mercredi 31 août 2011

Je suis en plein.. (125)

   Je suis en plein rush quand je vois Zer en face du resto, le  sourire aux lèvres. Je lui fais signe de loin, j’aurai terminé dans une heure. Il est minuit quand enfin j’enlève mon tablier. Je questionne Zer sur le déroulement de la mission. Il dit que tout s’est bien passé, qu’il n’y a pas eu mort d’homme! Le type a payé sans broncher! J’ai du mal à le croire. Juste avant de s’endormir Zer me raconte comment cela s’est déroulé: 
   -Comme promis, Vince est arrivé avec ses deux acolytes tout de cuir vêtu, les bras nus couverts de tatouages. L’un d’eux frappa la grille d’entrée d’une grosse chaîne, puis la fit tournoyer en l’air tel un dresseur de lion jouant de son fouet; le bonhomme sortit en criant qu’ils devaient dégager sinon il appellerait la police, mais quand il a vu la compagnie de plus près, il a chié dans son froc et a aussitôt ouvert la grille. II avait l’argent en poche et a payé illico! C’était comme au cinéma! Ce sont vraiment des types formidables, j’ai voulu les récompenser, mais ils n’ont rien voulu entendre, ils m’ont dit que c’était tout à fait normal d’aider un ami! Je ne les oublierai pas de sitôt!
   -Ah, bon! Tu es donc bien décidé à partir, sinon tu ne dirais pas ça...
  -Bien-sûr, demain, dès la première heure, j’irai acheter mon billet, ce serait génial si tu pouvais m’accompagner?
   -Je commence à midi, j’aurai le temps, d’accord! 
   Nous nous endormons enlacés. Je me réveille en sursaut, j’ai fait un mauvais rêve. Zer est encore plongé dans le sommeil, je l’observe pendant un long moment. Dans quelques heures il sera loin. Que je ne le reverrai plus, j’en suis convaincue. Je n’ai pas cru un seul instant à son histoire de vente de maison, et tout le reste, pourtant il était sincère sur le moment, il est toujours sincère puisqu’il croit à ses affabulations. 
   Zer se tire avec élégance, je ne sais pas dans quelle mesure tout cela a été prémédité, de toute façon peu importe, je lui en sais gré. Comme convenu, je le dépose à l’aéroport, je n’attends pas, je ne supporte pas les adieux. Sur le chemin du retour, j’éclate en sanglots, je ne sais pas au juste pourquoi je pleure, pour l’instant je me laisse aller, je suis une source, fontaine de larmes, c’est tout.

dimanche 28 août 2011

Vince nous ouvre.. (124)

   Vince nous ouvre, c’est un balèze de deux mètres de haut, il nous souhaite la bienvenue et nous invite à nous asseoir à une table où des cendriers remplis à ras bord traînent entre des bouteilles vides; il se roule un pétard géant qu’il me passe après y avoir tiré une longue taf. Vince est impressionnant, bien que l’on s’aperçoive vite que c’est un brave type, le coeur sur la main, un peu trop... Dans le fond de la pièce, un garçon et une fille sont affalés sur un vieux sofa effondré, ils sont tellement stoned qu’ils ne se rendent même pas compte de notre arrivée. Zer raconte sa mésaventure, aussitôt Vince le rassure et lui dit de ne pas se faire de mouron. Il propose d’aller dès demain faire une petite virée chez le cave, il emmènera deux autres de la bande. On reste un moment à papoter, à boire quelques bières. Je n’ose pas demander en quoi consiste la «virée», de toute façon cela n’y changerait rien. En sortant de chez Vince, nous flânons sur la plage, quand soudain, Zer se met à parler de notre avenir. Il me dit qu’il y a beaucoup pensé et que si on veut rester ici, il faut s’y prendre autrement. Je lui demande ce qu’il entend par là, il me répond:
  -Voilà, je vais rentrer et vendre la maison, je reviendrai avec une belle somme pour redémarrer une nouvelle vie. Ce n’est pas avec les quelques sous que je vais toucher demain que l’on pourra faire des miracles, ceux-là me serviront à payer mon voyage. J’ai eu le temps de réfléchir à tout, crois-moi c’est ce que j’ai de mieux à faire.
  -Premièrement comment peux-tu être si sûr que Vince arrivera à convaincre l’autre de cracher, puis, négocier une maison, cela ne se fait pas en un claquement de doigts! Et de toute façon, je ne te crois pas, je sais très bien que tu en as marre, et de moi et d’être ici, tu ne rêves que d’une chose, c’est de te retrouver chez toi, au pays. Allons sois honnête!
   -Mais non, tu te trompes, je n’ai absolument pas l’intention de te laisser tomber, quant à l’Amérique, j’aime beaucoup. J’ai juste envie de réussir, et pour ça il faut du fric!
   -Je n’ai rien à ajouter, tu feras évidemment comme bon te semble, pour ma part, je me débrouillerai avec ou sans toi!
   Nous discutons encore pendant la moitié de la nuit, on s'engueule, on s’aime, peut-être pour une dernière fois. On ne sait jamais quand ce sera la dernière fois que l’on touche ce corps que l’on connaît si bien, mieux que son propre corps, cette peau dont on sait chaque parcelle, les moindres creux et plis...

