dimanche 27 février 2011

Je me gare dans.. (57)

   Je me gare dans la petite rue déserte; une vieille lanterne diffuse une lumière faiblarde  sur les baraquements du marché. Zer sort de la voiture, agile comme un chat, il disparaît aussitôt dans le bric-à-brac labyrinthique.
  Cela fait bien dix minutes qu’il est parti, je suis un peu inquiète. Tout à coup je vois une bagnole de flic dans le rétroviseur. J’ai juste le temps de me glisser au fond de mon siège et de courber la tête; les tripes nouées, je reste ainsi pendant un moment qui me semble long; je refais surface lentement. Ils ne m’ont pas vue; plus le temps passe, plus je m’angoisse.. Je n’ai aucune idée de l’heure, les premières lueurs du jour apparaissent quand enfin j’entends des cliquetis de verre entrechoqué. Zer revient avec deux énormes baluchons. Je démarre en trombe et file à toute blinde hors de la petite rue. On décide de tout laisser bien caché dans le coffre de la bagnole, c’est plus prudent. Zer est attisé par son aventure, on baise comme des sauvages jusque dans l’après-midi. Le soir, nous flânons dans Paris. Demain nous quitterons la capitale. 
  Nous reprenons la route aux aurores. N’ayant toujours pas ouvert les sacs avec le fameux butin, nous nous arrêtons sur un petit chemin de campagne; avec précaution, nous sortons les vases un à un du coffre. C’est la grande déception, ils sont bien d’époque, mais fabriqués en série, cela saute au yeux. Zer m’accuse de ne pas avoir été assez explicite. Dans sa rage, il fracasse un des faux Gallé. Nous voilà en possession d’une douzaine de vases dont il faudra se débarrasser d’une façon ou d’une autre. Après une prise de bec monumentale, on décide de faire route vers l’Espagne.

samedi 26 février 2011

On s'arrête à.. (56)

   On s’arrête à Montmartre dans un petit hôtel miteux, non loin du marché aux puces.
  Je m’allonge sur le lit métallique qui grince au moindre mouvement et demande à Zer quels sont ses plans.
  -Tout d’abord, viens dans mes bras que je m’occupe un peu de toi! Je suis très excité! Chez tes parents ce n’était pas le pied, je me sentais mal à l’aise. Après je t’expliquerai tout!
  Le lendemain, on passe presque toute la journée aux puces; il y a plein de vases de toutes sortes; j’explique à Zer les façons de reconnaître les Gallé, il m’écoute avec beaucoup d’attention. Il ne m’a toujours rien dit, bien que je me sois déjà fait une petite idée sur ses intentions. Le soir, en rentrant à la piaule, je me jette sur le plumard et m’endors aussi sec.
  Je me réveille en sursaut, Zer est déjà tout habillé.
  -Mais qu’est-ce qui te prends? Trois heures du mat!
  -Allez, debout! Je te donne cinq minutes.
  -Tu avais promis de m’expliquer!
  -Il n’y pas grand chose à expliquer. On va aller là-bas où on s’est garé ce matin, c’est l’endroit idéal pour grimper sur une des palissades de bois et de là, je sauterai dans un des passages entre les échoppes; après ce n’est plus qu’un jeu d’enfant pour trouver les vases que tu m’as indiquées! Pendant ce temps, tu feras le guet, en cas de danger, tu n’as qu’à klaxonner...
  -Mais tu es complètement à la masse! Tu ne reconnaîtras jamais les bons vases dans le noir, d’ailleurs, il y a sûrement des gardiens.
  -J’ai pensé à tout, me dit-il en brandissant une lampe torche, et je suis plus rapide que n’importe qui, tu le sais bien !
  -Si tu ne te fais pas coincer, tu peux tomber et te casser une jambe!
  -Fais-moi confiance. Allez, viens.

vendredi 25 février 2011

L'attente est difficile.. (55)

  L’attente est difficile, l’ambiance familiale est ce qu’elle a toujours été. Je n’ai vu qu’une seule fois Dolorès, on avait si peu à se dire. Elle vient d’accoucher d'un second fils, deux mômes de pères différents, elle vit sa vie et ne semble pas très intéressée par mes péripéties, ni moi par les siennes. Je m’ennuie de Zer et de ses frasques! Il n’y a que Lisa que je vois de temps en temps, dans un mois elle part s’installer à Cannes poursuivre là-bas des cours de danse à l’école Rosella Hightower, très réputée, paraît-il...
  Les semaines filent, le mariage est prévu dans trois jours. Je commence à me demander si Zerah a vraiment l’intention de venir. Quand enfin, il m’appelle, il arrive demain soir, et est impatient de me prendre dans ses bras.
  A peine arrivé, Zer veut tout voir, il ne tient pas en place, lui aussi étouffe dans la maison parentale. Le jour des noces approche; il faut aller jusqu’au bout de cette bouffonnerie.
  Finalement tout se passe bien, la cérémonie à la maison communale est expédiée en deux temps trois mouvements, après nous nous tapons la cloche copieusement. Mes parents ont l’air ému, tout en désapprouvant cette union, c’est à n’y rien comprendre! Zer et moi n’avons qu’une idée en tête, se tirer. Papa et maman nous ont remis une enveloppe contenant de l’argent, de quoi faire un très joli voyage!
  Le lendemain, nous achetons une bagnole d’occasion, une Triumf-Spitfire rouge, décapotable; c’est une idée de Zer, il dit qu’une cage de luxe est plus facile à revendre et ainsi, à la fin du voyage, il nous restera un peu de fric pour le retour, mais en fait, il rêve depuis toujours de ce genre de caisse! Nous voilà enfin sur la route, direction Paris, encore un fantasme de mon époux bien-aimé...
  Pendant les quelques jours passés à Bruxelles, Zer s’est beaucoup intéressé aux objets que collectionnent mes parents, entre autre les vases en pâte de verre Gallé. Mon père lui ayant expliqué qu’il y a pas mal de faux, mais que les vrais ont une grande valeur lorsqu’ils sont intacts. Zer me bassine avec ces fameux vases et me demande sans cesse si je suis capable d’en identifier un vrai, je lui réponds par l'affirmative, sans aucun doute. Je finis par comprendre où il veut en venir. Le but réel n’est pas de visiter Paris, mais d’aller aux puces à Saint-Ouen pour faire un repérage de vases en pâte de verre...

