jeudi 26 avril 2012

Tôt, le lendemain.. (154)


   Tôt, le lendemain, Norton s’en va, il promet de revenir aussitôt son boulot terminé, ne donnant pas d’autres explications. Il est assez secret, peut-être même un peu cryptomaniaque. Il faut bien que je lui trouve des défauts. Il est si différent, ne fait rien comme tout le monde; il n’est pas vraiment porté sur le sexe, n’y accorde que peu d’importance, mais il ne s’agit pas d’une histoire de cul de plus. Je crois que je suis éprise, pourtant, je m’étais juré de ne plus tomber amoureuse. A vrai dire, je suis chamboulée, incapable de faire quoi que ce soit, je l’ai dans la tête. Il faut que je bouge, que je mette le nez dehors. J’ai envie de voir Yaël, lui parler de ce qui m’arrive, je sais qu’elle m’écoutera. Si Gilberte était ici, je courrais chez elle, j’ai toujours eu besoin d’une confidente. Parfois, Gilberte ne m’écoutait pas de bonne grâce quand il s’agissait de Zer, elle cachait mal sa jalousie, mais écoutait quand même tout en se foutant gentiment de ma gueule, ce qui au fond me réjouissait, cela finissait toujours dans l’ivresse entre larmes et fous rires. Peut-être que cette fois-ci elle serait plus magnanime, je suis presque sûre qu’elle approuverait, ou du moins, comprendrait mieux ce qui m’attire chez Norton. Au fond, elle n’avait pas de mépris pour Zer, elle trouvait qu’on était mal assorti, enfin, quelque chose comme ça. Evidemment, elle n’avait pas tort, mais je ne voulais rien entendre, j’étais amoureuse. Il y a un monde entre Zer et Norton, deux êtres totalement opposés, enfin de prime abord, il est trop tôt pour savoir, une nuit et un jour ne suffisent pas. Je m’apprête à appeler Yaël, quand le téléphone sonne, c’est elle, elle sera là dans une demi-heure. 

vendredi 20 avril 2012

Je ne m'explique pas.. (153)

   Je ne m’explique pas ce qui chez cet inconnu me met dans un tel état, probablement sa timidité. Les timides ont toujours cet effet sur moi, ils m'aimantent. Je suis moi-même d’une grande timidité, ce qui n’arrange rien, chacun reste coincé dans son enfermement, attendant de l’autre un signe qui viendra rompre la tension. Cela fait un moment que nous sommes face à face, avec peu de mots. La tension, quoique délicieuse, augmente. Après force pétards, et pinard, j’avance lentement ma main, la pose sur la sienne abandonnée sur la table; à son tour il saisit la mienne, l’effleure de ses lèvres et dit:
   -Ceci est vraiment un instant exceptionnel!
  Il se lève, me serre contre lui, il tient à peine debout, nous chancelons. Je l’entraîne vers mon lit. Essayant dans un même temps de nous débarrasser de nos vêtements, nous nous heurtons à tout ce qui se trouve sur notre chemin. 
  Au petit matin, une soif terrible me réveille. Lentement, je recouvre mes esprits. Les détails de nos ébats me reviennent au compte gouttes. J’ai le souvenir qu’il s’est endormi un peu vite, me laissant sur ma faim, d’ailleurs il est toujours plongé dans un sommeil profond. Je me lève sans bruit, trébuche sur une chaussure et tombe sur le matelas posé à même le sol, réveillant mon bel amant qui sursaute et dit:
   -Mon dieu, que se passe-t-il? Où suis-je, qu’ai-je fait, quelle heure est-il? Il faut que j’aille travailler!
  -Calme-toi, tu t’es juste soûlé à mort hier soir et aujourd’hui c’est Noël, tu ne dois donc pas aller travailler, je suppose?
  -Oh, désolé, j’ai une de ces gueules de bois, je manque d'entraînement, je t’assure, cela  ne m’arrive que deux fois l’an! Viens, ne t’en vas pas déjà!
  -J’allais juste chercher de l’eau, j’arrive!
   Dehors, le vent souffle, le ciel est gris. Nous passons le reste de la matinée à baisouiller, à se raconter. Dehors n’existe plus. 

mardi 10 avril 2012

Toute la semaine.. (152)

