jeudi 5 janvier 2012

A l'entrée... (143)

  A l’entrée, un long couloir dans lequel donne une multitude de portes, toutes ouvertes. Dans les locaux, des gens téléphonent. Les voix se mélangent en un fond sonore inextricable. Yaël se dirige vers la seule porte fermée, frappe, entre. Un homme jeune est assis dans un fauteuil de cuir noir, jambes croisées sur le bureau, la chemise blanche négligemment déboutonnée laissant apparaître un torse glabre et bronzé, autour du cou une chaîne en or à laquelle pendent quelques porte-bonheur qu’il fait glisser dans un va-et-vient, les yeux dans le vague. Il se lève d’un bond et dit en hébreu:
   -Oh, mais c’est Yaël, salut ma belle! C’est gentil de venir me voir! Quel bon vent t’amène?
   -Salut Rafi! c’est ma copine, elle cherche du travail, je te présente Eliette!
  -Alors Eliette, je vais aller droit au but car je suis très occupé! je t’explique en quoi consiste le boulot. Avant tout, Il faut que tu te trouves un nom qui sonne américain, puis, tu t’installeras et appelleras les boîtes susceptibles d’acheter nos marchandises, c’est à dire des fournitures de bureaux et matériels de dessins, entre autres, feutres, stylos billes, crayons, pastels papiers, carnets, agendas, agrafes, colles et j’en passe. Des annuaires téléphoniques de chaque état, et une liste des marchandises disponibles sont distribués à chaque téléphoniste. Il faudra que tu vendes le plus possible car tu auras dix pour cent sur le total de tes ventes que je paye lors de la réunion hebdomadaire, le vendredi avant la clôture. Pour les autres renseignements, tu t’adresseras à un de tes futurs collègues. Une dernière petite chose, on commence à cinq heures du matin, à cause des décalages horaires, à treize heures on termine le travail. Rafi me déballe tout ça en deux minutes, nous fait la bise et s’en va! Une vrai tornade! Je regarde Yaël et lui demande:
   -C’est quoi ce mec? Il est toujours comme ça?
   -Oui! T’en fais pas, il est un peu speedé mais il est réglo!
   -Je parie qu’il carbure à la coke, à voir son air, ça ne m’étonnerait pas!
   -Probablement, mais tu t’en fous! Zev, il a gagné beaucoup de fric ici!
   -Pourquoi a-t-il arrêté?
  -Parce que tu ne tiens pas longtemps à faire ce genre de boulot, c’est pour ça que Rafi est toujours en quête de marginaux dans notre genre!
   -Mais il y a des tas de choses que je ne pige pas, il faudra que Zev m’explique.
  -T’inquiète! Justement, je dois passer le prendre au labo où il travaille, c’est sur La Cienega, tu pourras lui poser toutes les questions sur le chemin du retour. 
   Nous sortons dans le couloir où le vacarme des voix nous enveloppe. Je jette un coup d’oeil ça et là, je ne vois qu’une seule fille. En passant devant une des portes entrouvertes, j’aperçois un de mes futurs "collègues", nos regards se croisent un instant, un regard intense, presque diabolique qui me trouble. En sortant, des types qui font une pause devant la machine à café nous taquinent en lançant quelques vannes graveleuses. Les treize étages n’en finissent pas, je suis oppressée; l’ascenseur s’arrête enfin, la porte glisse doucement, la clarté du jour nous éclabousse.