jeudi 24 février 2011

Je suis debout.. (54)

  Je suis debout avant tout le monde. En fait, ce sont des couinements qui m’ont réveillés. Clara (la chienne) a mis bas, sa niche grouille de petits monstres aveugles. J’en compte sept, tous noirs, des bâtards évidemment, j’appelle Zer et lui dit:
  -Voilà tes setters irlandais! Qu’allons nous faire des ces petites bêtes, tu ne t’imagines quand même pas pouvoir les vendre?
  -Tu verras, ils deviendront très mignons, on les casera sans problème.
  J’observe Clara, elle lèche avec soin chacun de ses rejetons qui continuent à pousser des petits cris désespérés.
  Je m’évertue à ce que le séjour de mes parents se passe sans anicroches. Je suis leur guide et les emmène visiter mes lieux favoris. Nous évitons les sujets qui fâchent. Tout se passe en surface et c’est mieux ainsi. Cela fait une semaine qu’ils sont là. Je n’ose pas leur demander le temps qu’ils comptent encore rester, mais maman est finaude. Elle m’annonce avec emphase: «Il est un temps pour venir et un temps pour repartir!»
  Deux semaines après le passage de mes parents, je reçois une lettre dans laquelle ils nous remercient encore de notre accueil. Mais surtout, ils insistent sur les origines de Zerah. Malgré qu’il soit juif, il est d’une culture trop différente de la mienne. Il faut que je comprenne qu’ils ne sont pas d’un enthousiasme débordant. En revanche, ils exigent une régularisation de cette union car nous vivons dans le péché et nous invitent à venir nous marier en Belgique. Je n’avais évidemment jamais pensé à épouser Zer! De plus, il est déjà marié (ce que j’ai omis de dire à mes parents). L’idée de voyager aux frais de la princesse est très tentante. J’en parle à Zer qui y voit également une opportunité formidable, lui qui n’a encore rien vu du vaste monde. Un mariage civil ne l’impliquerait du reste en rien, puisque cet acte n’est pas reconnu ici; seul le mariage religieux compte pour l’Etat Hébreu. Nous acceptons donc l’offre de mes parents.
  Nous ne partirons pas ensemble, Zer a quelques difficultés à obtenir son visa et moi, je dois m’occuper des papiers là-bas. Zerah me dépose à l’aéroport et promet de venir me rejoindre au plus vite. Déjà l’avion décolle. Adieu horizons céruléens, tout à l’heure je retrouverai la grisaille. En atterrissant, l’avion traverse une énorme chape nuageuse. Il fait froid, humide, glauque, sinistre quoi! Je m’engouffre sans tarder dans un taxi qui m’emmène en direction de tout ce que j’ai fui...

mercredi 23 février 2011

Comme à chaque fois..(53)

    Comme à chaque fois, maman fait son numéro de mater dolorosa:
  -Mais tu es folle, tu ne te rends pas compte des inquiétudes que nous avons eues.
  Un ange passe. Ils se questionnent du regard, puis maman reprend la parole avec le consentement de mon père:
  -Nous étions tellement anxieux à ton sujet, que nous avons fait appel à un détective qui t’a suivi pendant un certain temps. Il nous a fait un rapport si alarmant que nous avons décidé sur-le-champ de te ramener avec nous, c’est la raison de notre présence!
  -Vous n’y pensez pas! Qu’est-ce que ce privé a bien pu vous raconter comme bobards?
  -Si tu veux tout savoir, voici ses conclusions, me dit mon père en me tendant quelques feuillets dactylographiées.
  Je suis atterrée par les inepties que je lis, un tissu de mensonges, une interprétation complètement faussée, en ma défaveur, évidemment. Ce mec s’est amusé à faire un récit catastrophiste. Mais le plus navrant, c’est que mes vieux y ont cru. Je relève la tête et dit:
  -Si vous avez plus confiance en cet inconnu qu’en moi, je crois que l’on n’a plus rien à se dire.
  -Lorsque nous avons lu son compte rendu, nous étions désespérés, me dit ma mère.
  -Comment avez-vous pu avaler des choses comme, je cite: «Votre fille est une putain, son lieu de travail est son lit, les hommes font la file devant la maison» et ce n’est pas tout: «L’homme avec lequel elle vit est un maquereau, un déserteur, un voleur; d’ailleurs, il a fait de la prison...»  et j’en passe! C’est vrai, il vient de passer six mois en prison, mais cela ne fait pas de lui ni un maquereau, ni un truand, comme décrit dans ce chiffon!
  C’est à ce moment-là que Zerah fait son entrée.
  -Et voici mon souteneur! dis-je avec ironie.
  Evidement, Zer ne pige pas un mot de néerlandais, et je me garde bien de lui raconter tout ce qui vient d’être dit ainsi que la vrai raison de l’apparition soudaine de mes parents. Zer use de son charme, affichant son sourire ravageur; il prépare du café en sifflotant. Nous buvons en silence. je finis par mettre un terme à cette fausse quiétude:
  -Venez voir où vous dormirez, Zerah vient tout juste de terminer un petit logement en bas, c’est très confortable.
  A ma grande surprise mes parents me suivent sans broncher.
  -Alors, qu’en pensez-vous?
  -Je crois que ta mère et moi serions mieux à l’hôtel.
  -Allons, quand allez-vous arrêter cette comédie, Zerah tient à vous recevoir chez lui!
  -Bon, dans ce cas on accepte! dit ma mère.
  Elle se précipite aussitôt pour embrasser Zer. Enfin, la glace est rompue. Maman est plus encline aux réconciliations; elle est spontanée. Mon père est buté, mais dès que sa femme prend une décision, il se range à ses côtés.
  -Pendant que vous défaites vos bagages, Zer va chercher le matelas et moi je m’occupe du repas; à mon tour je reçois un baiser de ma mère qui me dit:
   -Il est gentil ton Zerah, au fond c’est un brave garçon!
   Un brave garçon! Ce n’est pas vraiment l’adjectif qui convient, me dis-je.

mardi 22 février 2011

Quel atroce bonhomme.. (52)

