jeudi 20 septembre 2012

L'appartement... (164)


   L’appartement est exactement comme je me l’étais imaginé, un endroit aseptisé sans âme. Tami et Alan, un couple pas vraiment assorti. Elle, trop grande, quoique assez  bandante malgré son côté gymnaste russe; lui, petit bonhomme moustachu, petites lunettes cerclées, calvitie avancée. Norton a préparé des plats de légumes, un repas un rien frugal à vrai dire, du vin, il y en a, quatre bouteilles de rouge. La soirée se passe sans anicroche, mais je n’ai pas grand-chose à leur dire, ils sont d’un autre monde, le genre d’israéliens que j’aurais fui là-bas. Norton est en pleine forme, quelques verres de vin, un peu d’herbe et il devient presque drôle. Il me propose de rester dormir dans sa nouvelle piaule. Une chambre exiguë d’une nudité totale avec seulement un grand placard et son waterbed. A dix heures tout le monde va au lit, je proteste, bien trop tôt pour moi, eux doivent bosser, se lever tôt tout comme Norton qui a toujours plein d’activités secrètes. La baise avec Norton, sans fantaisie et en plus ce matelas d’eau flasque, bouge dans tous les sens, difficile même de faire une pipe dans ces conditions! Le lendemain,  il est à peine six heures quand Norton s’en va. Je reste encore un peu seule dans le grand lit, me caresse, avoir l’orgasme loupé la veille. Une autre journée de désoeuvrement m’attend. Arrivée à la maison, je décide d’aller à la plage,  rien de tel que se baigner seule dans la douceur de l’aube. Les jours suivants, je dessine, ne reçois aucun coup de fil, aucune visite, à part Norton, passé en coup de vent. Après quelques jours d’érémitisme, je n’en peux plus, je sors de ma tanière. Il me reste encore quelques sous, mais plus pour longtemps. Je me dirige automatiquement vers le resto avec un petit espoir d’avoir un remplacement à faire, qui sait! La terrasse est bondée, à l’intérieur, Dan fait ses comptes, relève la tête et me sourit en disant:
   -Je parie que t’es fauchée comme les blés!
   -Oui, presque!
  -T’as vraiment le flair de te pointer au bon moment, j’ai une de mes serveuses qui m’a posé un lapin, je ne te dis pas la panique à midi en plein coup de feu...Tu peux te mettre au travail tout de suite!
  Je retrouve les habitués, et quelques nouvelles têtes, entre autres un couple très glamour, d’une beauté lisse. Dan vient s'asseoir à leur table, discute avec eux, fait du charme à la fille. Il faut dire qu’elle est classe, une espèce de Barby distinguée, habillée d’une mini robe en jersey de soie beige, les cheveux blonds relevés en chignon très simple. Blanche comme de la porcelaine, sa peau est impeccable; je me demande comment elle fait pour ne pas être ne fût-ce qu’un peu hâlée... Lui, c’est le beau gosse, chemise blanche ouverte sur un torse bronzé sans un poil, les cheveux noir jais, le regard que l’on devine ténébreux caché derrière des lunettes de soleil noires. Ils sont amoureux, du moins leur comportement l'indique, l’homme a sa main sur la cuisse gauche de la femme. Mais il faut que je bouge, n’ai pas le loisir de les regarder plus longtemps. Je n’ai pas de rôle dans ce rêve hollywoodien, bien que je ne sois pas encore à laver les verres au fond du café! Je cours comme une dingue dans tous les sens pour servir, débarrasser. Je suis dans un cauchemar devenu récurrent, celui de comment survivre dans cette tragi-comédie qu’est devenue ma vie.