lundi 10 janvier 2011

Malgré un manque de sommeil (10)

   Malgré un manque de sommeil, je descends prendre le petit déjeuner que les soeurs servent dans la grande salle voûtée. Les repas sont pris en commun à heures fixes. Il y a des pensionnaires à l’année et des gens de passage pour des séjours plus ou moins longs. Ce matin, on est en petit comité; je reconnais Gilberte (la femme de l’autre jour à qui j’avais demandé de faire moins de bruit), le visage buriné et les mains calleuses, son short ridicule, style pionnier sioniste met en évidence ses guibolles cagneuses, les pieds dans des godasses crottées, elle est en tenue de travail, sécateur et gants de jardiniers attachés à la taille. En me disant bonjour, un petit sourire narquois apparaît sur sa face léonine. Il y a aussi un vieux monsieur très maigre et distingué, il se présente: «Monsieur Latiff, citoyen égyptien, ingénieur des Ponts et Chaussées, soyez la bienvenue mademoiselle!» Puis, il y a Adel, jeune palestinien chrétien, étudiant en médecine, et pour finir le tour de table, un gars, la vingtaine, mince, élégant avec sa moustache fine, les cheveux gominés, tout de blanc vêtu, un personnage à la Gatsby, il est argentin et s’appelle Arturo. Mais j’allais oublier une très belle jeune femme noire, debout devant le buffet, la silhouette élancée couronnée d'une énorme tignasse façon afro, elle s’appelle Helen et est américaine. Soeur Florenzina vient voir si rien ne manque à la tablée, c’est une grande femme joviale, une paysanne bulgare. Tout ce petit monde s’exprime en français.