mercredi 24 août 2011

Dès le départ.. (123)


   Dès le départ, j’ai eu un pressentiment concernant le nouveau travail de Zer. Il a terminé dans les délais, mais le client trouve le travail bâclé. Zer ne voit ce que l’on lui reproche, il prétend que le type cherche à l’entuber, qu’il ne veut pas payer. Je propose à Zer de l’accompagner pour me faire une idée et essayer de trouver un terrain d’entente. J’ai congé aujourd’hui, nous décidons d’y aller sans tarder. La maison est à Beverly Hills, dans une de ces avenues verdoyantes longées de palmiers. A peine devant la grille d’entrée, celle-ci s’ouvre, nous sommes attendus! Nous nous garons à l’ombre. Je préviens Zer qu’il doit me faire confiance, me laisser parler sans intervenir, ne pas me demander à tout bout de champ de traduire. Un petit bonhomme chauve et replet vient aussitôt vers nous et, s’adressant à Zer, dit:
   -Je vois que tu viens avec du renfort!
   -Bonjour monsieur, je suis la femme de Zerah.
   -Enchanté! me répond-il avec un sourire sournois.
   -Zerah m’a tout raconté, puis-je savoir pourquoi vous ne voulez pas le payer?
   -C’est très simple ma petite dame, il a tout mal foutu, venez voir vous-même!
   Arrivée à l’intérieur, le type me dit d’aller droit devant en me poussant dans le dos, à l’entrée de la salle de bain, il me bouscule carrément et dit d'un ton furieux:
   -Tiens, voilà la merde que ton mari a laissé, tu vois, tu comprends maintenant?
  Je dois dire que ce n’est pas vraiment un travail de pro. Le carrelage est mal découpé dans les coins, il y a des traces de ciment ci et là, mais vu la somme demandée, il ne devait pas s’attendre à un travail léché, ce que j’explique au gars et ajoute que quoi qu’il en soit, il doit payer. Zer trépigne, je traduis et lui dis de faire un rabais de cent dollars et qu’on en parle plus, mais il ne veut rien entendre et profère des menaces en hébreu qu’heureusement le type ne comprend pas! Zer me prend par le bras et m’entraîne dehors en disant qu’il va s’y prendre autrement, qu’il ne se laissera pas faire. Zer se retourne une dernière fois vers le bonhomme et gueule avec rage: «Wait and see!». Je me dis au moins il aura appris quelques mots d’anglais! Pendant le trajet du retour, j’encaisse quelques reproches, évidemment! Zer me fait part de son projet de vengeance. L’autre jour, en traînant à Venice, il a fait la connaissance d’un nommé Vince, un californien d’origine israélienne avec qui il a sympathisé. Vince fait partie d’une bande de motards, justiciers à leurs heures. Zer est certain que Vince et ses copains viendront à bout de ce salopard... Avant d’avoir eu le temps de protester, Zer m’emmène chez eux, ils habitent un vieil immeuble au bout de Ocean front walk où ils vivent en communauté. Zer m’avait caché qu’il leur rendait régulièrement visite. C’est donc là qu’il va pendant que je bosse et là qu’il trouve la marijuana qu’il m’a ramenée l’autre jour, il confirme. Il ne changera donc jamais, il faut toujours qu’il fasse des mystères à propos de tout et de rien!