  Quel atroce bonhomme, me dis-je. Il n’y a que mes vieux pour faire confiance à ce genre d’individu. Mais que faire maintenant, y aller, ne pas y aller. Je sais la raison de leur venue inopinée; depuis des mois, peut-être même un an que je ne leur ai plus donné signe de vie! Je fume clope sur clope, n’arrivant pas à me décider sur l’attitude à prendre, soudain la sonnerie du téléphone retentit; je me précipite et décroche; j’entends la voix de mon père qui d’un ton sec et froid me dit:
  -Comme tu le sais déjà, nous sommes chez le révérend, qu’as-tu décidé?
  -Je vous attends, je ne mettrai pas les pieds chez ce hollandais!
  -Je vais en parler à ta mère à qui tu fais beaucoup de peine, tu sais!
  -Ca va papa, ne commence pas!
  Je les entends palabrer pendant un moment. Finalement mon père me dit:
 -Ta mère et moi sommes d’accord de venir, mais il faudra que tu nous expliques ta conduite indigne!
  -Oui papa, je vous attends.
  Le temps qu’ils arrivent, je m’évertue à mettre un semblant d’ordre. Zer a enfin fait installer l’eau courante, et travaille en bas dans ce qui fut la citerne, il l'a transformée en chambre avec salle de bain attenante, qu’il a l’intention de louer. J’appelle Zer et lui explique la situation; il me répond calmement que mes parents sont les bienvenus. D’ailleurs, le studio est prêt. La seule chose à faire, c’est de trouver un matelas avant ce soir et le tour est joué. Je lui dis qu’ils n’ont peut-être pas envie de dormir chez nous. Zer rétorque que son honneur est en jeu; ne pas les recevoir chez lui serait une infamie. Il trouve que je n’ai pas le sens de l’hospitalité. L’idée de recevoir mes parents ici ne m’enchante pas. J’entends une voiture sur le chemin, c’est eux. Je m’avance pour les accueillir. Ils tirent une tête d’enterrement. Papa, qui a la peau fragile, est tout rouge; maman me semble plus petite que jamais. On s’embrasse sans un mot. C’est moi qui romps le silence en faisant l’innocente:
  -Vous avez fait bon voyage? Venez, à l’intérieur il y fait plus frais.
  -Nous ne sommes pas venus passer des vacances, me dit maman.
  Ca commence bien, me dis-je. Pour ne pas tomber dans le mélo, j’opte un ton badin:
 -J’avoue que je ne m’attendais pas à vous voir aujourd’hui! Je sais, j’aurais dû vous écrire de temps en temps, mais ce n’est pas un crime, et puis vous voyez, je vais parfaitement bien!

lundi 21 février 2011

Zerah est de retour..(51)

  Zerah est de retour depuis quelques semaines, tout va plutôt bien. Il m’a offert un chien, un doberman que nous avons baptisé Néron. Mais en fait, c’est son chien, il lui obéit au doigt et à l’oeil, je peux tout juste l’approcher pour le nourrir, il devient de plus en plus une menace pour toute personne s'aventurant près de la maison. C’est ainsi que l’autre jour, ce chien de malheur a mordu un enfant; heureusement, le gamin s’en tire avec deux points de suture à la jambe. Les parents du petit exigent l’euthanasie du molosse. Ce sera chose faite. Peu de temps après, Zer revient cette fois avec un chien hérité d’une copine anglaise partie vivre ailleurs. Me voilà devenue la maîtresse d’un corgi répondant au nom ridicule de Zoumi, mais il est adorable et me suit partout avec ses pattes trop courtes. Il paraît que le corgi est le chien préféré de la reine d’Angleterre! Je me serais contentée d’un bâtard, mais Zer n’aime que les chiens de race. D’ailleurs pas plus tard que hier, il est arrivé avec un setter roux, une femelle gravide; je ne me suis pas souciée de savoir d’où vient la bête et où tout cela nous mènera. En fait, Zer a en tête de vendre les futurs chiots. Evidemment, tout le travail m’incombe. J’ai trouvé une grande caisse que j’installe sur la terrasse en guise de niche que la chienne adopte aussitôt. Je la regarde dormir et me demande qui voudra de ses petits, vu qu’ici les gens ne sont pas vraiment tendre avec les animaux; débourser ne fusse qu’un grouch pour un chien ne leur viendrait même pas à l’esprit. Toute à mes réflexions, je n’ai pas entendu arriver l’homme qui surgit devant moi. Surprise, je recule. C’est la première fois que je vois, il est très maigre et porte un costume de ville; il toussote pour se donne contenance et s’adresse à moi avec une certaine inquiétude:
  -Je suis le révérend Jacob Van Doren, j’habite la maison rouge à côté du couvent, me dit-il avec un fort accent hollandais.
  -Vous pouvez me parler en néerlandais, que puis-je pour vous?
  -Ah, quel soulagement, ce sera plus facile pour ce que j’ai à vous dire!
  -Allez-y, je suis toute ouïe.
  -Voilà, vos parents sont chez moi; ils me demandent de vous avertir de leur venue.
  -Attendez, il doit y avoir un malentendu! Vous êtes sûr que ce sont mes parents?
 -Evidemment, je crois que le mieux serait que vous veniez avec moi. Ils vous attendent!
  -Ecoutez, je ne peux venir. Je veux d’abord comprendre pourquoi ils agissent de la sorte. Ils savent pertinemment bien où j’habite, ils auraient pu venir immédiatement ici! Depuis quand ont-ils besoin d’un émissaire pour parler à leur fille! Non, décidément, non! Je ne viendrai pas avec vous, si ils veulent me voir, ils n’ont qu’à descendre jusqu’ici. 
  -Allons, ne faites pas l’enfant. Vos parents vous aiment, ils sont inquiets. C’est tout!
  -N’insistez pas, je ne vous connais pas, je n’ai pas à vous obéir! Au revoir monsieur!
  L’homme s’en retourne penaud, remonte les marches vers le village et disparaît de ma vue. 

dimanche 20 février 2011

En me réveillant.. (50)

