mardi 15 mars 2011

Je me promène désoeuvrée.. (73)

   Je me promène désoeuvrée; je me sens très seule, pense avec nostalgie à Gilberte et à la paix du couvent, puis, avec moins d’émotion, je pense à Zer. Que fait-il en ce moment, et lui, a-t-il une pensée pour moi... Je me sens lasse, décide d’aller me coucher bien qu’il soit encore très tôt; je me dis qu’il vaut mieux se détendre que de traîner sans but dans la rue. Il faut que je m’habitue à l’étroitesse de la cahute. J’étouffe, ouvre les battants de la petite porte, m’assois à l’entrée, un peu cachée pour ne pas attirer l’attention; des rafiots vont et viennent provoquant un roulis qui me berce, je finis par m'assoupir. Je me réveille, il fait nuit, sur le quai un petit groupe d’hommes s’est arrêté, ils discutent bruyamment, quand soudain l’un d’eux sort de sa poche un objet qui brille dans la pénombre... 
  Je me fais discrète et retourne me coucher, je replonge aussitôt dans le sommeil.
  La chaleur me réveille. Les lattes disjointes de la cabine zèbrent mon corps de lumière. J’ouvre le portillon. L’air est saturé d’effluves de goudron et de relents de poisson pourri. Je ramasse mes affaires, mets la clef dans la cachette, me dirige vers La Canebière à la recherche d’un bistrot. Le besoin de vider ma vessie est devenue entre-temps si pressante que j’entre dans le premier endroit venu et file dare-dare aux toilettes. J’avais oublié que les w.c. dans ce pays étaient ces infâmes trous si peu pratiques pour les femmes... Je m’installe à la terrasse; d’après mes recherches, le consulat doit se trouver dans les parages. Le garçon confirme, c’est bien en face, la rue Paradis, il suffit de traverser.

j'ai la tête qui tourne.. (72)

  J’ai la tête qui tourne, je crève de faim, mais n’ose pas bouger de peur de rater David. Je me dis que sans lui, je passerai la nuit à la belle étoile, perspective peu rassurante vu les individus qui rôdent dans les parages, j’imagine que la nuit cela ne s’arrange guère. Presque une heure et demie que j’attends désespérément, quand un homme arrive vers moi d’un pas pressé. C’est lui; il s’excuse; il a dû garder un de ses mômes malade pendant que sa femme faisait les courses, il doit être de retour avant seize heures pour cueillir ses trois autres mouflets à la sortie des classes. Il est très nerveux, se ronge les ongles; à part cela, plutôt beau garçon. Je lui raconte ce qui m’amène ici, je lui demande s’il peut m’héberger pour quelques jours, le temps de passer au consulat et régler mes affaires. Le pauvre type me regarde comme si le ciel lui était tombé sur la tête! Après un long silence, il me dit que c’est impossible; il habite un HLM dans un quartier pourri et n’a qu’une chambre à coucher. Je lui dis que je comprends mais que je vais devoir dormir sur ce banc. Soudain, son visage s’éclaire, il a une solution: il possède une petite embarcation ici dans le port; il n’avait pas pas songé à me le proposer car il pensait qu’une femme comme moi aurait besoin de plus de confort, mais vu les circonstances... Nous nous dirigeons vers le pointu. La cabine est vraiment exiguë, on ne peut s’y tenir debout, il y a une couchette et une couverture. David m’avoue y dormir de temps à autre pour fuir l’enfer familial. Il me passe la clef du cadenas de mon logement de fortune et m’invite dans un petit resto où l’on prépare de vraies pizzas d’après ses dires. Nous nous installons à une table en retrait. Après un verre de chianti, David devient plus bavard, tout en mangeant, il me raconte la misère dans laquelle il se trouve depuis qu’il a quitté le pays.
  -Ma femme est dépressive, mes enfants difficiles, les boulots occasionnels, un appart minuscule dans un lieu surpeuplé, des malfrats qui foutent la merde et nous empêchent de fermer l’oeil presque chaque nuit, le tout dans un environnement jonché de crasses et  carcasses de bagnoles calcinées, la zone quoi, mais je ne vais pas t’ennuyer avec tout ça! Moi, ce que je ne comprends pas, c’est comment Zer a pu t’abandonner ainsi; il ne changera donc jamais, ce fils de pute!
  -Tu y vas un peu fort, si Zer t’entendait, tu passerais un mauvais quart d’heure!
  Mais il répète qu’il ne comprend vraiment pas, qu’on ne fait pas des choses comme ça, en tout cas pas lui, si j'étais sa femme, il ne me laisserait pas seule une seconde!  
  Je me dis que j’ai de la chance de ne pas être avec un type pareil...
  Heureusement, il doit s’en aller chercher ses moutards. Je le remercie pour tout; il me dit où cacher la clef. Il m'embrasse et s’en retourne d’un pas découragé.