samedi 26 mars 2011

Le lendemain, je suis réveillée.. (83)

  Le lendemain, je suis réveillée par des coups frappés à la porte. J’ouvre. Devant moi, un soldat, il veut parler à Zer, je lui dis qu’il est absent et ne sais quand il reviendra; je demande ce qui l’amène, il ne répond pas tout de suite, et finit par me dire que Yoram, un copain de Zer a été tué hier près de El Arish. N’ayant ni le courage, ni le temps d’annoncer la mauvaise nouvelle à la famille du mort, il a pensé que Zer pourrait s’en charger. Je lui dis que de toute façon ils seront informés par voie officielle, mais je lui propose d’y aller, sachant où ils habitent. Soulagé, le soldat me remercie et s’en va. Je ne sais pas ce qui m’a pris, c’est absurde, je connais à peine le défunt, je ne l’ai rencontré qu’une seule fois et ses parents, je ne les connais que de vue. 
  Ma première confrontation avec la mort fut le décès de ma grand-mère maternelle, je n’étais encore qu’une enfant; je me souviens: cela se passe à Amsterdam, dans un local attenant à la grande synagogue, la dépouille trône au milieu de la grande pièce vide; la lumière hivernale, venant des hautes fenêtres, éclaire le corps recouvert d’un drap blanc, déposé à même une planche soutenue par des tréteaux. Au niveau de mon regard, se profile la tête de mon aïeule comme sculptée dans le tissu. Impressionnée par cette vision, fascinée par le décorum, je me mets à pleurer, à hurler. Quelqu’un m’entraîne dehors et me fait boire de l’eau, je ne me souviens plus de la suite. C’est ma première image de la mort; depuis je scrute la camarde sous toutes ses formes.
  Mon attirance du morbide m’impulse ce geste gratuit: aller vers ces gens pour leur annoncer la mort de leur fils. J’accomplis ma mission avec un grand calme, tout se passe comme prévu... Après ça, je me sens légère, soulagée d’un poids qui ne m’était pas destiné; ma part infime dans cette guerre qui me concerne si peu.