dimanche 7 août 2011

Je suis réveillée.. (117)

   Je suis réveillée par des portières qui claquent, sans doute des voyageurs égarés. Qui d’autre arriverait ainsi en pleine nuit dans cet endroit perdu? J’ai du mal à retrouver le sommeil, je ne digère pas le repas de la veille, des burgers à peine décongelés, accompagnés de maïs et petits pois en boîte. C’était vraiment immonde! Au petit matin, je suis à nouveau réveillée par des portières qui claquent, je vais à la fenêtre, une voiture s’éloigne dans un nuage de poussière. Je m’habille et sors voir le lever du soleil sur l’immense plaine entourée de montagnes, rare moment extatique de ce voyage. En revenant vers la chambre, Zer apparaît à la porte, arborant un sourire. Il m’embrasse, et dit:
   -Viens, on va manger un délicieux petit dèj au resto quatre étoiles!
   -Eh, oui, on y est bien forcé, tu peux encore t’estimer heureux qu’il y ait de quoi se caler, c’est le seul endroit à des lieues à la ronde, il n’y a rien jusqu’à Death Valley et d’après notre hôte, là-bas non plus, il n’y a rien, à part un couple d’indiens qui y tient un boui-boui.
   -Il t’a dit ça?
  -Oui, c’est ce qu’il m’a dit, bon, il n’a pas utilisé le terme boui-boui, mais tout comme!
   Nous mangeons des pancake’s qui doivent traîner dans le congé depuis des lustres et nous buvons un liquide brun supposé être du café. Le patron est un vieil homme maigre et sec, de sa chemise au col graisseux sort une tête aux cheveux en bataille entourant un visage anguleux, mal rasé; au bout de ses longues mains veineuses, des ongles en deuil. Il s’avère aussi peu ragoûtant à la lumière du jour que la nourriture qu’il sert, pourtant je le trouve sympa. Il me raconte que ça fait plus de trente ans qu’il tient le motel, depuis sa démobilisation, quelques années après la fin de la deuxième guerre mondiale. En entendant son histoire, soudain c’est Gilberte et son «Last chance Café» qui traversent mon esprit. C’est la première fois que je pense à elle depuis mon départ d’Ein-Kerem, d’ailleurs, je n’ai plus pensé à personne. Je suis prise de nostalgie; j’ai le sentiment que si j’étais ici avec elle, ce serait bien-sûr différent, et tellement mieux. Je m’imagine que la première chose qu’aurait faite Gilberte eût été d’acheter quelques packs de bière qu’on aurait flûté en un rien de temps en criant notre émoi devant tant de beauté; je suis certaine qu’elle pense à moi en cet instant, j’ai toujours eu l’intime conviction que la transmission de pensée existe. Zer me tire de ma rêverie et dit:
   -On dirait que tu étais ailleurs, je t’observais, mais tu ne t’en rendais pas compte, tu souriais!
   -Oh, non, je rêvassais à rien de particulier. Enfin, si! Tu y crois, toi, à la transmission de pensée, tu sais, la télépathie?
    -Tu sais bien ce que je pense de ces choses-là! Allons, il est temps de s’en aller, on a de la route à faire!