lundi 22 août 2011

Maintenant que.. (122)


     Maintenant que l’argent rentre, on a enfin déménagé. J’ai trouvé un flat pas loin du resto, dans une vieille villa en bois qui fait le coin avec Pacific Boulevard et Ozone -petite ruelle perpendiculaire à l’Ocean Front Walk. Il y a des tas d’autres locataires dans la maison. Le meublé est situé au rez-de-chaussée, il est composé d’une pièce, d’une minuscule cuisine équipée, et une petite salle de bain. Il y a pour tout meuble qu’un grand lit, il ne reste pas beaucoup d’espace, juste assez pour une table devant la fenêtre. J’ai pris deux jours de congé pour l’installation. Zer a fabriqué une étagère sur un modèle qu’on avait vu chez Lena, il s’agit de trois planches superposées à distance égale, trouées aux extrémités, traversées de quatre épais cordages noués par dessus et dessous pour les retenir, le tout suspendu au plafond, créant une séparation entre le lit et le reste de la chambre. J’y ai posé une plante et une petite télé d’occase face au lit. Pour la table, une vieille porte soutenue par deux tréteaux. Ne nous manque plus que deux chaises et quelques objets de première nécessité; du coup j’ai retrouvé mes vieux réflexes de fouineuse de poubelles, elles sont d’une telle opulence ici! Je m’y adonne avec délectationIl suffit d’aller faire un tour dans les back-alleys pour y trouver tout ce dont on a besoin. Zer a obtenu un nouveau chantier, encore une salle de bain à refaire de A à Z, chez un ami de Jo. Il faudra qu’il se débrouille seul, je n’ai pas le temps de jouer la traductrice, mais il est confiant, il dit avoir acquis suffisamment de connaissance pour mener à bien cette tâche. Je suis soulagée de le savoir occupé: entre nous, la tension était devenue palpable. Les jours se suivent au rythme du travail, j’ai peu de loisirs, j’essaye d’aller nager dès que j’ai un moment, le dessin et encore moins la peinture ne sont au programme, je suis trop crevée de mes va-et-vient continuels à la terrasse; je suis sûre que si je devais compter la distance parcourue en une journée, cela devrait faire au moins une dizaine de kilomètres. Je ne sais pas combien de temps je vais tenir, ça me vide l’esprit, j’ai l’impression de ne plus vivre, je me sens dépossédée, je déteste ça!

samedi 20 août 2011

Je suis enfin devenue.. (121)

