mercredi 10 juillet 2013

Je me réveille hagarde... (183)


    Je me réveille hagarde, ne sais plus où je suis, cela ne dure qu’un instant, j’ai vite fait de reconnaître cet endroit sordide surpeuplé et la cacophonie envahissante. En me levant, j’ai le tournis. Je n’ai plus rien ingurgité depuis un certain temps. Me souviens plus de mon dernier repas, j’ai faim. Il me faudra attendre. Je prends le bloc de papier et le crayon, m’assois au bout du couloir, commence à griffonner. Suzy s’amène aussitôt et dit:
    -Je guettais ton réveil, t’as pas oublié ta promesse?
   -Mais je ne t’ai rien promis, souviens-toi, j’ai dit qu’on en reparlerait! J’ai trop faim pour le moment, c’est juste pour tuer le temps jusqu’au prochain repas!
   Sur ce, Suzy s'encourt, et revient avec quelques biscuits style petit beurre qu’elle me tend en disant:
     -Je te les donne à condition que tu fasses mon portrait!
   Je lui fais un signe affirmatif. Bien qu’ils ne soient pas d’une grande fraîcheur, j’engouffre les biscuits un à un sans reprendre souffle. L’instant d’après, je me sens déjà beaucoup mieux, ne tremble plus. Cela n’échappe pas à Suzy dont le visage sombre s’illumine d’un sourire. Je lui demande:
    -Pourquoi est-ce si important d’avoir ton portrait?
    -Parce que c’est la première fois que je rencontre quelqu’un qui peut le faire et que jamais personne ne m’a même prise en photo et puis, je pourrai l’envoyer à mon môme pour qu’il ait au moins une image de moi. 
  Elle a l’air si triste tout à coup. Je suis émue et lui dis de s'asseoir, de tourner son visage de trois-quart sans trop gigoter. J’ai toujours le trac face à quelqu’un qui pose pour moi. J’essaie de rendre au mieux ce visage ravagé par des souffrances probablement indicibles, pourtant elle est encore jeune, aucun fil d'argent dans sa tignasse afro.  Quelques traits de crayon et par miracle le tour est joué. J’ombre ici et là, pas trop de peur de tout foutre en l’air. Pour moi le portrait est terminé, je tends la feuille à Suzy. Elle regarde longuement mon dessin et dit:
   -C’est fou, comment t’as fait ça en si peu de temps! Tu vois, je te l’avais dit que t’es une vraie artiste! T’as oublié de signer!
  Je signe et date, ajoute «pour Suzy». Elle saute de joie, appelle ses copines qui accourent voir le prodige! Faut dire que j’ai eu la main heureuse, j’en suis la première étonnée. Suzy m’embrasse et s’en va en sautillant comme une gamine. L’instant d’après, quelques filles m’entourent, elles veulent toutes «la même chose». J’ai une pensée pour Kate, elle m’a fait un cadeau inestimable. Depuis, ma relation aux autres a changé du tout au tout. On me respecte et je reçois des tas de faveurs; faut dire que je bosse ces derniers jours, les demandes sont constantes au point que j’ai dû instaurer un horaire pour ne pas semer la pagaille et me voir interdire mon travail de portraitiste. Le temps file plus vite dès lors, une semaine de plus a passé. Hier, j’ai pu téléphoner à Norton qui m’a dit avoir contacté une avocate, la femme de son copain Ofer, que l’on avait rencontré lors de leur mariage où l’on s’était disputés à cause de la fameuse tunique jaune, m’a-t-il rappelé. Elle va tenter de faire avancer mon dossier. Il n’a rien pu faire d’autre et m’a dit de faire preuve de patience. Tout finirait par s’arranger! J’étais contente d’entendre sa voix, mais j’ai moins apprécié son discours prêchi-prêcha!