samedi 23 février 2013

Je m'apprête à la remercier.. (175)


   Je m’apprête à la remercier, aussitôt elle me fait signe de me taire. Je comprends qu’il est interdit de parler dans les rangs - souvenirs de l’école. Nous arrivons dans une grande salle où tables et chaises sont fixées au sol. Des groupes de six se forment. Mon ange gardien me tire encore de l’embarras en m’entraînant à sa table. Tout se passe dans un silence rituel. Des prisonnières font le service, elles sont plusieurs à pousser des chariots entre les tables. On nous sert du café dans une tasse en alu, ainsi qu’une espèce de bouillie, et quelques tartines spongieuses avec de la margarine. Au fur et à mesure, le brouhaha monte de table en table. Je regarde ma sauveuse et lui dis:
   -Si tu n’avais pas été là, je crois que je me serais fait lyncher! Merci!
   -Pas de quoi! C’est normal, C’est très dur les premiers jours pour les bleusailles!
  -Vraiment, je te dois une fière chandelle, c’est quoi ton nom? Moi, c’est Eliette ou Eli.
   -Katarina, ou Kate si tu préfères, enchantée Eli!
   Pendant qu’elle mange son porridge, je la dévisage. Elle non plus ne semble pas à sa place. Son accent n’est certainement pas américain, ni son allure, probablement une anglaise. De longs cheveux blonds attachés dans la nuque, un visage allongé aux traits fins lui confèrent un je ne sais quoi de désuet. Je ne lui pose aucune question, me rappelle les paroles de Yaël - pas la peine de poser des questions, tôt ou tard, les gens finissent toujours par se confier.
  Le café tout comme la bouillie sont insipides, je me force à avaler les tartines, je regarde Kate mangeant avec un certain appétit, je lui propose mon bol de bouillie, elle dit:
  -Tu devrais manger, les autres repas sont encore pire! Mais on s’habitue! Au début, je faisais la fine bouche comme toi, après deux mois de détention, on commence à devenir moins exigeante...
   Je m’exclame:
   -Deux mois!
   -Eh oui, et ce n’est pas fini, j’en ai pour un bon moment, tu dois te demander pour quelle raison, n’est-ce pas? 
   -Oui, excuse-moi, mais ça m’est sorti comme un cri!
   -Oh, ce n’est pas vraiment un secret, enfin, je ne le raconte pas à qui veut, d’ailleurs, jusqu’à ce que tu arrives, je n’avais pas encore eu l’envie d’en parler à quiconque. Si tu veux, on se retrouve après le petit dej qui ne dure qu’une demi-heure, après, on a toute la matinée à nous, le prochain repas est à midi. On s’installera tranquille dans un coin, et je te raconterai ma misérable aventure!