  En me réveillant, je constate qu’il n’est pas loin de midi, je me dirige vers la cuisine, attirée par un fumet de café. Chaï prépare un petit déjeuner royal qu’il m’invite à partager.
  -Si tu veux, on ira faire une promenade après, me dit-il.
  Nous bavardons et fumons encore un joint en buvant le café. Chaï me raconte qu’il est né en Israël; la maison qu’il habite est celle de ses bisaïeuls, il n’a jamais vécu ailleurs, mais il a beaucoup voyagé, notamment  en Inde où il retourne régulièrement. Je me sens bien avec lui, j’ai l’impression de le connaître depuis toujours.
  Nous déambulons dans le dédale séculaire. Chaï en connaît les moindres recoins. Nous quittons le quartier juif et le mur des lamentations en direction du Saint-Sépulcre, pour s’engager ensuite dans la Via Dolorosa. Chaï s’arrête devant une boutique de mercerie et me demande de l’attendre; il revient en cachant quelque chose derrière le dos et me prie de fermer les yeux, glisse un objet dans ma chevelure et dit:
  -Maintenant, tu es la reine de Jérusalem!
  Je palpe la chose qui me semble être une petite couronne! Je suis émue par ce geste plein de tendresse. Je contemple mon reflet dans une vitrine. En fait, c’est un diadème blanc de première communiante. J’explique à Chaï que cela me touche d’autant plus que dans mon enfance, j’enviais les copines de classe qui faisaient leur communions et portaient pour l'occasion cette merveilleuse pacotille à laquelle je n’avais droit...
  Vers la fin de l’après-midi, nous arrivons à la Porte de Jaffa; l’heure du shabbat arrive, il faut se quitter.
  Bientôt Zerah reviendra, j’appréhende ce moment, bien que je sois toujours amoureuse. Lors de ma dernière visite, il m’a dit regretter ce qu’il me fait subir et qu’ayant le temps de réfléchir, il est sûr de m’aimer et dorénavant il fera tout pour me rendre heureuse.. Au plus profond de moi, je sais qu’il ne changera pas et que vivre avec lui n’est pas une sinécure; tant pis si j’y laisse des plumes!

samedi 19 février 2011

Chaï habite.. (49)

  Chaï habite dans de la vieille cité. Nous passons par un labyrinthe de venelles. On s’arrête devant une énorme porte en bois, Chaï frappe quatre coups. Un vieil homme coiffé d’un keffieh ouvre la porte en nous souhaitant la bienvenue en arabe, Chaï me présente Mahmoud, l’homme à tout faire. Nous laissons Guil aux soins de Mahmoud qui l’emmène dans un coin de la cour intérieure aménagée en écurie. J’emboîte le pas à mon guide qui s’engouffre dans un long couloir pavé de dalles en pierre, et aux murs chaulés. Tout au bout, Chaï déverrouille une porte et me laisse passer.
  -Soyez la bienvenue chez moi, princesse! Mets-toi à l’aise, je vais chercher de l’eau.
  Je regarde autour de moi, il y a plein de bouquins partout et quelques très vieux kilims, c’est assez agréable malgré le bordel; maintenant, ce qu’il me faudrait pour être tout à fait bien, c’est un bon petit joint, me dis-je. Le maître de céans revient avec une carafe d’eau fraîche, me sert un grand verre et dit:
  -Je suis sûr qu’un peu de hash ne sera pas de refus?
 -C’est justement ce à quoi je pensais. Ne serais-tu pas un peu sorcier à tes temps perdus?
  -Non madame, je suis le grand devin de Jérusalem, pour vous servir!
  Chaï prépare avec cérémonie un narghilé et me passe le tuyau d’un geste élégant. J’aspire la fumée doucement pour ne pas m’étouffer; aussitôt je ressens un délicieux  bien-être.
  -Je vois que j’ai à faire à une initiée, en général les femmes n’aiment pas le narghilé.
  Chaï s’approche de moi, me prend par la main et dit:
  -Viens, je voudrais te montrer quelque chose.
  -Ah, des estampes japonaises, je suppose! lui dis-je en riant, mais ma feinte tombe à plat, cela ne doit pas faire partie des formules de dragues locales. Je lui explique que c’est une façon éculée dans la vieille Europe pour faire comprendre à une fille qu’on a envie de la baiser.
  -C’est à peu près ce que je voulais dire, mais avant, j’aimerais que tu viennes sur le toit pour admirer la ville de là-haut, tu verras, c’est grandiose!
  En effet, c’est un point de vue tout à fait particulier. Les toits en dômes s’étalent jusqu’aux confins des remparts, mer chimérique dont surgit le rutilant Dôme du Rocher. Il y a une vie parallèle sur les toits; des gens y dorment dans des cabanes de fortune, d’autres y font à manger, ou y pendent leurs linges; il est possible de circuler d’un toit à l’autre, mais l’heure n’est pas à la promenade. 
  En me laissant tomber sur la couche de Chaï, de petits clapotis retentissent dans le silence de la chambre, le matelas d’eau me berce au moindre mouvement. Chaï me rejoint et c’est la forte houle; il me serre dans ses bras. A moi la tempête, les rafales, les trombes et déluges!

L'envie de peindre.. (48)

   L’envie de peindre m’est revenue aujourd’hui. N’ayant pas le matériel nécessaire, je me remets au dessin. J’ai installé mon barda sur la grande table près de la fenêtre où je peux observer sans être vue. De temps en temps, je lève la tête; alentour rien ne bouge, tout est engourdi comme si la vallée avait subi un sort funeste jeté par un djinn malfaisant. Je suis tellement concentrée, que je n’ai pas vu le temps passer; déjà le soleil disparaît derrière les collines. Je me lève et m’étire devant la porte ouverte. Une légère brise s’est levée, rafraîchissant l’atmosphère. Soudain, j’entends un hennissement, un cavalier passe  et me salue, il se dirige vers la maison, il descend de sa monture. L’homme est impressionnant, il porte une longue barbe noire taillée droit.
  -Excuse-moi de te déranger, me dit-il, mais mon cheval a soif, aurais-tu de l’eau?
  -Bien-sûr, je vais chercher une bassine, tu n’as qu’à plonger le seau dans la citerne.
  -Merci! On se promène depuis longtemps, on vient de la vieille ville!
  -Ca fait une fameuse trotte! Comment fais-tu pour éviter les grandes artères?
  -J’ai mon itinéraire, qui, ma foi, n’est pas direct, mais tranquille et agréable.
  -Alors là, tu m’épates, je serais bien curieuse de le connaître!
  -Rien de plus simple, si tu veux, je t’emmène, mais d’abord, j’aimerais me reposer un peu, qu’en penses-tu?
  -Oh oui! D’accord, en attendant, je te fais un café.
  Tout à ma besogne, je l’observe du coin de l’oeil, il a l’air vachement sympa...
  -Voilà le café. Entre parenthèse, moi c’est Eliette et toi?
  -Entre parenthèse, c’est Chaï, dit-il en riant.
  -Pourquoi ris-tu?
  -Pour la parenthèse!
  -Et ton cheval, il a un nom?
  -Lui, c’est Guil, maintenant que les présentations sont faites, on peut se mettre en route? As-tu déjà monté?
 -Oui, j’ai fait un an ou deux d’équitation, mais un jour j’ai dû monter à cru, je suis tombée et j’ai failli me casser une jambe, cela m’a découragé.
  Nous cheminons par les méandres des collines en direction de la ville. Les bras autour de la taille de mon cavalier, je me sens bien. Au loin, j’aperçois déjà les remparts baignant dans les derniers rayons dorés du couchant. 

