ait vidé le pick-up de son chargement. J’ai assez entendu leurs balivernes, j’ai besoin de me dégourdir les jambes, envie de me baigner; je remercie l’homme pour sa gentillesse, salue le gérant à qui je promets de venir goûter sa cuisine dès ce soir. Je me dirige vers la plage qui se trouve à quelques mètres.

Je prends place.. (94)

Je prends place au fond du bus qui va à Eilat, de là, je ferai du stop jusqu’à Nuweiba, située à quelques quatre vingt kilomètres au sud. Le bus est loin d’être plein, aucun touriste, juste quelques gens du coin; la plupart vont à Beersheva. Je ne sais pas combien de temps dure le trajet, mais qu’importe, personne ne m’attend. Le paysage désertique défile avec une monotonie lancinante. De temps en temps, le chauffeur s’arrête pour faire monter un homme surgi de nulle part. Parfois, j’aperçois une silhouette assise, attendant dieu sait quoi sous l’unique arbre à des lieues à la ronde. L’autobus avance sous un ciel parfaitement bleu, la température monte avec les kilomètres. Arrivé au terminus, il est midi. Sur la place écrasée de chaleur, l’air vibre; un troquet est ouvert, je m’installe à l’intérieur, bois un jus de pamplemousse, mes fesses collent à la chaise en formica. A part le tenancier qui lit son journal, il n’y a personne, on entend les mouches voler. Le soleil tape dur pour l’époque de l’année, j’aurais dû partir plus tard dans la journée, à cette heure personne ne prend la route vers le sud. La petite somme que Zer m’a donnée ne me permet pas de faire des folies, je mange quelques-uns des biscuits emportés en guise de ration de survie. Je n’ai aucune idée où je vais pouvoir me loger une fois sur place, ni ce que cela peut coûter. Je n’ai pas vraiment préparé ce voyage. A la dernière minute, hier soir, je suis allée dire au revoir à Gilberte qui m’a prêté une djellabié en coton blanc, idéale sous le climat du Sinaï. Les nuits pouvant être froides en cette saison, j’ai pris soin d’emmener un sac de couchage que j’ai attaché au bas de mon sac à dos; j’ai pris un minimum pour ne pas être encombrée.