mardi 19 avril 2011

Le lendemain toute la smala.. (93)

  Le lendemain toute la smala est réunie, ce qui ne fait pas grand monde, juste mes parents, ma soeur, son mari, mon frère qui vit à l’étranger et moi. Nous n’avons pratiquement pas de famille proche, à part un oncle, sa femme et leur deux fils qui vivent aux States, nombre d’autres membres sont morts dans les camps de concentration. Je voyage avec mon frère jusqu’au cimetière situé à la frontière hollandaise. J’aime bien mon frère, nous nous voyons rarement, c’est l’occasion de se faire des confidences; nous sommes les outsiders; lui aussi a quitté la maison très tôt pour aller vivre loin, a épousé une non juive de cinq ans son aînée, ce qui a provoqué un tollé! 
  La cérémonie est sobre, ne dure pas trop longtemps, après, on se retrouve dans une  pièce attenante où café et douceurs sont servis; quelques connaissances et amis sont venus nous rejoindre. 
  J’ai décidé de ne pas m’éterniser à Bruxelles, je supporte mal d’être replongée dans l’ambiance familiale. Je reprends contact avec quelques amis, ils sont absents ou prétextent un empêchement. Le fait d’être partie depuis longtemps ne favorise pas les liens anciens; on est vite oublié, il faut dire que je ne leur en veux pas, c’est normal, l’amitié ne résiste pas à la séparation, à moins d’avoir un échange épistolaire régulier. Ce fut le cas avec Dolorès. Au début, on s’écrivait toutes les semaines, puis toutes les quinzaines, un beau jour on ne s’est plus écrit. Et puis, amitié, amour, je n’ai toujours pas très bien compris de quoi il s’agit.
  Plus rien ne me retient ici, j’ai même trouvé les semis pour Gilberte. Je m’ennuie d’elle et de Zer. J’ai hâte de les retrouver. Peut-être qu’un jour, eux aussi, je les abandonnerai...
   Pendant mon absence, Zer a presque terminé l’étage, il a aménagé un escalier, deux chambres, et une salle de bain. Pour le sol, il a déjà déniché des dalles anciennes en pierres du pays provenant d’une maison à l’abandon, ainsi que des superbes carrelages représentant un étang avec des cygnes qui trouveront place autour de la baignoire. Je travaille avec Junis, un des ouvriers de Zer pour la pose des dalles. Il faut jouer avec les différentes teintes, tailles, un casse-tête qui me plaît. Je choisis au fur et à mesure les dalles pendant que Junis les cimente. Après dix jours, le travail est terminé, je fignole, ôtant ici et là des traces de ciment, cirant certaines dalles qui ont perdu leur patine; c’est une belle réussite, même Zer est très content, ce qui n’était pas gagné d’avance, il avait été réticent à l’idée de me confier cette tâche.
  Je n’ai pas la forme ces derniers temps, je dors mal, bien que nous ayons enfin une vrai chambre à coucher avec vue imprenable, du grand luxe avec la salle de bain juste à côté. J’ai accumulé les fatigues. D’abord la maladie, puis le voyage éprouvant, et enfin les travaux. Zer me propose de changer d’air, d’aller là où j’ai envie, il ne peut m’accompagner étant sur un gros chantier qui prendra deux mois ou plus. J’ai quelque scrupule à le laisser seul, mais d’autre part une séparation nous fera le plus grand bien, j’accepte, j'irai du côté de la Mer Rouge, dans le désert; c’est décidé, je pars demain matin.