jeudi 17 février 2011

A peine la porte fermée.. (47)

  A peine la porte refermée, il m’enlace, m’embrasse et dans un murmure à peine audible dit qu’il m’a désirée dès l’instant où il m’a vue.
  Après l'exaltation, allongés dans la pénombre, les bruits de la rue nous parviennent par un soupirail situé au-dessus du lit; on entend des pas, parfois sonores et pressés; on distingue ceux des femmes à la résonance des talons. Des cris d’enfants, des bribes de phrases, instants de vies. Une voix attire mon attention, celle d’une femme qui descend les escaliers et sort de l’immeuble en fredonnant un air bientôt englouti par les clameurs de la ville. Quelques instants plus tard, je l’entends à nouveau, mais cette fois une voix d’enfant l’accompagne, chantant la même rengaine. Cherif me regarde et sourit, lui aussi a entendu. Il saisit ma main, la pose sur mon sexe, puis, se branle, cela m’excite beaucoup, je me caresse avec frénésie en regardant son érection...
  Nous nous quittons tard dans la soirée; promesses de se revoir, oui, peut-être, on verra. 
  Depuis un certain temps, je suis plus calme. Il m’arrive de passer des journées entières sans parler à personne et de réfléchir à la vie que je mène (prendre un crayon ne m’est plus venu à l’esprit); pourtant, je connais bien le plaisir que je peux éprouver en travaillant, cet oubli de soi, assez semblable à la baise...

Je me rends ponctuellement.. (46)

  Je me rends ponctuellement à la prison, évidemment, j’en reviens toujours bouleversée, mais très vite, je reprends le dessus. Les jours filent non pas dans la résignation, mais plutôt dans une euphorie mal perçue par certains. Ce n’est pas parce que Zer est puni que je devrais l’être également, après tout, je n’ai rien à me reprocher à part mes inconstances qui à mes yeux ne sont pas des trahisons, mais simples débordements...
  Je me sens esseulée aujourd’hui. Besoin de voir du monde. Je décide d’aller faire un tour en ville. Je me promène un peu perdue dans les rues grouillantes. Je passe devant un des rares bistrots refuge des marginaux de cette ville. Je reconnais la belle gueule de Sam, un ami belge de Gilberte, avec lequel elle était venue me rendre visite, il y a quelque temps. On avait passé un bon moment. Je lui dis bonjour de loin; il m’a reconnue, se lève pour m’embrasser et me présente à l’homme avec qui il bavarde.
  -Viens t’asseoir avec nous. Que veux-tu boire?
 -Mais je ne faisais que passer. Je ne voudrais pas déranger. Vous étiez en grande discussion!
  Tu ne nous déranges absolument pas, n’est-ce pas Cherif? Nous étions en train de parler boulot, Cherif est assistant réalisateur.
  Sam me demande des nouvelles de Gilberte. Je lui réponds ne pas la voir beaucoup ces temps-ci; je lui raconte en bref l’incarcération de Zer. Il me dit en souriant que je devrais aller voir un psy. Il trouve que je suis un peu timbrée d’accepter une telle situation. Sam me donne son adresse à Jérusalem, au cas où j’aurais envie de parler; il partage un appartement avec une amie, également cinéaste. Il se lève, il doit partir et me laisse aux bons soins de Cherif. Je promets de passer bientôt. Cherif n’a pas l’air pressé. Il m’invite à boire un autre café glacé. Sans intervenir, il nous a écouté avec beaucoup d’attention; maintenant, c’est lui qui me pose un tas de questions sur mes goûts cinématographiques, entre autre. Il finit par parler de lui, de sa vie en tant que citoyen israélien d’origine palestinienne. C’est quelqu’un de calme, parlant doucement, ni beau, ni laid, mais pourvu de charme. Au bout d’une heure, j’ai envie de me dérouiller les jambes et propose à Cherif de m’accompagner jusqu’à l’arrêt du bus. Il me demande si ce sont toutes ses questions qui me font fuir; je lui dis qu’au contraire, j’ai passé un moment très agréable, et qu’en fait, je n’ai pas du tout envie de le quitter. Nous marchons en silence pendant un moment, puis il s’arrête et me demande si je veux venir chez lui. Il habite un modeste sous-sol à quelques pas d’ici... 

mardi 15 février 2011

Je vois avec effroi.. (45)