  Toute la semaine fut un calvaire, je ne supporte plus ce travail débile, n’y retournerai plus, c’est décidé. J’ai amassé un petit pactole, suffisamment pour voir venir pendant quelques temps.. Demain c’est Noël. J’en n’ai rien à cirer de Noël, ni d’aucune autre fête. Je n’ai jamais supporté l’effervescence, la fausse joie de ces jours-là, même la messe de minuit au couvent. Pareil pour les fêtes juives, quoique, le seul moment que j’aimais vraiment, c’était le silence de Kippour à Jérusalem. Dans mon enfance, ni Noël, ni Kippour. Mes parents fêtaient uniquement le réveillon du nouvel an entre adultes et la Saint Nicolas pour ma soeur et moi. A cette occasion, un membre de la famille se déguisait sommairement, frappait à la porte avec un manche à balais transformé en crosse, ce qui nous foutait une de ces trouilles! Puis un beau jour j’ai reconnu ma grand-mère, qui en père fouettard n’était pas très crédible, je reconnus également mon frère, trop jeune pour le rôle du saint. Et s’en était définitivement fini des fêtes. Je n’ai jamais compris pourquoi je n’avais jamais eu droit à un sapin, je trouvais cela profondément injuste. Je m’étais juré qu’une fois grande, j’aurais chaque année un grand sapin avec plein de décorations. Ce soir pas de sapin ni ripaille, je suis seule. Vers onze heures, on frappe à la porte, je me lève, ouvre. Je reconnais aussitôt la silhouette de l’habitant du camion. Il me tend un panier rempli de raisins rouges et verts et dit:
   -Pour toi! C’est comme ça que l’on fête Noël en Espagne...
  L’homme, un peu éméché balance d’un pied sur l’autre devant la porte. Surprise, ne sachant quoi lui dire, je l’invite à boire un verre. Il accepte, avance en titubant avec grâce. Il continue de sourire et soudain me parle:
  -Il y a maintenant un moment que je suis installé sur le parking, je t’ai vue à plusieurs reprises, j’attendais simplement l’instant propice pour venir te dire bonjour, voilà qui est fait! me dit-il en rougissant et baissant la tête comme un petit garçon pris en tort.
  -Moi aussi, je t’ai vu quelques fois, je dois dire que j’étais très curieuse de savoir qui habitait ce camion!
   -Eh bien, c’est moi, Norton. Et toi, ton nom?
   -Eliette, ou Eli si tu préfères!
   -Bien Eliette, Eli contente de te connaître! 
  -Norton, assieds-toi, je vais ouvrir la bouteille de vin que je gardais pour une occasion exceptionnelle.
  Tout en tirant le bouchon, je me demande pourquoi je viens de prononcer cette phrase. Un charme fou, c'est certain, quoique son physique élancé et musclé d’ado un rien maigrichon n’est pas tout à fait à mon goût, ni la tête, disons un peu trop américaine, respirant la santé, un Henri Fonda jeune, cheveux châtain clair légèrement bouclés, yeux bleus, nez retroussé et un large sourire aux dents impeccables. Je verse le vin dans les deux uniques verres à pied en ma possession. Nous trinquons à notre rencontre.

jeudi 5 avril 2012

On entend à peine.. (151)

  On entend à peine le ronronnement du puissant moteur; c’est comme si on était à bord d’un paquebot, une sensation de glisser sur la route qui s’ouvre devant nous. On quitte la freeway. Don nous emmène vers Mulholland Drive. Le soir tombe au moment d’atteindre le sommet d’une des nombreuses collines de Hollywood. Don arrête la voiture. La ville scintillante s’étend à l’infini; nous fumons quelques joints et restons muets devant le spectacle. On ne reste pas indifférent à la vue de cette immensité qui nous réduit à rien. Il fait étonnamment calme, le soir est doux, je retrouve des senteurs de garrigue et entends ici et là de petits bruits familiers qui aussitôt me transportent au couvent, les soirées avec Gilberte sur le Kon-Tiki, les promenades du soir avec Zer. Comme c’est étrange la mémoire des sens. Je suis envahie de nostalgie et à chaque fois, je me pose la question, pourquoi suis-je ici, je m’obstine à ne pas trouver de réponse, ici ou ailleurs, quelle importance. Un petit rire de Yaël me tire de mes pensées, elle me sourit et dit:
   -Tu étais partie très loin, j’ai vu une ombre de tristesse passer dans ton regard, tu te sens bien?
  -Oui, ça va, j’étais là-bas, ça m’arrive de temps en temps, désolée, voilà, je suis à nouveau avec vous! 
   Nous restons encore un long moment à fumer et à contempler la cité des anges déchus.
   De retour au parking lot, j’aperçois un homme qui sort du vieux camion. Grand, mince, il s’en va d’un pas pressé, je n’ai pas le temps de voir son visage. Je quitte à regret mes amis, il se fait tard, plus que quelques heures avant de retourner au boulot.