   Je suis enfin devenue un être humain normal, je travaille tous les jours, je rentre harassée et m’endors aussitôt. Zer, vient de terminer la salle de bain de Jo. Il s’est vraiment surpassé, tout le monde est content! Depuis il traîne désoeuvré devant le restaurant, me regardant parcourir sans cesse la très longue terrasse, les mains et les bras toujours chargés. Je n’aime pas cette situation, c’est aussi inconfortable que d’être lorgné par quelqu’un qui attend que vous ayez fini de manger pour prendre votre place au resto. Je me sens de plus en plus à l’aise parmi mes collègues, surtout avec Cathy. Elle est drôle et ressemble à une souris avec ses petits yeux brillants et son nez pointu, elle a des cheveux frisés bruns qu’elle porte en chignon désordonné, et autour du cou, toujours un petit foulard. Cathy aime provoquer Dan. Parfois, quand il est de dos, elle lui glisse subrepticement la main entre les jambes pour palper ses couilles, ce qui le met hors de lui, bien que je trouve qu’il proteste mollement en lui disant que cela ne se fait pas, qu’elle est vulgaire. Cathy a un petit ami qui vient la chercher à la fermeture. C’est un grand type aux cheveux longs décolorés, ils semblent être amoureux, enfin surtout elle, je trouve qu’ils vont bien ensemble, il a l’air aussi concupiscent qu’elle! Il y a aussi les clients, les habitués, entre autre un personnage se faisant appeler Happy. C’est un homme d’une cinquantaine d’années, les cheveux blancs pendants sur les épaules, il s’habille en femme bien que portant une barbe et moustache à la d’Artagnan. Il est maigre, ses ongles sont très longs au bout de ses doigts jaunis. Il fume clope sur clope en croisant toujours ses jambes nues parsemées de poils clairs. Juché sur ses talons hauts, en équilibre instable, il a le pas hésitant dès qu’il se met debout. Au début, il me snobait. Happy vient tous les jours boire son café que je renouvelle régulièrement (c’est la coutume ici), petit à petit je gagne sa confiance. Les originaux ne manquent pas dans le coin, surtout parmi la clientèle du resto. Il y a aussi cette grande femme, Selma, une mécanicienne. Dans son bleu de travail, les mains toujours noires de cambouis, elle vient pour le break de midi, souvent accompagnée d’un type très viril avec une moustache de gaulois qui me reluque sans cesse. Il y a aussi de temps à autre quelques acteurs qui passent incognito. En général c’est Dan qui tout fier, me les fait remarquer. Pas plus tard qu’il y a une heure, il m’a dit -T’as vu à qui tu as servi une crêpe strogonoff? Quoi, tu n’as même pas reconnu Tony Franciosa! Je lui ai répondu qu'il portait des lunettes de soleil noires, et que je ne me souviens pas l'avoir vu dans un film... Puis, il y a des gens d’une banalité totale, des solitaires, des familles avec des mômes, les gentils et les emmerdeurs, ceux pour qui j’existe et ceux pour qui je ne suis qu’une serveuse de plus, sans intérêt. Pour tenir le coup, je me dis que je suis une mère nourricière. En quelque sorte, ils ont tous besoin de moi pour recevoir ce qu’ils désirent... 

dimanche 14 août 2011

De retour à l'hôtel.. (120)