 Je vois avec effroi qu’il est passé midi, je devrais être au travail depuis longtemps, je m’habille en hâte, des relents de transpiration mêlés de foutre me picotent les narines, tant pis, pas le temps de me laver. Je sors de la maison en trombe, monte quatre à quatre les escaliers menant au village; à bout de souffle, je me jette dans le bus qui est sur le départ. Pendant le trajet, je cherche une excuse à mon absence de ce matin, mais aucun de mes mensonges ne tient la route d’autant plus que c’est mon deuxième jour d’embauche. J’arrive enfin, le hall est pratiquement vide; la plupart des gens déjeunent à cette heure, je me rends au self dans l’espoir d’y voir Edna, mais je tombe sur la gérante, celle-ci m’a déjà repérée et me fait signe d’approcher.
  -Alors Eliette, c’est à cette heure-ci que tu t’amènes?
  -Je suis vraiment désolée, mais croyez-moi cela n’arrivera plus.
  Je prononce ces mots, et mille arguments, les uns plus foireux que les autres.
 -Moi aussi, je suis désolée, me répond le petit pot à tabac à l’accent traînant de hongroise, mais je ne puis accepter ce genre de comportement de la part de mes employés! J’exige, précise-t-elle, la ponctualité et la probité avant tout. Tu comprendras que je ne peux te garder.
  Je fais mes adieux à Edna et sors toute guillerette à l’idée de retrouver la liberté!  Décidément, je suis incapable de garder un boulot plus de quelques jours. Cette déconfiture me met dans une situation un peu difficile. Il faut trouver une solution, mais pas de panique, la Providence existe, me dis-je en sachant que le cas échéant, je peux quand même compter sur une ou deux personnes. La première étant Gilberte et puis, Daisy, ma nouvelle belle-soeur, enfin, c’est elle qui s’est présentée en tant que telle! Elle est très sympa et enjouée. Le courant passe bien entre nous, malgré qu’elle soit totalement différente de moi; son objectif, consacrer sa vie à son homme et aux enfants à venir, d’ailleurs, elle est comme presque toutes ces jeunes femmes juives venant de la diaspora et en particuliers, les américaines. Une seule chose les préoccupe, avoir la bague au doigt; une véritable obsession. Evidemment, ce ne sont pas toutes de reines de beauté; elles se marient bien souvent avec n’importe quel homme, du moment qu’il soit juif. Mais je m’égare! J’en reviens à mon souci; Daisy ne me laissera pas crever de faim, d’ailleurs, elle m’a dit que sa maison était la mienne et que j’y serais toujours la bienvenue...

Le spectacle commence.. (44)

  Le spectacle commence à vingt heures, cela me laisse juste le temps de me rafraîchir. Au sous-sol, un long couloir mène au cabaret. Dans une pénombre feutrée, seul un petit podium est éclairé; quelques tables sont déjà occupées par un groupe d’américains très bruyant. Je m’installe au bar. Petit à petit, les gens prennent place, les musiciens se préparent; ils sont trois et portent des costards mauves avec des chemises à jabots. Un homme vient tapoter le micro et annonce l’arrivée imminente du célébrissime Micha. Sur un air du folklore israélien, l’artiste fait son entrée, tout de blanc vêtu, bras levés, frappant dans les mains en cadence. Le public déchaîné imite le chanteur sur un rythme de plus en plus effréné. Juchée sur mon tabouret, je ne bouge pas. Je trouve tout cela grotesque, et me demande ce que je fous là avec cette bande d’énergumènes. Je décide de rester encore pour écouter au moins quelques chansons, après je partirai. Non dénué d’un certain talent, bien que trop sirupeux, Micha entonne des airs connus. Après avoir chanté pendant un moment, il demande à l’audience la permission de faire une petite pose pour boire un verre au bar. J’ai eu ma dose et m’apprête à partir, quand à mon grand étonnement, la vedette s’approche de moi et dit:
  -Tu crois quand même pas que je vais te laisser partir comme ça!
  -Et pourquoi pas, lui dis-je?
  -Parce que je t’ai dans le collimateur depuis le début! On pourrait se retrouver après mon show?
  Je ne sais pas ce qui me fait accepter sa proposition, c’est plus fort que moi et tout compte fait, il n’est pas si mal, vu de près!
  Le lit à colonne fut le théâtre de quelques heures de corps à corps torride avec le bellâtre. Je dois être un peu cinglée! Forniquer dans la maison de Zerah et dans son lit pendant qu’il est en prison! Je suis carrément folle à lier. Après coup, je réalise le danger encouru. N’importe qui aurait pu nous voir; je crois que les frères de Zer me lyncheraient sur la place du village...

dimanche 13 février 2011

Dès le lendemain.. (43)

  Dès le lendemain, je pars à la recherche d’un boulot. Je m’habille de façon décente, attache mes cheveux et me voilà en route. Peut-être y a-t-il du travail dans ce nouveau complexe pour touristes, non loin de la vieille ville. Ce lieu dédié aux imbéciles en quête d’aventures regroupe à la fois, restaurant self-service, magasin de souvenirs et cabaret. Des troupeaux de touristes en shorts et appareils photos sur le ventre sont déversés par autocars sur le grand parking. Je me débrouille pas trop mal  dans quelques langues et bien que dans ce pays tout le monde ou presque est polyglotte, je me risque malgré tout à pousser la porte ce qui pour moi est la pire des épreuves. Je passe le seuil, me dirige vers la boutique et demande à voir un responsable. Ca y est! On m’engage à l’essai dès demain matin. Je vendrai des babioles, ce qui me permettra de ne pas crever la bouche ouverte! Soulagée, je flâne le reste de la journée dans la vieille ville.
  Le premier jour, pas le temps d’avoir des états d’âme; des flots de gens arrivent sans cesse. La routine d’après ma collègue Edna, une gentille fille d’origine russe. Les guides amènent les groupes de touristes au resto, puis les dirigent vers la boutique pour faire le plein d’objets d’une laideur pathétique, et pour terminer, vont s’encanailler au cabaret. Ce soir, en guise de bienvenue, la direction m’invite à assister au tour de chant d’une soi-disant étoile montante de la chanson israélienne. Vers dix neuf heures, Edna tire le rideau de fer de la boutique et m’invite au self-service, j’accepte avec joie.
  -Tu n’es pas trop crevée?, me demande-t-elle.
  -Non, mais j’ai une de ces faims!
  -Tu peux choisir ce que tu veux, les employés ont droit à un repas gratuit par jour.
  Evidemment, je m’empiffre avec délectation. On se boit encore une tasse de café, soudain, Edna, me fait signe discrètement et me dit à voix basse:
  -Tu vois le mec en costard noir qui serre la main de la gérante?
  -Quoi, le type, là-bas, avec son sourire mielleux? Que lui trouves-tu?
  -Mais c’est Micha, le chanteur!
  -Rien à cirer, c’est pas mon genre!
  -Tu as de la chance de le voir ce soir! Moi, il me plaît vachement.
  -Tu peux y aller à ma place.
  -C’est gentil, mais je dois rentrer, j’ai un mari et deux enfants, tu comprends? D’ailleurs, il faut que je file, à demain!

samedi 12 février 2011

Il y a aussi cette autre anecdote.. (42)

