mercredi 18 mai 2011

Je retrouve.. (101)

  Je retrouve un Zerah harassé, les traits tirés, amaigri, il a bossé comme un dingue d’après ses dires. Pendant mon séjour, je me suis souvent demandé pourquoi il avait insisté pour que je parte en vacances, lui qui d’habitude est si jaloux. J’avais vite évincé mes soupçons, décidant de ne pas me rendre malade avec ses éventuelles incartades somme toute sans importance, n’étant pas moi-même un parangon de vertu, enfin, je ne sais pas comment appeler ces histoires de cul, disons des petits arrangements avec ma conscience. Je ne peux pas en parler à Zer qui trouve qu’un homme peut culbuter toutes les femmes qu’il croise, tandis que moi, je n’ai pas ce droit, il ne veut rien savoir de mes aventures passées. Je me souviendrai toujours du regard qu’il m’a jeté quand il a compris pour Shaï, je me dis qu’il serait capable du pire. 
  J’ai décidé de chercher un travail, j’ai envie de me mêler au monde. Par l’intermédiaire d’un copain, j’ai une entrevue ce matin pour un boulot avec des enfants handicapés, leur faire faire du dessin, du modelage, deux à trois après-midi par semaine. La clinique est située à quelques kilomètres hors du village. J’arrive à l’heure au rendez-vous; j’ai peur de ne pas être à la hauteur. Je m’annonce à l’accueil, un infirmier me dit de suivre la ligne jaune et tout au bout, la porte verte, c’est là que se trouve l’atelier. Le bâtiment est récent, le bruit de mes pas sont absorbés par un revêtement spécial, tout est calme, je n’entends rien, j’arrive devant la porte verte et frappe, ne voyant venir personne, j’entre dans la pièce éclairée par une grande baie vitrée avec vue sur les collines; au centre, six lits placés en rond occupés par des enfants de cinq à dix ans, paraplégiques, culs de jatte, corsetés, hydrocéphales. Ils sont silencieux, ils m’épient; arrive une soignante, qui d’un ton enjoué me salue, demande mon nom et fait les présentations, elle leur explique que je suis la nouvelle assistante. Dès qu’elle prononce leur nom, les mômes commencent à s’exciter, à faire du chahut. Je suis assez déconcertée. Hormis la personne avec qui j’ai eu une conversation sommaire au téléphone, je n’ai eu aucun contact. Et me voilà promue assistante, comme ça, sans référence. J’en fais part à Warda (la soignante), elle me dit:
  -Tu verras, ou tu tiens le coup, ou tu tourneras les talons dans deux jours!
  -Mais je n’ai jamais fait ce genre de travail!
  -Peu importe, ne t’en fais pas, tu ne seras pas seule, je suis là.
  Warda m’explique, montre l’armoire où est rangé le matériel de dessin et autre, elle me dit également qu’il y encore des enfants qui viennent de l’extérieur pour passer l’après-midi avec les internes. Aujourd’hui, elle attend une petite fille, qui ne devrait tarder. Quelques minutes plus tard, on frappe à la porte, c’est la gamine accompagnée de sa mère, la petite a environ cinq ans, l’enfant semble parfaitement constituée, puis c’est la consternation, à sa petite menotte droite, un pouce énorme, je n’ai jamais vu telle chose. Je suis effondrée, le silence se fait dans la petite assemblée. La mère doit partir, l’enfant pleure, s’accroche à elle, la scène est terrible, j’ai du mal à réprimer mes larmes. Warda fait ce qu’elle peut pour calmer la fillette. Munie d’une patience d’ange, elle parvient à la raisonner. La mort dans l’âme la mère s’en va, c’est la première fois qu’elle laisse l’enfant ici. Warda me dit que nous sommes au complet, c’est à moi de jouer...