     De retour à l’hôtel, je fais le bilan de la soirée:
  -Finalement, c’est toi le plus joueur de nous deux, j’en étais sûre! Je suis trop raisonnable, et puis, vaut mieux que l’un de nous le soit! J’ai gardé de quoi faire le plein demain matin, on a encore quelques miles à parcourir.
   -Je crois que les jeux étaient trafiqués!
   -Qu’est-ce qui te fait dire ça?
   -Il y avait un type à côté de moi qui gagnait tout le temps!
   -Et alors, ça ne veut rien dire!
   -Bon, d’accord, tu ne me crois pas, hein, c’est ça?
  -Avoue que c’est un peu gros, ce n’est pas parce que ce type a gagné que t’as perdu, sois logique! Et puis, arrête de râler, si tu ne supportes pas de perdre, pourquoi avoir voulu t’y frotter et puis, n’en fais pas tout un plat, c’est la règle du jeu! De toute façon, les vacances, c’est fini! Demain on retourne à L.A. Il faudra trouver un boulot, et un logement.
   Nous quittons Vegas, la route est droite au milieu de nouvelles immensités, paysages à couper le souffle. A mis chemin, on s’arrête à Barstow. On se cale quelques crasses, vite fait et on s’engage sur le dernier tronçon de la légendaire Route 66 jusqu’à L.A. Nous arrivons en début de soirée, retrouvons Denise; les enfants nous accueillent à grands cris de joie! Nous leur racontons nos petites péripéties. Je touche quelques mots à Denise à propos de notre situation financière, elle me rassure et dit: -Dan a sûrement une solution, on en reparlera à tête reposée, allez dormir tranquille, on ne vous met pas encore à la porte! Dès le lendemain, Dan propose à Zer de prendre contact avec son frère. Il vient de parler avec lui, il cherche quelqu’un pour faire des travaux dans sa villa. Sans perdre de temps, je téléphone à mon cousin Jo. C’est d’accord, on peut s’amener dans la matinée, il me donne l’adresse, il habite Bel Air, un des quartiers les plus huppés de la ville. On arrive une heure plus tard. Ce n’est pas la toute grosse villa, mais c’est tout de même assez cossu avec un petit côté m’as-tu vu en carton pâte comme certaines maisons de Beverly Hills, tout proche. Mon cousin vient à notre rencontre, petit grassouillet comme je me l’étais imaginé. On s’embrasse, je lui présente Zer, lui explique qu’il est entrepreneur, qu’il sait tout faire. Jo se montre jovial, lui donne une tape dans le dos et dit: -T’es l’homme qu’il me faut, je vais te montrer. Je traduis au fur et à mesure. Jo nous emmène à l’intérieur du bungalow style hacienda. Nous traversons un long couloir, au bout dans une autre aile, sa chambre à coucher avec salle de bain attenante. Jo aimerait refaire la salle d’eau. Il veut remplacer la baignoire existante par une ronde et recouvrir les murs de mosaïque dans les tons bleus, quant aux deux éviers, ils peuvent rester. J’explique à Zer ce qu’on attend de lui, il me dit que c’est tout à fait faisable, ça lui prendra même pas une semaine de travail. Après de longues discussions, ils arrivent à un accord, ils iront ensemble acheter tout le matériel, Zer sera payé au forfait. Il commencera à démolir dès demain. Jo lui dit que si le travail est bien fait, il le fera savoir autour de lui, il en connaît du monde! En sortant de la maison, nous croisons sa femme revenant de son shopping accompagnée du cadet, un petit gars de trois ans environ avec des boucles blondes, ce qui m’étonne car la mère est plutôt de type méditerranéen, petite brune aux yeux noirs, on ne s’est jamais vu, encore des embrassades et présentations. Elle s’excuse de ne pas pouvoir s’attarder, elle doit repartir, un rendez-vous chez son coupe-tif qui ne peut attendre! Je sens que Zer est satisfait, il me dit: -Ils vont voir de quoi je suis capable, je vais leur en mettre plein la vue! Maintenant que Zer a du boulot, il faudra que je m’en trouve. Je ne me vois pas traînant toute seule à Venice ou ailleurs. Une fois de plus Denise et Dan me viennent en aide. Ils sont d’accord pour que je travaille au resto comme serveuse. Vu leur succès croissant, ils manquent de personnel. Ils me préviennent que ce n’est pas de tout repos. Je serai payée et traitée comme les deux autres filles et l’aide cuisinier. Je n’aurai pas à faire la plonge,  c’est le boulot de Ramon, le busboy mexicain. Mon travail consistera à prendre les commandes, servir, desservir et encaisser. Je commence à l’essai demain matin à dix heures.

vendredi 12 août 2011

J'ai à peine eu le temps.. (119)