  Il y a aussi cette autre anecdote. C’était tout au début de notre relation: 
 «Zer me propose d’aller faire une visite à un parent qui habite dans la banlieue d’Ashkelon. Nous nous rendons chez son cousin qui nous reçoit chaleureusement. Visiblement préoccupé, Zerah ne veut pas s’éterniser. Nous reprenons donc la route sans tarder. C’est alors, qu’il me confie le véritable but de cette promenade. Non loin de là, il a vu un caravansérail en ruine, il y a repéré trois grosses pierres sculptées faisant partie d’une arcade. Il convoite ces pierres depuis longtemps, pour orner le manteau de son grand feu ouvert. Je lui demande comment il pense s’y prendre sans aucun outil, mais il a tout prévu. La veille, il a rangé pied de biche, pelle, pioche et couvertures à l’arrière de la jeep. Arrivé sur le lieu, je vois des ruines très anciennes, ici et là quelques murs tiennent encore debout, ainsi que l’arcade. Cela ne semble pas gagné d’avance, si on bouge fût-ce un grain de sable, le tout risque de s’écrouler, mais Zer n’est pas de cet avis et se met aussitôt au travail. Au premier coup de pioche, la voussure s’effondre. En un éclair Zer fait un bond énorme et roule sur le côté, échappant à l’éboulement. Pendant un moment, il ne bouge plus. Obéissant aux ordres stricts, je reste à distance. Inquiète, je m’approche de lui et constate avec soulagement qu’il s’en tire avec quelques contusions et une petite blessure au front. Il se lève un peu sonné, mais se rue sans perdre un instant vers l’amas de pierre pour voir si ses trésors sont intacts. Les pierres gravées de signes énigmatiques font désormais partie de la cheminée. Je dois avouer que l’ensemble à beaucoup d’allure...»
  Il y avait bien une heure ou deux que je m’étais assoupie en songeant à tous ces événements. Je me lève un peu courbaturée et me dirige vers la grande route pour faire du stop. Il se fait tard, à peine le soleil couché, la vie reprend son cours normal. Les véhicules sont de plus en plus nombreux, je n’aurai aucune difficulté pour retourner à Jérusalem.
  Je décide de me rendre tous les shabbats à la prison. Ne pouvant compter sur l'aide de personne, je me demande avec quelque angoisse comment je vais pouvoir me démerder les prochains jours. Je m'endors avec ces sombres pensées.

vendredi 11 février 2011

Enfin, je m'explique.. (41)

   Enfin, je m’explique la présence de ces objets traînant dans les coins de la maison, tels des ostensoirs, encensoirs, sébiles et autres ciboires! J’avais interrogé Zer bon nombre de fois sur la provenance de ces antiquités sans jamais recevoir de réponse cohérente; Je me disais bien qu’ils n’avaient pas atterri là par la grâce du Saint-Esprit. Finalement, je ne faisais plus attention à ces choses venues d’un autre monde; d’ailleurs, régulièrement, certaines disparaissaient pour faire place à d’autres. Me revient en mémoire l’épisode des deux hommes venus récupérer les deux chaises qui trônaient dans la pièce voûtée, ces petits bijoux de style ottoman, marquetés de nacre et d’ivoire étaient d’après Zer un cadeau reçu lors d’un service rendu. En fait, les deux types prétendaient qu’un jour, Zerah leur avait proposé de les restaurer. Les ayant convaincu de son savoir faire, il emporta les chaises. Les deux compères n’avaient plus eu de nouvelles depuis des mois. Ils revinrent pour tirer les choses au clair, bien décidés de ne pas rentrer bredouille. Zer étant absent ce jour là, je fus en proie à un sérieux dilemme, mais finis par leur faire confiance, les autorisant à emmener les fameuses chaises, tout en sachant que les foudres allaient s’abattre sur moi!
  Ma décision eut en effet, une conséquence désastreuse. Dès son retour, Zer remarqua la disparition des chaises; il se lança alors dans un dénigrement total de ma personne: «J’ai à peine le dos tourné, que tu te comportes comme la dernière des idiotes, tu fais confiance à des types que tu n’as jamais vu. C’en est trop! Ta crédulité est maladive, je te l’ai déjà dit cent fois, c’est uniquement moi que tu dois croire. Je te laisse une dernière chance, la prochaine fois, je ne te pardonnerai pas!». Il claqua la porte et revint trois jours plus tard, comme si de rien n'était. On ne parla plus jamais des chaises.
  En ce qui concerne les vols de chantiers, j'étais parfois présente, mais ne me posais aucune question. Une fois de plus, Zer avait inventé une histoire invraisemblable; le gardien du chantier était un pote à lui, celui-ci avait soi-disant pour mission de revendre les matériaux en excédent. Tout ce passait la nuit, on marchait parfois longtemps puis nous ramenions toutes sortes de tuyaux sur nos épaules. J’aimais bien ces escapades nocturnes. 

jeudi 10 février 2011

Je me présente à l'entrée.. (40)

  Je me présente à l’entrée, une femme me fouille et m’indique le chemin. Au bout d’un couloir, une porte donne accès au parloir, à ciel ouvert; du gravier couvre le sol, au milieu, un misérable parterre de plantes et tout autour, quelques tables et bancs à l’ombre des murs surmontés de barbelés. C’est là qu'apparaît Zerah. On lui a rasé le crâne, il porte une espèce de pyjama rapiécé avec un numéro sur la poitrine; il a le regard éteint et la face exsangue. J’essaye de cacher ma stupeur en arborant un grand sourire et me jette dans ses bras. Mais il est interdit de s’approcher aussi intimement, un maton nous rappelle à l’ordre. On s’assoit face à face, je déballe quelques friandises et les objets requis. Mais cela n’a pas l’air de l’intéresser; il est étrangement calme. J’ai du mal à croire qu’il est cet homme fougueux dont je suis amoureuse. En lui parlant, je finis par comprendre qu’il est dopé au bromure; c’est un truc pour calmer les pulsions sexuelles entre autres; je trouve cela révoltant, d’ailleurs, les conditions de détentions sont loin d’être idéales...
  Zerah me parle enfin des raisons qui l’ont menées ici. «Des broutilles! J’ai pris des choses dans des églises et quelques matériaux de constructions sur des chantiers, pas de quoi fouetter un chat! Dire que j’en ai pour six mois, si tout va bien». Je reste muette; je ne veux pas l’accabler, de toute façon, une sonnerie brutale retentit, annonçant déjà la fin des visites. Il est temps de se quitter. Je me retrouve dehors, désemparée, je marche un moment sans but. A part les visiteurs sortis en même temps que moi, il n’y a pas âme qui vive dans ce bled. De la route des volutes de poussière s’élèvent vers le ciel, la chaleur est oppressante. Trop abattue pour continuer, je m’affale au pied d’un arbre rabougri, j’allume une cigarette; la pauvre mine de Zer me hante. Il va falloir une bonne dose de courage pour tenir le coup et surtout, je présage les médisances et commérages. Pour ce qui est d’être seule, je ne m’en fais pas, au contraire, j’ai besoin de me retrouver et de faire le bilan.

