mardi 18 janvier 2011

Une brise légère.. (18)

  Une brise légère souffle sur l’immense terrasse jouxtant la tanière de Gilberte. A l’arrière,  contre le mur de la petite maison, sur une partie de la grande surface vide qui surplombe la vallée, Gil a installé un espace intime sous une tonnelle faite de bric et de broc; quelques coussins y sont jetés à même le sol en pierre.   
  -Bienvenue sur le Kon-tiki , c’est ainsi que j’ai baptisé mon coin de paradis.
  Gilberte est déjà confortablement assise, un verre à la main, je saisis un coussin et m'accroupis.
  -Sers-toi un verre de raki, moi je le bois sec, mais il y a de l’eau dans la cruche, si tu veux l’allonger.
  -Il se laisse boire ton pastis!
 -Ce n’est pas du vulgaire pastis, voyons! C’est un produit artisanal, des amis de Bethlehem distillent ce breuvage depuis des générations.
  -Dis, en venant ici, j’ai croisé la divine créature au bras d’un homme!
  -Ah! Je n’ai pas cessé de penser à elle! Tu crois qu’elle est un être de chair et de sang, qu’elle chie comme toi et moi? C’est impossible, je te dis, impossible!
   Nous pouffons comme des collégiennes. Depuis que je travaille avec Gilberte, je me
sens un peu plus à l’aise, mais une certaine tension subsiste entre nous.
  -Dis-moi Gil, tu n’as jamais eu de liaison avec un homme?
 -Cela m’est arrivé, mais j’aime les femmes, j’ai souvent été amoureuse, mon grand amour,  Léa, je l’ai connue à l’époque où je vivais dans le désert, à Beersheva.
  -T’étais où avant cela et pourquoi Israël? 
  -Je suis née en Belgique, comme toi, mais moi je ne suis pas juive, alors, pourquoi Israël, bonne question!
  -Et ce grand amour, raconte?
  -Léa était dans la résistance et son mari, pilote dans la R.A.F. Après la guerre, ils sont  venus s’installer dans le désert, au milieu de nulle part, ils tenaient un troquet, le rendez-vous de tous les paumés de la terre. Un beau jour, je suis arrivée au Last Chance. Pendant une quinzaine d’années j’y ai travaillé. Le mari alcoolique s’est suicidé, Léa est morte à son tour et moi, je suis repartie avec mon petit baluchon.
  Visiblement émue, Gilberte se ratatine dans les coussins, elle boit son énième verre de raki.