   J’ai à peine eu le temps de faire le tour de l’horizon du regard quand Zer redémarre faisant semblant de m’abandonner, je n’ai pas peur une seconde sur les quelques minutes que dure sa blague de potache! Une heure plus tard, nous nous approchons de Las Vegas. Dans le lointain, des taches sombres et brillantes surgissent du sable aux reflets ocrés par les derniers rayons. Nous empruntons le boulevard principal bordé de parkings, casinos, hôtels restaurants et de quelques palaces démesurés. Tout est concentré autour de cette artère. Quand on s’éloigne du clinquant décor, que l’on s’aventure dans les rues perpendiculaires, un autre monde se déploie, nous nous y arrêtons pour chercher un hôtel de quatrième zone, là où logent les ouvriers, les perdants, où fleurissent les innombrables pawn shop ravitaillés jours et nuit par les victimes de la ville de toutes les perditions.  Le choix n’est pas difficile, l'hôtel le plus minable est encore du grand luxe à nos yeux! On y trouve des slot machine partout, jusque dans les chiottes! Après une douche rapide, on décide d’aller manger un bout et de jouer nos derniers sous, c’est à dire, une cinquantaine de dollars chacun. Je sens Zer tout excité, il attend ce moment depuis le début de notre escapade, j’avoue que moi aussi ça me met dans un drôle d’état, je suis curieuse de savoir si j’ai ou non la baraka! Nous jetons notre dévolu sur le Lady Luck, moins frime, plus confidentiel et puis surtout pas besoin d’être habillé pour y être admis. Dès l’entrée on est harponné par une hôtesse habillée d’un maillot noir constellé de paillettes, les jambes gainées de bas résilles, perchées comme il se doit sur des talons hauts. Elle propose un tas de choses auquel je ne comprends que dalle, je la remercie et dis: -Nous allons d’abord boire un verre au bar. Autour de nous, des rangées de machines à sous tintinnabulantes, quelques-unes déversent tout à coup des flots d’argent se répandant sur l’épaisse moquette -gens hilares -jack-pot! Plus loin, l’atmosphère est pesante, la tension tangible aux tables où s’entassent de nombreux joueurs autour des roulettes. Nous buvons un whisky pour nous donner du courage, on décide d’aller chacun son côté et de se retrouver ici dans une heure pour faire le point. Ne connaissant pas les règles de la roulette, je me cantonne au bandit manchot. Je vais à une caisse pour convertir mon billet en monnaies, puis m’installe sur le tabouret face à la machine, introduis ma pièce et tire sur le manche. Rien! Je recommence, toujours rien! La moitié de mes pièces y passent quand soudain, trois citrons apparaissent sur les rouleaux derrière la petite fenêtre, ce n’est pas le jack-pot, mais la machine vomit un ruisselet de pièces, je ne me donne pas la peine de les compter et continue de jouer gonflée à fond par cette première victoire. Je ne sais pas depuis combien de temps je répète les mêmes gestes. Gagnant, puis perdant tour à tour, je finis par me lasser quand je vois arriver Zer qui tire sur ses poches de jeans retournées! En quelques mises, il a tout perdu à la roulette. Comme il me reste un peu de fric, je décide d’arrêter. Dehors, la ville de néon scintille de tous ses feux; nous flânons encore un moment dans douceur nocturne.



mercredi 10 août 2011

Ce matin.. (118)

   Ce matin, Zer est détendu, il sifflote même et me dit:
   -Tu ne trouves pas que ça ressemble au Neguev? 
  -C’est vrai, ça y ressemble mais en plus vaste, il fait même encore plus chaud ici! Heureusement que malgré tes réticences, j’ai quand même acheté quelques bouteilles de soda, bien qu’elles soient déjà chaudes, au moins, on ne mourra pas de déshydratation. Pourvu que l’on ait suffisamment d’essence! Là encore, j’ai du faire des mains et des pieds hier soir, pour que tu daignes t’arrêter car d’après toi il y aurait encore d’autres pompes sur la route, tu vois qu’on a bien fait, je n’en ai plus vu une seule!
   -Ok, autant pour moi, mais j’étais vraiment crevé!
   -Je m’en suis aperçue! Dès que tu as posé la tête sur l’oreiller, tu t’es endormi.
   Nous traversons le paysage immense à vive allure, toutes vitres descendues, l’air conditionné ne fonctionne pas. Après six heures de route, nous arrivons à Death Valley, plus exactement à Furnace creek qui n’est qu’un point sur la carte. En réalité, quelques baraquements et juste à côté une vieille locomotive rouillée, on s’arrête. Bien que l’on soit encore au printemps, l’air est suffocant; l’endroit porte bien son nom! Je me précipite vers l’une des baraques appelée pompeusement Museum. Dans la pénombre un vieil indien est assis derrière un comptoir, il me salue, me souhaite la bienvenue d’une voix rauque de fumeur. Il vend de l’artisanat, des colifichets en perles colorées pour touriste, et des cartes postales. Sur les parois, quelques photos sépias d’une époque où l’exploitation des mines de borax était florissante. Il fait bon à l’intérieur, il y a même un frigo avec des boissons fraîches, inespéré! M’habituant au demi-jour, je perçois le visage marqué du vieil homme. Je suis émue, c’est la première fois que je vois un indien en chair et en os. Zer intrigué, me dit: -On dirait un vieux yéménite, il est beau! J’échange quelques banalités avec l’homme, ne sachant trop quoi lui dire. Ayant vu une indication Zabriskie Point, je lui demande si c’est loin d’ici. Il répond que c’est à une dizaine de minutes en voiture, il ajoute qu’il n’y a rien là-bas, je dis que ça ne fait rien! C’est juste pour voir, à cause du film, il acquiesce d’un sourire. J’achète quelques boissons. Nous partons, direction le lieu mythique. Si ce n’est le nom, rien ne différencie cet endroit des autres dans ce désert impressionnant de par l’immensité et la beauté du paysage lunaire.