mercredi 9 février 2011

Je décide de voir Zer..(39)

  Je décide d'aller voir Zer, dès le lendemain. Je me lève tôt, pour arriver à  l’heure à la prison de Ramleh. Dans ma hâte, j’ai oublié que c’est shabbat et qu’il n’y a ni train, ni bus jusqu’à la tombée de la nuit. Qu’à cela ne tienne, je ferai du stop.  En fait, cette escapade en solitaire me réjouit. Munie de mon petit sac à dos et mes sandales de randonnée, je me mets en route. La place du village est déserte. Cela fait un quart d’heure que je poireaute, aucune voiture à l’horizon. Je commence à trouver le temps long, quand enfin un camion militaire arrive dans la bonne direction. Sans que j’aie à faire un geste, le bahut s’arrête pile devant moi. Un soldat sort la tête et dit:
  -Salut la rousse, tu veux venir avec nous?
  -Ouais, je veux bien, mais cela dépend où vous allez!
  -On va jusqu’à Tel-Aviv.
  -Vous passez donc par Ramleh?
  -Oui, on peut t’y déposer, mais qu’est-ce qu’une jolie nana comme toi va foutre là-bas, t’as quelqu’un à voir en prison?
  -Eh bien oui, t’as deviné!
  -Bon, allez, monte à l’arrière!
  Je m'installe temps bien que mal sur le plancher. Au fond du camion, j’aperçois quelques bidasses qui dorment à poings fermés. Le chauffeur est manifestement pressé, en moins d’une heure, je me retrouve devant la taule.

mardi 8 février 2011

Malgré la biture de la veille...(38)

  Malgré la biture de la veille, je me sens en forme pour affronter cette nouvelle journée, quoi qu’elle me réserve. Je repense à toutes les mises en garde de Gilberte, particulièrement à propos de faire des mômes ou pas. «Ne fais jamais cette bêtise», m’a-t-elle dit. De toute façon, je n’ai pas encore éprouvé un désir de maternité. Mon besoin de liberté ne m’incite pas à m’encombrer de chiards, ce qui ne m’empêche pas de beaucoup aimer les enfants.
  La sonnerie du téléphone me fait sursauter, je me précipite et décroche. Une voix lointaine me parvient, c’est lui. Zer appelle depuis la prison de Ramleh, à côté de Tel-Aviv; il me dit les jours et les heures de visites, et me demande si je peux venir lui apporter quelques objets de première nécessité, il dit aussi que je ne dois pas m’en faire et qu’il m’aime. 
  Cette fois, c’est la totale! J’irai apporter des oranges à mon homme en prison. J’ai l’impression de m’être égarée dans un mauvais mélo. Je monte au village pour prévenir les parents. Le père me reçoit gentiment et me propose de venir chercher ce dont j’ai besoin à l’épicerie, précisant que l’on réglera l’aspect financier au retour du fils. La mère surgit en furie, comme d’habitude. Des cris et des gestes traduisent son désarrois, mais très vite je comprends que c’est moi qu’elle met en cause. Si son enfant est en prison, c’est de ma faute, moi la mécréante venue du couvent. Elle poursuit ses lamentations, se frappe le visage et la poitrine comme une pleureuse antique. Je reste bouche bée devant cette scène pathétique. Je m’en retourne sans un mot. Dorénavant, je ne demanderai plus rien à la famille et me débrouillerai seule.

lundi 7 février 2011

Je reste prostrée.. (37)

   Je reste prostrée; des tas de pensées m’assaillent. La question qui revient sans cesse est évidemment qu’est-ce qu’on lui veut ... Cependant, je me fais  une raison. Il sera de retour ce soir. En fin d'après-midi, je commence à m’inquiéter. Je décide de monter jusqu’au couvent, pour trouver un peu de réconfort auprès de Gilberte. Je traverse le jardin et me dirige vers le Kon-tiki ; à cette heure, je suis certaine d’y trouver Gil. Elle est là, avec son sacro-saint raki. Je suis reçue avec un cri de joie
  -Eh bien, ça alors! Pour une surprise, c’est une surprise, madame promène son cul jusqu’au couvent! Viens ici que je t’embrasse. Tu es vraiment une petite garce, tu sais! Ce ne sont pas des manières. Pas un signe, rien, depuis une éternité.
 -Gilberte, écoute-moi s’il te plaît. Ils ont arrêté Zerah ce matin et depuis, plus de nouvelles.
   Je lui fais le récit de ces derniers mois; Gilberte m’écoute avec attention. Je m’en veux de ne pas lui avoir donné signe de vie depuis si longtemps, et me sens honteuse devant sa bienveillance. Après un moment, Gil m'interrompt.
  -Tu veux savoir ce que j’en pense? Ton Zerah est trempé dans des affaires bien louches. Etant mythomane, il te raconte des tas d’histoires que tu gobes sans sourciller!
  -Tu crois vraiment que j’avale tout!
  -La preuve, tu viens ici en me disant que tu es inquiète. Si tu n’étais pas une petite fille naïve, tu ne serais pas en train d’en faire une tragédie! Allons, fais-moi un sourire, tu verras, ce n’est pas si grave et puis, es-tu vraiment amoureuse de ce gars? Vous n’avez  rien en commun. Qu’est-ce qui t’attire chez lui?
  -Oh, que veux-tu que je te dise! Il sent bon le sable chaud!
  Sur ce, Gil se met à fredonner Mon légionnaire. On éclate de rire. Il va sans dire que nous buvons plus que de raison et c’est en titubant légèrement que je regagne mes pénates. Je m’endors immédiatement, d’un sommeil profond.