dimanche 7 août 2011

Je suis réveillée.. (117)

   Je suis réveillée par des portières qui claquent, sans doute des voyageurs égarés. Qui d’autre arriverait ainsi en pleine nuit dans cet endroit perdu? J’ai du mal à retrouver le sommeil, je ne digère pas le repas de la veille, des burgers à peine décongelés, accompagnés de maïs et petits pois en boîte. C’était vraiment immonde! Au petit matin, je suis à nouveau réveillée par des portières qui claquent, je vais à la fenêtre, une voiture s’éloigne dans un nuage de poussière. Je m’habille et sors voir le lever du soleil sur l’immense plaine entourée de montagnes, rare moment extatique de ce voyage. En revenant vers la chambre, Zer apparaît à la porte, arborant un sourire. Il m’embrasse, et dit:
   -Viens, on va manger un délicieux petit dèj au resto quatre étoiles!
   -Eh, oui, on y est bien forcé, tu peux encore t’estimer heureux qu’il y ait de quoi se caler, c’est le seul endroit à des lieues à la ronde, il n’y a rien jusqu’à Death Valley et d’après notre hôte, là-bas non plus, il n’y a rien, à part un couple d’indiens qui y tient un boui-boui.
   -Il t’a dit ça?
  -Oui, c’est ce qu’il m’a dit, bon, il n’a pas utilisé le terme boui-boui, mais tout comme!
   Nous mangeons des pancake’s qui doivent traîner dans le congé depuis des lustres et nous buvons un liquide brun supposé être du café. Le patron est un vieil homme maigre et sec, de sa chemise au col graisseux sort une tête aux cheveux en bataille entourant un visage anguleux, mal rasé; au bout de ses longues mains veineuses, des ongles en deuil. Il s’avère aussi peu ragoûtant à la lumière du jour que la nourriture qu’il sert, pourtant je le trouve sympa. Il me raconte que ça fait plus de trente ans qu’il tient le motel, depuis sa démobilisation, quelques années après la fin de la deuxième guerre mondiale. En entendant son histoire, soudain c’est Gilberte et son «Last chance Café» qui traversent mon esprit. C’est la première fois que je pense à elle depuis mon départ d’Ein-Kerem, d’ailleurs, je n’ai plus pensé à personne. Je suis prise de nostalgie; j’ai le sentiment que si j’étais ici avec elle, ce serait bien-sûr différent, et tellement mieux. Je m’imagine que la première chose qu’aurait faite Gilberte eût été d’acheter quelques packs de bière qu’on aurait flûté en un rien de temps en criant notre émoi devant tant de beauté; je suis certaine qu’elle pense à moi en cet instant, j’ai toujours eu l’intime conviction que la transmission de pensée existe. Zer me tire de ma rêverie et dit:
   -On dirait que tu étais ailleurs, je t’observais, mais tu ne t’en rendais pas compte, tu souriais!
   -Oh, non, je rêvassais à rien de particulier. Enfin, si! Tu y crois, toi, à la transmission de pensée, tu sais, la télépathie?
    -Tu sais bien ce que je pense de ces choses-là! Allons, il est temps de s’en aller, on a de la route à faire!

vendredi 5 août 2011

Nous roulons.. (116)

   Nous roulons sans relâche pendant quelques heures, le paysage est de plus en plus désertique, minéral, le soleil tape, j’ai faim et soif, je supplie Zer de s’arrêter, il continue de tracer comme un forcené, le reste ne compte pas, qu'il soit ici ou ailleurs, c’est son désir qui prime, ça a toujours été comme ça; avant, je m’en accommodais, maintenant, je n’en peux plus, je ne supporte plus ses accès névrotiques. Je me rends compte que notre histoire est en train de finir. Je l’observe, j’en ai tout le loisir; j’admire encore son beau profil d’oiseau de proie, il fixe la route sans jamais tourner la tête. Qui est cet homme, qu’est ce que je fais avec lui dans cette bagnole au milieu de nulle part, pourquoi je subis toutes ses lubies? J’aimerais descendre de la voiture et marcher droit devant moi. Probablement qu’il ferait semblant de s’en foutre et continuerait seul, puis s’arrêterait soudain, ferait volte-face me suppliant de revenir, je continuerais sans un regard. Pour l’instant, je reste muette, le cul collé sur le skaï rouge de la banquette. Entre-temps, nous avons dépassé Reno, je viens de lire un panneau avec plusieurs noms qui font résonance dans ma tête. Nous sommes dans le Nevada et le jour décline. Cette fois il faut s’arrêter, j’en fais part à Zer qui ne montre pas de résistance, il est vaincu par la fatigue. Se balançant au vent, une pancarte signale le dernier motel avant le désert. Quelques centaines de mètres plus loin, Zer gare la Chevi devant une des chambres du petit motel délabré que l’on devine peint autrefois en un vert acidulé. Ce soir encore, nous sommes les seuls clients...

mercredi 3 août 2011

Lena est assise.. (115)

   Lena est assise sur les marches d’une jolie maison en bois,  entourée de grands arbres encore nus. Embrassades, puis on file dare-dare à l’école  tout proche, nous y allons à pied par les rues vides tristes à mourir, ponctuées de poteaux électriques dont l'entrelacs des fils raie le ciel plombé. Lena n’a jamais été débordante de joie, mais l’ambiance aidant, elle paraît mélancolique. Heureusement les mômes sont bien vivants et nous embrassent avec enthousiasme; la petite Adina est devenue moins timide, son frère Ayal toujours pareil à lui-même, la tête dans les nuages. Nous passons la soirée dans la maison en bois devant le feu ouvert, on se remémore les moments passés ensemble. Evidemment, après le drame, Lena a voulu s’éloigner, chercher un renouveau, mais pourquoi dans ce trou perdu, mystère. Nous pouvons rester pour la nuit, ce n’est pas la place qui manque. 
   Ce soir, Zer a pu exprimer tout son soûl, ça ne lui était plus arrivé depuis le début de notre séjour américain. Il veut repartir demain matin, il aimerait passer par Las Vegas, il espère gagner des sous au casino! Il est vrai que nous sommes pratiquement à sec. Je suis contrariée, j’aurais voulu traîner un peu dans la nature, mais il vaut mieux que j’écrase, une fois de plus. Zer dit que ce n’est pas le moment d’aller faire du tourisme, il faut que l’on gagne de l’argent dès le retour à L.A. J’insiste pour au moins voir Death Valley, j’explique à Zer que c’est sur notre chemin. Partis de bonne heure, nous revoilà sur la route. Cette fois, il ne s’agit pas de lambiner, quelque 700 miles à parcourir avant la tombée de la nuit! A mon avis, ce n’est pas faisable, je ne dis rien, on verra bien...